• Aucun résultat trouvé

La restructuration des fonctions étatiques

CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

1.3. Le rôle de l’État

1.3.1 La restructuration des fonctions étatiques

Comme présenté précédemment, après la Seconde Guerre Mondiale, les politiques publiques changent drastiquement. La dépression des années 1930 a démontré les failles du capitalisme libéral classique. Le gouvernement commence à assumer la responsabilité d’une gestion active de l’économie, que l’on appelle aujourd’hui la « période keynésienne » (Amine et Lages Dos Santos, 2012). Cela signifie que l'État commence à réglementer les termes et les conditions d'emploi à un degré beaucoup plus élevé qu'il ne l'avait fait avant la Seconde Guerre mondiale. C’est durant cette période que naissent les premiers grands projets d’intervention étatique, comme le

New Deal de Roosevelt en 1933, et c’est en 1945 que l’on commence à parler de

l’État providence (Evans, 2013). La plupart des pays occidentaux adoptent alors des politiques interventionnistes dans les champs économiques et sociaux (Amine et Lages Dos Santos, 2012).

À la fin des années 1970, la plupart des démocraties libérales ont des réglementations pour le salaire minimum, les heures maximales de travail, les jours fériés et les congés payés, les retraites, l'assurance-maladie, l’assurance invalidité, l'assurance-chômage, le placement, l'accès des travailleurs à la formation, les droits de la personne au travail, la santé et la sécurité au travail, et beaucoup d’autres activités liées à l'emploi (Adams, 1992). Le plein emploi durant cette période donne beaucoup de pouvoir de négociation aux syndicats et permet aux travailleurs de faire des avancées sur le plan des salaires. Toutefois, ces progressions salariales

24

importantes causent des pressions sur les prix et, contraints par l'engagement au plein emploi, de nombreux États démocratiques libéraux initient une politique néo- corporatiste où le tripartisme agit comme un moyen de contrôle des revenus (selon Panitch 1977; Cooper 1982; Flanagan, Soskice et Ulman, 1983 cité par Adams, 1992). Dans ce contexte de politique tripartite, les travailleurs et les employeurs sont invités à participer avec le gouvernement à l'élaboration de décisions critiques en matière de politique socio-économique, en échange de leur modération sur les salaires et les prix. Cette période est marquée par une forte augmentation du nombre de lois sociales à la suite des ententes tripartites conclues dans de nombreux pays (selon Barkin, 1977, cité par Adams, 1992). La gestion de l'inflation marque une rupture dans les stratégies de l’État; celles-ci passent de stratégies de maximisation de l'emploi aux stratégies de la gestion d’inflation (Evans, 2013). En réaction à la dépression des années 1981-1982, les politiques gouvernementales changent. Les employeurs affirment qu'ils ont besoin d'une plus grande flexibilité. La réponse des gouvernements est de commencer à déréglementer l'économie pour supporter les entreprises (Evans, 2013). Ils commencent aussi à privatiser de nombreuses entreprises appartenant au gouvernement (Hebdon et Kirkpatrick, 2006; Amine et Lages Dos Santos, 2012). Certains commencent également à s'éloigner de la consultation tripartite. Le changement le plus extrême de la politique gouvernementale a lieu au Royaume-Uni où l'État passe d’une politique de consensus tripartite à une politique d’exclusion des syndicats et de non-appui à la négociation collective. On encourage les employeurs à introduire des programmes d’emploi, tels que des programmes de dotation, avec ou sans l'assentiment des syndicats (selon Towers 1989; Baglioni et Crouch 1990 cité par Adams, 1992). Non seulement le gouvernement change ses tactiques pour résoudre les problèmes socio-économiques, il change aussi ses objectifs. Le gouvernement néo-libéral de Thatcher abandonne ses objectifs de plein emploi et de démocratie industrielle. Il devient très agressif et poursuit une politique de révision de la réglementation, en plaçant plus de contraintes sur les syndicats et moins sur les employeurs, et en favorisant la privatisation de la fonction publique (Amine et Lages Dos Santos, 2012). Dans d'autres pays, la privatisation de la fonction publique et la revue de la

25

réglementation est moins rapide et importante. Contrairement à la Grande-Bretagne, la plupart des pays n'abandonnent pas officiellement le consensus socio- économique, bien que dans la réalité les objectifs comme le plein emploi et la démocratie économique tombent bien bas sur la liste des priorités des gouvernements (selon Keller, 1991 dans Adams, 1992).

Aux États-Unis, après la Seconde Guerre mondiale, les présidents créent des comités consultatifs de gestion. Sous les administrations démocrates, l'influence des syndicats sur les décideurs du gouvernement est supérieure à ce qu'elle était sous les gouvernements républicains (Kochan, Katz et Mckersie, 1986). L’exemple démontrant ce changement d’orientation est la philosophie anti-syndicale de l'administration Reagan qui licencie tous les contrôleurs aériens qui sont en grève illégale et les remplace par des contrôleurs militaires, le temps de former de nouveaux contrôleurs aériens. À la suite de cette action, le message des républicains est clair, les employeurs n’ont plus à craindre les syndicats (Schultz, 2004).

Selon plusieurs auteurs, (Chevallier, 2008; Strange, 2011; Donaghey et al., 2013; Williams et al., 2011; Hebdon et Kirkpatrick, 2006; Amine et Lages Dos Santos, 2012; Bottini, 2012), un autre facteur important dans la transformation de l’État est la mondialisation des marchés; le pouvoir est passé de l’État aux entreprises transnationales (Strange, 2011). La mondialisation pousse à une remodélisation de l’État (Hebdon et Kirkpatrick, 2006). D’ailleurs, cette remodélisation aurait commencé dans les années 1970, selon Chevallier (2008 :24), à la suite d’une réévaluation du rapport État/société qui existe alors dans plusieurs pays, réévaluation amenée par différents facteurs tels que la dénonciation de l’État totalitaire dans certains pays, le dysfonctionnement de l’État providence, les forces du libéralisme et la déliquescence des régimes à parti unique. Toutefois, selon Hebdon et Kirkpatrick (2006), il n’y aurait pas de corrélation directe entre la performance macroéconomique des États-nations et la probabilité d’une restructuration. Toujours selon Hebdon et Kirkpatrick (2006), c’est aux États-Unis, avec un État-providence minimal (les dépenses publiques ne dépassant jamais 33%

26

du PIB pendant la majeure partie des années 1980 et 1990) que les demandes pour réformer le gouvernement sont les plus virulentes. De nouveaux acteurs comme les institutions financières internationales viennent briser le monopole traditionnel détenu par les États (Strange, 2011). On assiste à un déclin de l’État en faveur d’autres institutions et associations (Strange, 2011; Chevallier, 2008).

Le processus de mondialisation amène l’État à concurrencer avec les entreprises multinationales qui deviennent des acteurs influents de la création de la richesse d’un pays (Chevallier, 2008; Strange, 2011; Donaghey et al., 2013). Selon Chevallier (2008 :41) : « Les entreprises multinationales ont tout autant besoin de l’appui des États que les États ont besoin d’elles pour assurer l’équilibre des échanges économiques et préserver les emplois ». Les multinationales deviennent elles- mêmes des institutions politiques (Strange, 2011). « L’accélération du changement technologique et l’accroissement du rôle du pouvoir de la finance seraient les principales causes du renversement de l’équilibre du pouvoir entre l’État et le marché » (Strange, 2011 :33). De plus, la capacité des multinationales à rassembler des capitaux, à la fois pour le financement et l’investissement, crée des pressions énormes sur les pays d’accueil, menant ainsi à une concurrence féroce entre pays pour accueillir ces multinationales afin de créer de la richesse (Strange, 2011). Bottini (2012) réfère à une mutation fonctionnelle de l’État lorsqu’il fait référence à ce type de transfert de pouvoir du public au privé.

Les multinationales et les associations sans but lucratif gagnent largement en influence au détriment de l’État. Le monopole de l’État exercé sur les relations internationales est également remis en cause avec l’explosion du nombre des organisations non-gouvernementales (ONG) telles que Greenpeace, Médecins sans frontière ou Amnistie internationale, dont l’action est coordonnée par un secrétariat international et qui sont dotées de moyens financiers et humains importants (Chevallier, 2008 :42). Pour Strange (2011) et Evans (2013), l’État est devenu un « État modeste », un État qui abandonne ses fonctions de service public et perd de sa capacité face à la mondialisation, et ce, dans tous les domaines, économique, monétaire, financier, mais aussi politique et militaire. Selon Strange, « alors que les

27

États étaient jadis maîtres des marchés, les marchés sont aujourd’hui, dans bien des domaines cruciaux, les maîtres des gouvernements nationaux » (Strange, 2011 :29).

Les années 1990 jusqu’à aujourd’hui sont marquées par des efforts soutenus de l'État pour réduire les salaires du secteur public. Cette stratégie de réduction des salaires est combinée à d’autres stratégies, y compris la réduction de la taille du secteur public ainsi que la restructuration de sa production et de sa prestation de services publics6 (Evans, 2013). D’ailleurs, pour Bottini (2012), la remise en question des modes traditionnels d’action de la puissance publique trouve une justification dans la promotion de la Nouvelle Gestion Publique (NGP).

La nouvelle gestion publique constitue une mutation organisationnelle importante dans plusieurs pays étudiés par l’OCDE. La section suivante présente cette approche de gestion de même que les impacts d’une telle approche sur le secteur public.