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La transformation des manières de faire, des attitudes, du comportement des

5. Présentation et discussion des résultats

5.3 Elèves

5.3.3 La transformation des manières de faire, des attitudes, du comportement des

Au sein de l’activité

Les professionnelles de CMP participant aux activités avec le cheval constatent une progression de la part de leurs élèves, au sein même de l’activité proposée. Toutefois, Lara relève qu’il est nécessaire de prendre en compte les spécificités de chaque participant pour comprendre son évolution. En effet, selon elle,

on va pas décrire en fait l’évolution au niveau de ce qui se fait de la même manière pour un enfant qui justement va apprendre à carrément conduire son poney, trotter etcetera, là on peut bien imaginer ce qu’il se passe, pour l’enfant qui était hyper angoissé qui pleurait qui était en crise eh bah le fait qu’il soit juste calme et bien c’est déjà énorme quoi […] Donc y a chaque spécificité de chaque personne à prendre en compte. (lignes 1803-1810)

Nicole, Alexandra, Elodie et Lara ont observé leurs élèves affronter et dépasser leurs peurs face à l’animal. Petit à petit, ils ont osé s’en approcher, le toucher, le brosser. Selon les propos des professionnelles, si la tête du cheval est quasi systématiquement provocatrice de craintes auprès des élèves, ils ont finalement pu la toucher, la brosser, toucher son museau, sa bouche, et même

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« donner une carotte avec la main » et « se faire lécher » (Alexandra, lignes 415-420). Une fois sur leur dos, ils ont, selon Elodie, surmonté leur crainte de tomber de l’animal. Ainsi, les professionnelles évoquent avoir, de manière générale, observé leurs élèves prendre confiance, s’apaiser, gagner en bien-être et en sérénité. Lara raconte d’ailleurs qu’un élève qui, lors des premières séances de thérapie, présentait d’importants comportements problématiques, s’est finalement montré moins angoissé, et que ses « crises » (lignes 1707) ont quasiment disparu. Cette évolution peut être mise en lien avec les propos de Jollinier (1995c), qui explique que le cheval permet d’introduire des « relais compensatoires » (p.106), tant affectifs que relationnels, faisant office de tampon entre le participant et le thérapeute, ainsi qu’entre le participant et son environnement. Cette médiatisation du cheval peut ainsi offrir un moyen d’apaiser les relations entre les humains, mais également participer à l’acclimatement du patient à son environnement, en favorisant l’acceptation de certaines normes sociales.

En outre, Nicole relève que ses élèves ont développé une forme d’autonomie pendant l’activité, que ce soit durant le trajet pour se rendre à l’activité, ou au sein même de celle-ci. Elle effet, elle a observé l’acquisition de « petits automatismes » (ligne 313) de la part de ses élèves : « prendre les brosses, commencer à curer les pieds » (ligne 314). Ces automatismes peuvent être assimilés à des prises d’initiatives, mais également au développement d’une forme d’autonomie à la tâche ; les élèves, en acquérant de nouvelles compétences et en prenant confiance (en eux, mais aussi en autrui), développent leur autonomie, en s’affranchissant petit à petit du soutien de l’adulte pour certaines tâches connues et définies. Cette autonomie, qui peut être qualifiée d’autonomie à la tâche, est importante pour les élèves et est d’ailleurs souvent travaillée quotidiennement dans les CMP, notamment en classe, et par différents biais. Toutefois, dans un contexte de classe, qui reste souvent normé, dans lequel l’élève peut avoir vécu des situations scolaires parfois peu confortables, s’y sentir jugé et évalué, il peut être difficile pour lui de développer cette compétence. Malgré tout, plus les élèves grandissent, plus il est attendu d’eux qu’ils puissent réaliser certaines tâches sans l’appui d’un adulte. Cette capacité peut même être déterminante pour leur orientation professionnelle. Ainsi, se rendre compte qu’un élève est capable de développer cette autonomie à la tâche est bien entendu intéressant pour les professionnels qui l’entourent, mais surtout très valorisant pour l’élève lui-même.

Les professionnelles évoquent également toutes trois les progrès moteurs des élèves, ce qui a par exemple permis de leur faire faire du trot, voire du galop, de les laisser diriger le cheval seuls, d’allonger la durée des promenades, ou encore de faire de la voltige. Pour les élèves du CMP 1, pour qui l’acquisition de techniques équestres pouvait représenter un objectif d’apprentissage,

118 Nicole et Odile remarquent des progrès « sportifs », le développement de techniques au niveau physique (Nicole, lignes 598-599). Les élèves ont « progressé dans le fait d’apprendre à monter » (Nicole, ligne 418, et Odile, ligne 349). Quant à Alexandra et Lara, elles observent, pour les élèves du CMP 2, une grande évolution au niveau de leur posture et de leur tonicité, notamment, comme déjà évoqué, pour leur élève très lente et hypotonique qui semble se transformer littéralement une fois arrivée à la thérapie avec le cheval.

Finalement, toutes les professionnelles évoquent qu’un réel lien s’est développé entre les élèves et les chevaux. Ils le regardent, souhaitent le caresser, s’en occuper. Ils le considèrent comme un être à part entière, et demandent à s’impliquer dans différents aspects du soin à l’animal. Comme Alexandra l’explique, les élèves se sont petit à petit préoccupés de savoir « où il dort, ils sont inquiets de voir ce qu’il mange » (lignes 229-230), « ils observent les crottins » (ligne 420). Comme explicité précédemment, un élève du CMP 2 a également développé un lien fort avec l’un des chevaux, se l’accaparant presque : « il a vraiment ce lien que maintenant c’est la sienne » (Alexandra, ligne 435). Nicole raconte également que ses élèves ont progressivement « projeté des choses » (ligne 733) sur les chevaux, qui en fait leur appartenait à eux. Elle raconte par exemple qu’un élève trouvait que son cheval n’avait pas l’air de bonne humeur, imaginant qu’il avait mal dormi. En discutant avec lui, il a finalement pu verbaliser que c’était lui qui avait mal dormi, et était de mauvaise humeur. Pour Nicole, que ses élèves parviennent à exprimer leurs émotions de cette façon représente une réelle « victoire » (ligne 759), car cela évite qu’ils « passent à l’acte » (ligne 761), et que ces émotions « sortent en colères, en violence » (ligne 761). En effet, réussir à mettre des mots sur les émotions négatives ressenties, les décortiquer pour en trouver la cause et une solution, est souvent difficile pour les élèves considérés comme ayant des besoins éducatifs particuliers et, comme nous l’avons vu, représente un apprentissage à part entière et nécessaire (Loi genevoise sur l’instruction publique, 2015). Dans cette optique, le cheval semble être un média intéressant, pouvant servir d’étayage affectif, comme le relève Jollinier (1995a). En effet, comme nous l’avons vu, celui-ci peut servir d’objet d’identification ou de transfert pour le participant, ici représenté par les élèves. Dans le témoignage recueilli, nous remarquons que les élèves semblent en effet être parvenus à identifier leurs émotions en transférant ou projetant celles-ci sur l’animal ; la présence du cheval a probablement rendu possible cela, ces élèves présentant habituellement des difficultés dans la gestion et l’expression de leurs émotions.

119 Pour conclure cette partie de notre travail, nous relevons que ces quelques retours d’expériences mettent en évidence que les activités avec le cheval peuvent permettre aux élèves de s’ouvrir à l’autre, développer une forme de décentration en construisant un lien voire une relation avec l’animal. Le cheval peut également servir de média pour permettre une expression des émotions d’une manière socialement adéquate, mais aussi favoriser la construction identitaire des élèves, notamment par le développement de leur confiance en eux, ou de leur autonomie.

Hors de l’activité

Au vu de ce qui précède, il nous semblait intéressant d’étudier si les progrès constatés au sein des activités avec le cheval pouvaient être retrouvés, et donc transférés par les élèves, hors de ces dispositifs.

Nicole met en évidence que la participation à cette activité permet de créer une « culture commune » (ligne 527) ; comme précédemment évoqué, lorsqu’ils se trouvent dans le contexte institutionnel, cette professionnelle peut faire des liens entre les événements passés lors de l’activité avec le cheval et les événements se déroulant au CMP. Elle explique tenter de remobiliser, au CMP, les compétences développées par les élèves dans le cadre de l’activité avec le cheval.

Toutefois, toutes les professionnelles interrogées s’accordent sur la difficulté d’observer un transfert des compétences développées lors des activités avec le cheval à un contexte extérieur à ce dispositif. Selon Nicole, « les progrès psychomoteurs dans un domaine vont avoir des répercussions sur les autres », mais « c’est pas forcément mesurable comme ça » (lignes 920-922).

Alexandra met en évidence la difficulté pour les élèves à faire des liens entre les différentes activités proposées et à réinvestir les apprentissages dans un contexte différent. Elle reste néanmoins optimiste et espère qu’avec du temps, ils y parviendront.

Lara, Odile, et Nicole relèvent cependant que les élèves qui ont participé aux activités avec le cheval ont globalement évolué, elles les observent aller « mieux » dans leur vie (Odile, ligne 552).

Elles expriment que les expériences positives vécues lors de cette activité permettent probablement aux élèves de se construire, et elles espèrent que cela aura des impacts plus tard, des « retombées » (Nicole, ligne 486), même si celles-ci sont difficilement visibles et quantifiables ou calculables sur le moment. Toutefois, elles mettent en évidence la nécessité de rester humbles : en effet, il est difficile, voire impossible, d’attribuer l’évolution de l’élève seulement à sa participation à l’activité avec le cheval : « on n’arrive pas à voir qu’il y a une cause-effet directe comme ça » (Odile, ligne 340). Selon elles, c’est l’ensemble du travail fait avec ces élèves, c’est l’ensemble des activités proposées, mais c’est également la maturation propre à l’enfant, qui

120 permettent aux élèves d’évoluer, de progresser. Les activités avec le cheval contribuent à ces évolutions, constituant des « pierres à l’édifice » (Nicole, ligne 985), ou des « graines » qui sont semées (Odile, ligne 563) :

je trouve hyper important d’être très consciente que toute l’évolution qui se fait dans une séance de thérapie avec le cheval là c’est que trois quarts d’heure par enfant par semaine […] Donc c’est rien du tout par rapport à tout le reste, mais je trouve important de rester consciente que y a tout ça autour […] Qui fait que l’enfant évolue et que de nouveau c’est pas nous qui soignons c’est pas nous qui mettons des coups de baguette magique pour qu’il y ait une révélation il peut y avoir une révélation (Lara, lignes 1246-1258).

5.3.4 Eléments de synthèse

Dans les deux contextes étudiés, les élèves choisis pour participer aux activités avec le cheval l’ont été selon différents critères, élaborés en équipe par les professionnels des CMP. Les profils choisis s’avèrent très variés, mais globalement, selon les propos des professionnelles, relativement déficitaires, « en difficultés » (Odile, ligne 356) et « compliqués » (Odile, ligne 549). Toutes les professionnelles interrogées s’accordent à dire que tous les élèves pourraient bénéficier d’activités avec le cheval. Cependant, Alexandra et Lara mettent en évidence la nécessité d’une visée thérapeutique, en TAC, qui doit être clairement définie, ainsi que l’importance de se centrer sur les besoins de l’élève. En effet, comme nous l’avons vu, si l’élève et ses besoins n’étaient pas pensés au centre de ces dispositifs, nous nous éloignerions de la mission de l’enseignant spécialisé, mais également des valeurs modernes que l’école actuelle tend à diffuser.

De manière générale, la plupart des élèves ont réagi positivement à ces dispositifs, et, après avoir dépassé l’appréhension provoquée par la première rencontre avec les chevaux, se sont montrés preneurs et enthousiastes. Les professionnelles de CMP ont observé, dans ce contexte d’activité avec le cheval, des comportements différant de ceux habituellement observés au sein des institutions, et cela sur différents plans, en fonction des individus. En outre, elles relèvent à plusieurs reprises observer leurs élèves apaisés durant les séances.

Cependant, des variations de comportements ont pu être observés par les professionnelles interrogées. Elles mettent en effet en évidence que les transitions, représentées par les trajets avant ou après l’activité, mais aussi par le temps d’attente au sein de l’activité (lorsque l’élève ne s’occupait pas du cheval), étaient des moments parfois compliqués, durant lesquels les élèves pouvaient développer des comportements problématiques (crises, énervement, coups, etc.). Si certains aménagements proposés par les professionnelles, comme un goûter, ou un massage,

121 permettaient parfois de rendre ces moments un peu plus sereins, ce n’était pas systématiquement le cas. Comme nous l’avons vu, il est selon nous possible d’attribuer ces comportements problématiques à la situation ; en effet, chaque transition représente une rupture et demande à l’élève une réadaptation à de nouvelles stimulations, tout en provoquant des émotions ambivalentes, que les enfants gèrent comme ils le peuvent, selon les moyens à leur disposition.

Partant de ce constat, il nous semblerait profitable pour les élèves de réfléchir à ces temps de transition difficiles à aborder pour eux, afin de les aménager dans un but d’amener, entre autres, de la prévisibilité à l’élève.

Ainsi, la participation à ces activités avec le cheval semble avoir globalement eu des impacts positifs sur les élèves, à différents niveaux : moteur, sportif, identitaire, relationnel, ou encore émotionnel. Si ces progressions ont été constatées au sein des séances, les professionnelles interrogées restent plus réservées quant à un éventuel transfert des compétences développées à un autre contexte que celui des activités avec le cheval. Elles observent certains de leurs élèves aller « mieux » (Odile, ligne 552), et évoquent toutes que cette activité aura de toute façon des

« retombées » (Nicole, ligne 486) positives pour les élèves, même si celles-ci ne sont pas forcément observables tout de suite, ni mesurables. Toutefois, la nécessité de garder une forme d’humilité émerge de nos résultats : la progression des élèves est la conséquence de nombreux facteurs, tant externes qu’internes à l’élève, et doit donc être considérée dans une vision systémique de l’enfant.

De ce fait, les activités avec le cheval peuvent contribuer à leur évolution, mais ne représentent pas une solution miracle.

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