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Forme scolaire et métier d’élève

2. Cadre théorique

2.5 Les élèves

2.5.1 Forme scolaire et métier d’élève

Maulini et Perrenoud (2005) explicitent la forme scolaire d’éducation comme n’étant pas spécifique à l’enfance. En effet, elle se caractérise par « la création d’un espace-temps spécifiquement consacré à l’apprentissage, séparé des pratiques sociales auxquelles il est censé préparer » (Maulini & Perrenoud, p.147). Cet espace-temps particulier peut donc se retrouver tant dans l’école primaire que dans les hautes écoles, ou toute autre école fonctionnant selon ce mode ; la formation des adultes peut donc également être scolarisée. Toutefois, lorsque l’on évoque la forme scolaire, nous nous représentons fréquemment la scolarité obligatoire, étant donné qu’elle représente l’éducation de base et le mode de socialisation dominant dans les sociétés développées (Maulini & Perrenoud, 2005). Cette forme scolaire est d’abord une forme sociale, culturellement construite afin d’apporter une réponse possible ou démarche pertinente face à une problématique sociétale : la préparation à la vie en société, former des citoyens autonomes, autrement dit, la socialisation de tous. Ce concept de socialisation est à entendre au sens large comme « la formation, l’éducation et l’instruction de nouveaux venus » (Maulini & Perrenoud, 2005, p.149).

Dans tous les cas, trois fonctions essentielles sont constitutives de la forme scolaire de socialisation (Maulini, 2013) :

- « une fonction de simulation qui permet de se tromper sans risque pour soi et la communauté

- une fonction de décomposition qui organise l'apprentissage par étapes

- une fonction de secondarisation où la pratique est non seulement exercée mais aussi observée, étudiée, analysée pour être critiquée et améliorée » (p.12)

52 Ces auteurs mettent également en évidence la présence de traits distinctifs propres à la forme scolaire de socialisation (celle-ci étant mise en opposition avec des formes non-scolaires de socialisation, comme les pratiques familiales, la socialisation par les pairs, etc.). Tout d’abord, il existe un contrat didactique entre le formateur et le formé, définissant leurs rôles respectifs. Le formateur doit partager son savoir et en favoriser l’appropriation auprès de l’apprenant, tandis que celui-ci doit écouter, travailler, répéter, chercher à comprendre et mémoriser, effectuer des évaluations (Maulini & Perrenoud, 2005, p.151). La relation entre les protagonistes est donc asymétrique, hiérarchisée. Ensuite, l’organisation de la forme scolaire est centrée sur les apprentissages, le formateur ayant l’intention d’instruire et de faire apprendre (Maulini &

Perrenoud, 2005, p.151). En outre, comme explicité ci-dessus, cette pratique sociale est distincte et séparée des autres pratiques, isolée dans un lieu spécifique. Etre à l’écart de la « vraie vie » (Maulini, 2013, p.12) permet aux apprenants de s’y préparer en se trompant sans prendre de risques, sans les conséquences réelles de « la vraie vie » (Maulini, 2013, p.12). Cet aspect détermine la fonction de simulation de la forme scolaire. De plus, la forme scolaire engage également la planification, par le formateur, des connaissances à enseigner. Il existe donc un curriculum, qui peut être connu de l’apprenant, en partie du moins (Maulini, 2013 ; Maulini &

Perrenoud, 2005). Par ailleurs, les savoirs enseignés doivent avoir fait l’objet d’une transposition didactique, c’est-à-dire qu’ils ont été sélectionnés, préparés, découpés, codés et organisés afin que leur transmission à l’apprenant soit assurée. D’autre part, la forme scolaire nécessite un découpage didactique (Maulini & Perrenoud, 2005). Celui-ci implique une certaine périodicité ainsi qu’une organisation des apprentissages et objectifs en étapes ; il peut par exemple s’agir de modules, de séquences, de leçons, etc. Nous retrouvons donc ici la fonction de décomposition de la forme scolaire, décomposant les savoirs pour finalement les reconstituer. De surcroît, dans la forme scolaire, le formateur impose, et l’apprenant accepte, une discipline intellectuelle et corporelle permettant l’apprentissage. Celui-ci se fait donc au prix d’un effort, d’un labeur, de l’acceptation de règles impersonnelles mais, paraîtrait-il, nécessaires (Maulini, 2005). Finalement, la forme scolaire fait référence à des normes d’excellence, des critères d’évaluation permettant de définir la progression attendue et mesurer l’acquisition des savoirs en jeu (Maulini, 2013 ; Maulini

& Perrenoud, 2005).

Ces traits distinctifs de la forme scolaire laissent apparaitre, en filigrane, la notion de métier d’élève. En effet, nous pouvons relever de ce qui précède que, pour apprendre, la forme scolaire impose à l’apprenant différentes contraintes. Selon les sociologues, être élève s’apparente donc à un métier. Ce concept signifie qu’aller à l’école est « une occupation codifiée et rémunérée par la société » (Perrenoud, 1995). En effet, en lien avec le troisième trait distinctif de la forme scolaire présenté ci-dessus, l’école est constituée pour préparer les élèves à entrer dans la « vraie vie »

53 (Maulini, 2013, p.12), ou, en d’autres termes, dans la société. Elle reprend donc ses codes, et, même si les élèves ne sont pas rémunérés par un salaire, ils peuvent l’être par une pièce d’argent des parents ou d’une sélection gratifiante en hautes études en cas de bonne note (Maulini, 2013).

Toutefois, ce métier revêt une forme particulière, car il « n’est pas librement choisi, moins que tout autre » (Perrenoud, 1995, cité par Alexandre, 2010, p.35).

Pour tenter de définir ce qu’est le métier d’élève, Dayer (2011) explique qu’il s’agit de toutes les compétences qu’un élève doit développer pour atteindre les objectifs fixés par les systèmes scolaires et les plans d’études, non sans répondre aux demandes propres de son enseignant. Ces propos se recoupent avec ceux de Maulini (2009) ; pour lui, être élève implique deux choses. Tout d’abord, l’élève vient en classe pour « se produire lui-même, en apprenant ce qui lui permettra de grandir et de développer son intelligence. » (p. 2). En outre, à l’école un travail est à faire : « il y a donc des opérations à réaliser, un engagement subjectif nécessaire, des règles à respecter, des compétences à avoir pour répondre aux attentes du maître-contremaître. » (p. 2). Le métier d’élève, dans ses conditions, modalités et finalités, est en effet fortement dépendant d’un tiers, le formateur, lui-même guidé par la forme scolaire de socialisation, organisation sociale et culturelle.

Comme nous l’avons vu dans les traits distinctifs de la forme scolaire, c’est au formateur qu’il incombe de déterminer le curriculum de l’élève, de fractionner et organiser les savoirs en jeu, tout en imposant à l’élève un certain nombre de règles et normes en faveur de la collectivité, et en évaluant constamment les qualités et les défauts de l’élève, son intelligence, sa culture ou encore son caractère (Perrenoud, 1995, cité par Alexandre, 2010). Ainsi, le métier d’élève s’avère bien plus complexe qu’il n’y paraît. Comme Dayer (2011) l’explique, cela demande « d’être capable d’appliquer des règles/attentes scolaires auxquelles on ne s’identifie pas forcément » (p.7),

« posséder une faculté d’adaptation importante face aux différentes exigences et pratiques de nombreux enseignants côtoyés » (p.7) durant la scolarité, tout en apprenant que « le même comportement n’induit pas toujours la même réponse » (p.7) selon l’enseignant face auquel l’on se trouve. Mais c’est aussi « mettre du sens à des activités n’existant souvent que dans la réalité/contexte scolaire » (Dayer, p.7) ; en effet, le phénomène de double-seuil est une menace permanente pesant sur la forme scolaire. Si les savoirs sont trop simulés, trop décomposés, ou trop secondarisés, ils peuvent finir par être trop éloignés de la « vraie vie » (Maulini, 2013, p.12) ; ils perdent alors leur sens pour les élèves, et notamment pour ceux qui considèrent leur métier d’élève comme une prescription à suivre, prenant la rhétorique de l’effort, du labeur, très au sérieux, ne comprenant pas ce qu’ils doivent apprendre mais persistant à mettre toute leur énergie dans l’application des règles prescrites par leur enseignant, travaillant dur et faisant beaucoup d’efforts, car c’est ce à quoi la forme scolaire incite, mais sans parvenir à y mettre de sens (Maulini, 2009). Ainsi, être élève, et idéalement, être un bon élève, relève d’un double

54 paradigme : accepter des règles impersonnelles et imposées par l’école et l’enseignant, et parvenir à s’approprier des savoirs et savoir-faire, ce qui sous-entend d’être capable d’y mettre du sens.

Sirota (1993) ajoute :

Le métier d'élève est ici défini avant tout comme l'apprentissage des règles du jeu. Être bon élève, ce n'est pas seulement être capable d'assimiler des savoirs et des savoir-faire complexes. C'est aussi être disposé à « jouer le jeu », à exercer un métier d'élève qui relève du conformisme, autant que de la compétence. Assimiler le curriculum c'est devenir l'indigène de l'organisation scolaire, devenir capable d'y tenir son rôle d'élève sans troubler l'ordre ni exiger une prise en charge particulière. (p.89)

2.5.2 Entre forme scolaire traditionnelle et école inclusive : les élèves à besoins