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Les comportements observés lors des activités avec le cheval

5. Présentation et discussion des résultats

5.3 Elèves

5.3.2 Les comportements observés lors des activités avec le cheval

De manière générale, les quatre professionnelles travaillant en CMP rapportent que leurs élèves étaient contents de participer à cette activité, et se sont montrés enthousiastes. Cela s’est exprimé de différentes façons chez les élèves du CMP 2, en fonction de leurs capacités. Selon les discours des professionnelles, si tous se montrent souriants face à l’animal, certains peuvent être verbalement demandeurs de se rendre à l’activité durant les jours qui la précèdent, et exprimer également de la même manière leur joie lorsqu’ils y sont. D’autres, disposant de moins de capacités communicationnelles voire étant non verbaux, peuvent malgré tout pointer le cheval, ou effectuer des « flapping » (Elodie, ligne 172), qui, selon les professionnelles, expriment des émotions positives.

Cependant, les quatre professionnelles relèvent également avoir observé des crises de la part des élèves, ou vécu des situations d’opposition, survenant lors des moments de transition (par exemple durant les trajets avant l’activité, ou au moment de quitter l’activité). Les deux

113 professionnelles du CMP 1 expliquent que leurs élèves pouvaient faire preuve d’une motivation variable pour aller à l’activité avec le cheval, voire s’opposer à l’adulte. Selon Odile, ces comportements opposants venant de ses élèves ne sont pas liés à l’activité en elle-même, mais sont liés aux « troubles » des élèves (ligne 244). Nicole l’exprime également : « ce qui pouvait empêcher l’activité c’était le fait de vouloir s’opposer à l’adulte […] et puis voilà c’était plus important des moments pour eux de se regrouper contre l’adulte que l’activité » (lignes 827-828).

Les professionnelles du CMP 2 évoquent des crises de la part de certains de leurs élèves au moment de descendre du cheval, ou lors du trajet du retour. Selon elles, cela peut être lié à la frustration générée par le fait de terminer l’activité. Elles en déduisent donc que l’activité

« apporte quelque chose » à leurs élèves (Elodie, lignes 80-81), qu’ils y « sont bien » (Alexandra, lignes 595-596). Comme les professionnelles du CMP 1, Elodie attribue ces comportements au

« syndrome » de l’élève : « c’est vraiment dû à sa pathologie, à son syndrome et quand il accepte bien quelque chose après y a la retombée » (lignes 248-249). Même si les professionnelles attribuent ces comportements problématiques aux élèves, comme leur appartenant intrinsèquement, et que les élèves du CMP 1 sont catégorisés comme ayant des troubles du comportement, nous pouvons nous demander s’il n’est pas malgré tout nécessaire d’interroger le contexte. En effet, comme nous avons pu le voir, les comportements des élèves s’appréhendent dans une dynamique interactionniste et située. Nous savons que les difficultés comportementales (en opposition aux troubles du comportement) apparaissent en réaction à un contexte donné (Gaudreau, 2011) et à la présence de certains facteurs environnementaux. Lacroix et Potvin (2009) mettent en évidence que les périodes de transition peuvent représenter l’un de ces facteurs pour les élèves, ceux-ci se trouvant envahis par le changement, les éventuels imprévus, et les émotions parfois ambivalentes que la transition entraine. En effet, chaque transition représente une rupture et engendre une déstructuration et de nouvelles stimulations sensorielles et interactionnelles à traiter (Lagacé, 2001) ; pour un enfant présentant une difficulté adaptative par exemple, nous comprenons aisément à quel point ces moments de transition peuvent s’avérer anxiogènes et, de là, générer des comportements problématiques comme réponse à la situation que l’élève peine à décoder et traiter. Si nous n’allons pas ici nous appesantir sur les moyens potentiels pour faciliter les transitions, nous pouvons imaginer que ce moment potentiellement difficile à vivre pour les élèves pourrait, une fois mis en évidence, être structuré à l’aide de différents outils (programmes pictos selon la méthode TEACCH par exemple) afin de le rendre plus prévisible, et, par conséquent, moins anxiogène pour les élèves.

114 Au sein des activités avec le cheval, différents comportements ont pu être observés. Pour les élèves du CMP 1, qui présentent de nombreux comportements problématiques au sein de l’institution, les professionnelles ont pu remarquer un apaisement lors de l’activité. Nicole relève que les élèves se sentaient bien lors de ce moment. Elle a observé que les élèves avaient développé un attachement pour les chevaux dont ils s’occupaient, qu’ils avaient chacun leur cheval préféré.

Pour les élèves du CMP 2, des réajustements ont dû avoir lieu en cours d’année. En effet, deux élèves ont eu des comportements « très fuyants » (Alexandra, ligne 102) par rapport aux séances de TAC. Les professionnelles ont été confrontées à des crises importantes ainsi qu’à de grosses difficultés comportementales (notamment de la violence), et ont évalué, après quelques séances sans amélioration, que cette activité était « plus anxiogène qu’autre chose » pour eux (Alexandra, lignes 101-102). Si les professionnelles n’ont pas développé cet aspect, nous pouvons faire l’hypothèse que, d’une part, ces élèves ont pu être fortement effrayés par le cheval, et, d’autre part, en regard des caractéristiques de ces élèves liées à leur trouble (TSA), que cette activité, par les nombreux changements et donc adaptations qu’elle impliquait, s’avérait trop déstructurante pour eux. Les professionnelles ont ainsi pris la décision de retirer ces élèves de l’activité, afin de permettre à d’autres d’en bénéficier, pour lesquels cela aurait plus de sens. Lara explique que, pour l’un de ces deux élèves, il y avait un « aspect phobique » (ligne 1722) qu’elle aurait trouvé

« intéressant de creuser » (ligne 1724) lors de séances de thérapie individuelle. Elle raconte que l’enfant avait « extrêmement peur » (ligne 1733) du cheval, au point de ne pas du tout pouvoir s’approcher de l’animal et de se retrouver submergé par une angoisse telle qu’il développait des comportements d’opposition difficilement gérables dans un groupe.

Nous pouvons faire le lien entre ces propos et les apports des différents auteurs étudiés précédemment à propos des comportements problématiques des élèves (Gaudreau, 2011 ; Lacroix & Potvin, 2009 ; Lagacé, 2001). Les difficultés comportementales observées et évoquées ici par les professionnelles interrogées semblent en effet être directement liées à la situation dans laquelle l’élève s’est trouvé, et représentent une réaction face à celle-ci, élaborée, si l’on puit dire, par l’élève en fonction de sa compréhension de la situation, de l’expérience qu’il réalise dans ce contexte donné (Lagacé, 2001), et des moyens à sa disposition pour gérer et exprimer les éventuelles émotions ressenties. Dans la situation provoquée par cette activité avec le cheval, se trouver confronté à cet animal semblait provoquer de fortes angoisses chez cet élève, et être au-delà de ses capacités, du moins à ce moment précis. En effet, il nous semble important de garder à l’esprit qu’une perspective interactionniste et contextuellement située implique également une perspective évolutive, tant dans l’espace que dans le temps. Ainsi, si la dynamique de la situation

115 s’est avérée inadéquate et inconfortable pour cet élève à ce moment-là, peut-être que, comme Lara l’évoque, cet élève aurait pu bénéficier d’une approche du cheval dans un autre contexte et une temporalité différente : par exemple, hors du cadre scolaire (celui-ci imposant malgré tout, par sa forme, toujours certaines règles et attentes spécifiques, conscientisées ou non par les élèves et les professionnels), sous une autre forme (par exemple une prise en charge individuelle), ou encore avec des adaptations différentes.

Les élèves du CMP 2 formant le groupe définitif ont tous montré une forme d’appréhension à l’approche de l’animal lors de la première séance. Ils le regardaient mais craignaient quelque peu de s’en approcher. Alexandra raconte qu’ils se sont d’abord dirigés vers le plus petit cheval. Lara explique :

Certains enfants vont avoir besoin de beaucoup de temps pour juste s’acclimater à l’animal qui fait peur et puis d’autres ils vont pas du tout avoir peur donc il va falloir mettre un petit peu les freins pour qu’ils soient un petit peu plus modérés dans leur approche du cheval. (lignes 359-362)

Deux élèves ont ensuite rapidement montré un grand enthousiasme : « ils vont, ils veulent lui faire des câlins, c’est tout de suite mettre la bombe » (Alexandra, ligne 161). Un élève s’est d’ailleurs vite attribué le matériel utilisé (la bombe) et un cheval : « y en a un il dit c’est mon cheval quoi c’est le petit G. il dit toujours ah bah Tess c’est ma ponette et y a personne qui peut monter dessus […] Si y a quelqu’un il se fâche ! » (Alexandra, lignes 427-431). Elodie explique qu’un autre élève, avec un trouble du spectre de l’autisme et non verbal, exprime son excitation et son contentement d’être sur le cheval en le pinçant et le tapant lors du début de la séance ; ensuite, il s’apaise, se détend, et peut par exemple « bailler » (Lara, ligne 457). Alexandra raconte qu’une autre élève,

« très craintive » (ligne 174), se montre d’abord « très crispée » (ligne 176), tenant fort la main des professionnelles et serrant beaucoup les jambes autour du cheval ; puis, elle se détend. Pour leur élève qui présente une hypotonicité et une grande lenteur, Alexandra remarque que, dès qu’ils arrivent à l’activité, « on a l’impression qu’elle a une pile 200 volt […] C’est une pile électrique, alors vraiment le contraste il est énorme hein » (lignes 613-618).

Prenons maintenant un peu de distance avec ces résultats. Si les professionnelles interrogées mettent en évidence qu’une première réaction des élèves face au cheval est souvent la crainte, nous pouvons faire émerger de leurs propos que celle-ci semble s’estomper assez rapidement.

Outre cette première réaction des élèves, les professionnelles mettent en évidence des comportements d’élèves différant de ceux observés dans le cadre institutionnel. Par exemple, l’élève habituellement très craintive et crispée parvient à se détendre une fois sur le dos du cheval.

L’élève hypotonique et très lente développe, dans ce contexte précis, une grande tonicité, devient

116 bien plus active. Quinet (1995) met en effet en évidence que le cheval a une fonction de régulation de la tonicité ; une adaptation stimulante de la pratique (proposer des allures plus vives et des changements de direction fréquents) entraîne une réorganisation de la conduite du participant, le corps de celui-ci devant s’adapter aux mouvements du cheval (Pelletier-Milet, 2010). De plus, une adaptation du matériel utilisé peut avoir un impact bénéfique dans cette modification du tonus. Lara évoque à ce propos avoir proposé à l’élève en question de monter avec une selle sans étriers et même un surfaix (ce qui s’est avéré insuffisamment contenant), dans le but de stimuler la tonicité et l’activité de cette élève. Finalement, les professionnelles évoquent avoir observé de la part des enfants des réactions d’ouverture à l’autre et de développement de lien affectif vis-à-vis de l’animal dans ce contexte précis d’activité avec le cheval. Jollinier (1995a) développe en effet la notion de capital sympathie propre au cheval et explique à quel point celui-ci est en général aisément investi affectivement par l’être humain. Les réactions des élèves face au cheval vont dans ce sens, manifestant d’un enthousiasme et d’un investissement affectif particulier vis-à-vis de l’animal.

5.3.3 La transformation des manières de faire, des attitudes, du comportement des