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Transferts des conceptions religieuses

Dans le document Fondements des civilisations de l’Asie (Page 174-180)

La route de la soie et la communication

Carte 14.1. La Route de la Soie, de Chang’an à la Méditerranée

14.8. Transferts des conceptions religieuses

Pratiquement toutes les grandes idées religieuses ont circulé à travers l’Asie centrale, mais il ne s’est pas simplement agi de transit. De très importantes installations religieuses se sont développées à Kuqa,Hotan,Turpan, et Dun Huang, et ont servi de relais et d’interfaces linguistiques. La confrontation entre diverses philosophies y a été forte, tantôt pacifique entre bouddhistes ou manichéens, tantôt sauvage et dévastatrice comme l’islamisation forcée de Timur Lang.

14.8.1. Le bouddhisme

Partant de l’Inde, la religion a progressé en Asie centrale suivant les deux routes qui contournent le désert de Taklamakan par le Sud et par le Nord.

Au Sud, autour de l’oasis de Hotan, le bouddhisme apparaît au Iersiècle avant J.-C., introduit par l’empire Koushan. Puis, à partir de 260, un centre de traductions du sanscrit en chinois y privilégie la version « Mahayana », développée à cette époque-là par Nagarjuna. Le culte des bottisatvas et le tantrisme viennent du Cachemire au IVesiècle. Un rapport précis sur ces événements en 401 nous est fourni par le pèlerin Fa Xian et est confirmé par Xuan Zang en 644, qui relève la présence dans l’oasis de plus de 5 000 moines.

Une interaction décisive se produit lorsque les Tibétains occupent la région de

670 à 692 et y apprennent le bouddhisme de masse. Toute cette activité cesse avec la poussée islamique des Karakhanides en 1032.

Au Nord, autour de Kuqa, les textes bouddhiques apportés par les voyageurs sogdiens concernent plutôt le « Hinayana » et ce sont eux qui, les premiers, vont aller jusqu’en Chine. Kuqa devient un centre de transferts entre écrits indiens et chinois et se développe sous la férule d’un grand maître, Kumarajiva (344 à 413). La ville se couvre de stupas et de couvents.

C’est l’époque où le bouddhisme déferle à la cour des Wei du Nord (à partir de 440).

Cependant, dès le IVesiècle, on trouve en Chine l’école de méditation issue du Dhyana indien et que l’on appelle « Chan » en Chine (Zen au Japon), ainsi que des points de vue intermédiaires entre hinayana et mahayana. Puis le bouddhisme en Chine suit un chemin très différent en raison du succès de l’« amidisme » prêché à partir de 402 par Hui Yuan (334 à 417), en s’inspirant du sutra du Lotus. Cette interprétation permet, grâce à une illumination subite, d’éviter les aléas des réincarnations et d’accéder directement à un paradis de l’Ouest.

À partir de 840, les Ouighurs, venus de l’Est après la prise épisodique de Luo Yang à la faveur de la révolte d’An Lu Shan et installés depuis dans le bassin de Turpan, abandonnent le manichéisme pour le bouddhisme.

À côté de Dun Huang, où les deux routes du Taklamakan se rejoignent, se développe de 360 à 1100 un extraordinaire ermitage, Mogao, comportant des centaines de grottes décorées. L’endroit est totalement abandonné au moment Figure 14.2. Grottes de Mogao (Dun Huang) : Bouddha de la dynastie des Wei du Nord (386).

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où les barbares Xi Xia occupent la route et redécouvert seulement en 1905 par Aurel Stein.

14.8.2. Le manichéisme

Mani (ou Manès) naît à Babylone vers 215. La doctrine qu’il prêche ne rencontre pas d’opposition de la part des fondateurs de la dynastie sassanide : Ardéshir (226 à 241) et Shapur Ier (241 à 272). Mais leur successeur, Bahram Ier, sous l’influence des prêtres Mazdéens, arrête net l’expansion de cette foi en mettant Mani en prison, où il meurt en 276.

Le manichéisme comporte deux principes, le Blanc et le Noir, le Bon et le Méchant, qui luttent l’un contre l’autre en trois Moments : au début des temps ils étaient bien séparés, maintenant ils se mélangent et à la fin des temps ils seront à nouveau séparés.

Les croyants sont guidés par les Parfaits (ou Élus), dont l’ascèse est très grande et qui accèderont à la lumière éternelle après leur mort. Les Auditeurs (les fidèles) s’essayent à la perfection et devront subir des réincarnations. Ils doivent jeûner pendant un mois avant la fête du Béma (passion de Mani). Les incroyants finissent dans les ténèbres.

Cette religion est florissante sous les califes abbassides et, un moment, se développe vers la Méditerranée et est adoptée par les Bogomiles en Yougoslavie et les Cathares1 en France.

1 Les Cathares seront la cible de la croisade contre les Albigeois dirigée par Simon de Montfort, à la demande du pape Innocent II. Ils seront anéantis en 1244, au bûcher de Montségur.

Figure 14.3. Fresque manichéenne de Bäzaklik.

Mais son expansion se fait surtout vers l’Est grâce aux marchands sogdiens, dont l’écriture devient celle des livres sacrés manichéens (il s’agit de l’araméen écrit verticalement). À partir de 694, des temples manichéens sont fondés en Asie centrale et même dans la capitale, Luo Yang. Nous avons déjà vu que le Kaghan des Ouighurs, Boughour, avait fait du manichéisme sa religion d’État, lors de la prise de Luo Yang, et le transporta ensuite vers l’Ouest où un centre important se développa à Kotcha près de Turpan.

Le manichéisme en Chine n’a cependant pas survécu aux persécutions des religions étrangères instaurées par les Tang à partir de 840.

14.8.3. Le christianisme nestorien

Après la condamnation de l’évêque Nestorius en 432 par le concile d’Éphèse, ses partisans fondent des universités, à Édesse d’abord puis à Nisibe, en zone sassanide, où s’exerce en liberté une grande activité de traduction de tous les classiques grecs en syriaque, langue proche de l’araméen. La doctrine, qui ne diffère de la version officielle que sur la nature de Jésus, a la faveur de commerçants qui jouent le rôle de missionnaires, encadrés par des prêtres pris parmi eux et pouvant se marier.

Solidement installée en Sogdiane, la religion progresse vers l’Est : un évêque est nommé chez les Huns en 549, chez les Turcs en 644, un peu plus tard au Tibet. Une église est consacrée dans la capitale chinoise de l’époque, Chang’An, par des prêtres venant de Bactriane. Des fresques ornées de la

« croix chaldéenne » à quatre branches égales sont fréquentes sur la route de la soie (branche Nord) et à Turpan.

14.8.4. Le mazdeïsme

La religion indo-européenne développée en Iran (voir le chapitre 6 sur les Indo-Européens) a été profondément réformée par Zarathustra (voir le chapitre 19 sur la saison des prophètes), qui l’a rendue monothéiste. Elle se développe largement sous les Achéménides, révisée toutefois par ses prêtres que l’on nomme les mages. Elle devient la religion officielle sous le régime sassanide. Elle est caractérisée par ses Temples de lumière où est entretenu un feu éternel représentant Ahura-Mazda. On trouve de tels temples en ruines sur toute la route de la soie et même jusqu’à Luo Yang. Cependant, cette religion ne concurrencera jamais en Chine les précédentes.

À l’heure actuelle, elle subsiste encore en Iran et dans l’ouest de l’Inde, représentée par une communauté importante à Bombay. Elle se manifeste par des Tours du silence, grandes constructions en bois où l’on expose les morts pour qu’ils soient dévorés par les vautours.

14.8.5. Le judaïsme

L’installation d’une peuplade turco-mongole au nord de la mer Caspienne, près de l’embouchure de la Volga, conduit à la formation d’un royaume qui

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s’étend jusqu’au pied du Caucase au sud et jusqu’au fleuve Donetz à l’ouest : c’est le royaume Khazar, florissant de 640 à 960. La singularité de ce pays a été sa conversion au judaïsme vers 750. Il est d’ailleurs possible que seules les élites se soient converties, harcelées par l’Islam au sud et par les Orthodoxes byzantins à l’Ouest. Quoiqu’il en soit, ce peuple très commerçant exerça une liaison importante entre la Chine, par la branche nord de la route de la soie, et l’Europe de l’Ouest, par son trafic avec les Rus’ le long de la Volga, du lac Ladoga et de la mer Baltique.

En parallèle avec une vaste importation de porcelaine, on peut leur attribuer l’introduction en Europe de techniques telles que : l’arbalète, le collier de cheval, le gouvernail d’étambot, comme nous l’avons vu plus haut.

Malgré la destruction de l’État khazar par le grand-duché de Kiev en 960, une certaine activité religieuse Juive subsiste longtemps en Asie centrale et une synagogue est même ouverte à Kaifeng (capitale de la dynastie chinoise des Song) en 1163.

14.8.6. L’islam

L’islam a joué et continue de jouer un grand rôle en Asie centrale. Après une première tentative de conquête, stoppée par l’armée Tang en 751 sur le Talas, l’islam reprend l’avantage à travers le royaume karakhanide de Kachgar à partir de 1032. Puis il est stoppé par les Karakhitai en 1130 et ensuite par les Mongols, jusqu’aux offensives de Timur Lang (1363 à 1405), Turc fanatique qui, depuis Samarkand, islamise de force toutes les oasis jusqu’à celle de Dun Huang, à l’Est. Cette période s’accompagne de la construction de nombreuses mosquées, et des marchands en construiront même une dans l’ancienne

Figure 14.4. Cour de la mosquée de Chang’an.

capitale chinoise Chang’An. Les Ouighurs, qui avaient abandonné le manicheïsme pour le bouddhisme dans le bassin de Turpan, changent à nouveau et se convertissent à l’islam. Ils constituent actuellement la plus importante minorité religieuse de Chine.

14.8.7. Les Missions catholiques

Ces Missions ont été peu nombreuses sur la route de la soie, et l’influence catholique s’est plutôt exercée par la route maritime (avec les Jésuites François Xavier et Matteo Ricci dès la fin du XVIesiècle). Cependant, pendant l’hégémonie mongole, le pape Innocent IV et le roi de France, Saint Louis, essayèrent de sceller une alliance avec les Mongols pour prendre à revers les Arabes de Terre Sainte. Ils dépêchèrent des missionnaires Franciscains à la capitale mongole de l’époque Karakorum, au Nord du désert de Gobi. Ceux-ci échouèrent dans leur mission mais rapportèrent de nombreuses informations scientifiques et techniques, en particulier la formule de la poudre à canon, comme nous l’avons vu.

Cette voie de communication a cessé à la chute de l’empire mongol Yuan en 1368, et n’a pu être doublée plus au Nord en raison des prétentions russes à l’exclusivité de la Sibérie dès le règne de Pierre le Grand (1682 à 1725).

PARTIE III

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