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Les inventions sumériennes

Dans le document Fondements des civilisations de l’Asie (Page 61-66)

La roue, l’écriture, la métallurgie

Carte 5.1. Le Croissant fertile et les grands ouvrages hydrauliques

5.4. Les inventions sumériennes

Sumer a été le théâtre de plusieurs inventions capitales pour l’ensemble de l’humanité. Grâce à la situation centrale du pays dans l’Eurasie et aux facilités de déplacement dans le continent, ces inventions ont pu diffuser et entrer dans le patrimoine de tous les Eurasiens. Ce sont la roue, l’écriture et la métallurgie.

5.4.1. La roue

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La mise au point de la roue est celle du mécanisme d’articulation de la roue mobile à la caisse fixe du chariot. Les premières roues sont de petite dimension (diamètre de 60 cm) et constituées de deux ou trois planches accolées. Elles apparaissent à Sumer vers –3500. On en trouve ensuite en Élam et Assyrie vers –3000, puis dans la vallée de l’Indus en –2500. La roue apparaît vers –2000 en Crête et en Russie méridionale, en –1800 en Anatolie, en –1600 en Égypte, en –1500 en Grèce, en –1400 en Chine du Nord. Elle reste complètement inconnue dans les continents sans connexion avec l’Eurasie.

La roue équipe des charrettes à deux roues ou des chariots à quatre roues.

Ces véhicules sont invariablement munis d’un timon central pour atteler, par paires, bœufs ou onagres. L’essieu est fixe par rapport aux roues et roule sous le châssis en glissant, tenu en place des deux côtés par deux ergots. Cette structure est immédiatement démontable si la route vient à manquer (ce qui est fréquent au début de leur développement). Par exemple, un bas-relief néo-assyrien de la période du roi Sénnachérib (vers –700) montre des soldats traversant une rivière en portant les uns le tablier, les autres l’essieu et ses roues. Cependant, le frottement est considérable et nécessite une grande force de traction.

Les Sumériens ont été les premiers à utiliser des chariots de guerre montés par plusieurs hommes et, malgré leur lourdeur et leur lenteur, ceux-ci ont

1 Voir L’Asie, source de sciences et de techniques, M. Soutif, EDP Sciences, 1994, p. 125 et suivantes.

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représenté en plaine un avantage décisif. Progressivement, les roues ont été renforcées par des clous en cuivre sur le chemin de roulement (à Ur et à Kish à partir de –2000), ou même par une bande continue de cuivre (à Suse vers –2000).

La grande révolution s’est faite quand le bronze a permis d’utiliser des moyeux et des essieux métalliques dont le frottement, s’ils sont convenablement lubrifiés, est très faible. Cette amélioration, jointe à l’apparition de roues légères à rayons, a permis aux Indo-Européens d’Asie centrale de construire des chars de guerre attelés de deux chevaux dont la vitesse en a fait une arme décisive. L’emploi de cet ensemble apparaît vers –1900 au Nord de l’Inde et de l’Iran. Il sera largement utilisée par les Égyptiens du Nouvel Empire (à partir de –1590) et par les Chinois (après –1400).

La roue à rayons reste malgré tout très fragile jusqu’à l’invention par les Chinois, vers –400, de l’écuanteur (rayons alternativement inclinés dans un sens et dans l’autre par rapport au plan de la roue).

5.4.2. L’écriture

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Les Sumériens parlaient une langue d’origine inconnue, monosyllabique, ayant quatre voyelles et quatorze consonnes. Il y avait donc une grande quantité d’homophones.

À partir de –3500, le développement d’une activité commerciale spécialisée a nécessité l’usage d’aide-mémoire comptables. Il apparaît alors des signes pictographiques dessinés sur des tablettes d’argile à l’aide d’une pointe effilée ou d’un poinçon rond (pour les chiffres). Ce sont des étiquettes, des petits textes commerciaux, mais surtout des bulles enveloppes. Ces bulles, en argile durcie au feu, renferment des petits cailloux de formes diverses, traduisant les chiffres de la transaction, tandis que l’extérieur de l’enveloppe porte la marque des contractants.

C’est également à Uruk que naissent environ 2 000 signes, pictogrammes plus ou moins schématiques. Ceux-ci peuvent représenter un tout par une partie, comme la femme notée par un triangle pubien. De même, une cause peut être représentée par son effet ou réciproquement : ainsi les femmes esclaves s’écrivent par le signe précédent complété de trois petites pointes figurant les montagnes où elles étaient en général capturées.

Ces signes, assez clairement figuratifs en –3200, pivotent de 90 ° en –2800, par suite d’un changement de la position de la tablette dans la main du scribe, puis vont être schématisés par des coins poinçonnés par une baguette taillée en biseau et leur forme primitive disparaît complètement : c’est l’écriture cunéiforme.

À côté de cette écriture basée sur la signification pictographique se développe à Kiš et Lagaš une écriture phonétique dans laquelle les dessins

2 Voir L’Asie, source de sciences et de techniques, M. Soutif, EDP Sciences, 1994, p. 125 et suivantes.

précédents ne représentent plus l’objet dessiné, mais le son de sa prononciation sumérienne : ainsi la flèche, dessinée comme l’objet, représente le son correspondant à son nom, ti, et interviendra pour partie dans certains noms comme ti-bi-ra (nom venu de l’étranger et signifiant forgeron). On trouve également une graphie phonétique pour noter le pluriel:-me.

Cette dualité, jointe à l’homophonie des monosyllabes, crée des causes d’erreurs considérables. Pour éviter les incompréhensions se développe alors à Ur et à Suruppak la pratique des déterminatifs. Ce sont des signes spécifiques qui ne se prononcent pas, mais permettent de catégoriser le registre sémantique des mots auxquels ils s’appliquent, et qui sont placés juste après : ainsi, une étoile signifie que le mot qui la suit est celui d’un dieu.

Pendant longtemps l’usage de l’écriture a été réservé à la comptabilité et au commerce. Plus tard apparaissent les inscriptions royales, pour la fondation de monuments, par exemple.

La première légende écrite, celle de Gilgames, date d’environ –2000.

Sans doute un peu après les Sumériens, les Égyptiens ont inventé leur écriture.

Elle est basée sur exactement les mêmes principes : pictogrammes (hiéro-glyphes), prenant parfois des valeurs phonétiques, usage de déterminatifs.

Y a-t-il eu influence de Sumer sur l’Égypte ? Les conditions de vie dans le delta du Nil devaient être semblables à celles de la Basse Mésopotamie vers –3000 mais, si contact il y a eu, il n’en reste aucune trace car le delta de cette époque est profondément sous le niveau actuel et totalement inaccessible.

La partie phonétique de ces écritures qui a posé tant de problèmes à Champollion en Égypte (1830) et à Rawlinson à Sumer (1857) est celle qui, à travers l’alphabet protosinaïtique, puis ougaritique, a conduit à la solution phénicienne, mère de tous les alphabets occidentaux. On mesure ainsi l’importance de cette découverte sumérienne.

5.4.3. La métallurgie

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Quelques rares métaux existent à l’état natif et ont été utilisés très précocement.

-Le cuivre

Il est utilisé sous forme martelée dès le neuvième millénaire, puis sous forme fondue vers –6000 à Catal Höyük, en Anatolie.

-Le fer

Celui qui provient des météorites permet aux Sumériens de faire des bijoux.

C’est le « métal du ciel ». Les météorites de fer contiennent en effet du nickel qui les rend inoxydables.

3 Voir L’Asie, source de sciences et de techniques, M. Soutif, EDP Sciences, 1994, p. 111 et suivantes.

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-L’or

Les pépites recueillies dans les cours d’eau ont été utilisées un peu partout telles quelles, puis travaillées dès le cinquième millénaire.

Sous leur forme native, ces métaux ne posent pas de problèmes d’obtention, mais ils sont peu répandus, car la plupart des gisements métalliques sont sous forme de combinaisons chimiques stables. La métallurgie proprement dite est une transformation chimique, née au Moyen-Orient, qui a ensuite diffusé dans toute l’Eurasie, mais seulement en Eurasie.

C’est de cette découverte fondamentale qu’est née la puissance militaire de ce continent et son avance sur les autres parties du monde.

Métallurgie du cuivre

Le minerai est assez répandu au Moyen-Orient (Sinaï, Chypre…) et est facile à détecter par sa couleur : il est vert pour l’oxyde (cuprite), vert ou bleu pour les hydrocarbonates (malachite, azurite), noir pour les sulfures (surtout chalcopyrite, CuFeS2).

Le traitement utilisé dès –3000 en Mésopotamie et en Anatolie consiste à chauffer le minerai avec du charbon de bois dans une sorte de bas-fourneau.

Le rôle du combustible est double : il porte l’ensemble à une température élevée favorisant la réaction et produit de l’oxyde de carbone CO qui réduit l’oxyde à l’état de métal.

Si l’on veut qu’à la suite de la réaction le métal coule, ce qui le sépare des impuretés, il faut atteindre la température de 1 083 °C, ce qui est assez difficile. Cependant, si on part de dérivés sulfurés, on se borne à en oxyder une partie et on laisse ensuite se faire la réaction exothermique :

CuS + 2CuO = SO2 + 3Cu

Naturellement, les objets cassés ou usés sont soigneusement recyclés dans des moules ouverts (dès –3000 à Uruk).

Le cuivre est un nouveau matériau, complètement différent de la pierre par sa plasticité, et du bois par sa résistance. Des outils en cuivre, écrouis par martelage, des clous de fixation, des feuilles minces revêtant du bois, profitent de ces qualités.

Cependant, un dérivé du cuivre, un alliage, va rapidement se révéler encore meilleur et le supplanter : c’est le bronze.

Le bronze

La plupart des minerais de cuivre renferment en plus ou moins grande quantité des impuretés telles que l’antimoine, le plomb, l’arsenic, ou l’étain.

Cela conduit à des alliages, involontaires au départ : un peu d’étain en Anatolie, du plomb et de l’antimoine en Mésopotamie. La présence dans les sulfures de cuivre de sulfoarséniates (comme l’énargite Cu3AsS) favorisent un moment les bronzes à l’arsenic, qui ont d’excellentes qualités mécaniques

mais sont mortels pour les métallurgistes. Finalement, le bronze à l’étain, de propriétés équivalentes, est unanimement accepté.

Les propriétés du bronze dépendent du pourcentage d’étain :

- de 0 à 13 %, l’alliage est une solution solide réversible, de dureté moyenne, mais de température de fusion décroissant rapidement avec le taux d’étain ; - de 13 à 20 %, la trempe conduit à un alliage facile à usiner, et un réchauffement au-dessus de 520 °C, suivi d’un refroidissement lent, donne un produit très dur ;

- de 20 à 30 %, l’alliage fond à des températures de 800 à 700 °C, favorables à des moulages compliqués, et présente une très belle sonorité (cloches).

Les armes en bronze, pointes de lance ou de flèche, épées, haches, sont résistantes et conservent leur tranchant. Les essieux et paliers en bronze des chars sont faciles à lubrifier. Au total, ce métal apporte une supériorité militaire considérable dont les Indo-Européens, après les Sumériens, sauront profiter largement.

La société civile est également modifiée par l’apparition du bronze. Tout d’abord, les métallurgistes sont des travailleurs hautement qualifiés que doit nourrir le travail paysan. Mais le bronze est un produit très cher, qui ne peut faire l’objet d’un simple troc contre de la nourriture. Il doit transiter par des utilisateurs riches (temples ou armées), ce qui conduit à des circuits commerciaux complexes.

Ensuite, la rareté de l’étain, souvent en provenance du plateau iranien, oblige à des échanges à longue distance par des caravanes, donc des transporteurs là encore spécialisés (par exemple, vers –1900, des caravanes d’ânes circulent entre l’Assyrie et le marché de Kanesh en Anatolie et préfigurent l’importance que prendra plus tard le monde Hittite).

La diffusion du bronze à travers l’Eurasie

Le bronze est déjà bien présent vers –2600 à Alaça Höyük, au Nord de l’Anatolie. On y trouve une tête d’étendard représentant trois bœufs dans un cercle (devenue un des symboles de la République turque). De là, il passe au Nord, et les ancêtres des Indo-Européens, dans la basse Volga, l’adaptent à leurs chars de guerre.

Les chars et les chevaux sont introduits en Égypte par les envahisseurs Hyksos qui, grâce à eux, font tomber le Moyen Empire et dirigent le pays de –1700 à –1550. Les Hyksos sont des Asiatiques qui ont été chassés du Nord du Croissant fertile par des Indo-Européens qui y pénètrent en venant probablement de Bulgarie. C’est au contact de ces derniers que les Hyksos ont appris l’usage militaire du char.

Les Chinois n’ont jamais utilisé le cuivre seul ; or l’on trouve des objets en bronze très élaborés au début de la dynastie Shang, en –1530. La forme des lances et des haches, l’art animalier, tout montre que la technique du bronze est arrivée en Chine par la steppe, déjà très maîtrisée. Elle provient très

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certainement de la civilisation indo-européenne d’Andronovo qui, à cette époque, s’étendait de l’Oural au lac Baïkal. Un réchauffement local de l’Asie centrale a eu lieu de –1600 à –1250 et a fait reculer la taïga au Nord du 60eparallèle, mettant alors en contact l’Ouest et l’Est, et apportant, par cette voie de communication, le bronze et le cheval aux Chinois.

5.5. Évolution politique depuis la première période

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