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La science arabe du temps des Abbassides

Dans le document Fondements des civilisations de l’Asie (Page 129-133)

Bagdad et les mathématiques

Carte 11.1. Expansion de l’Islam après la mort du Prophète

11.9. La science arabe du temps des Abbassides

La science arabe n’est pas sortie tout droit du désert. Elle a largement utilisé la position du Moyen-Orient au carrefour des connaissances grecques et indo-iraniennes.

La plupart des ouvrages grecs sont parvenus en Irak par une voie détournée : lorsque le concile d’Éphèse en 432 condamne l’évêque Nestorius, celui-ci se réfugie à Édesse, alors sous domination sassanide, et fonde une école qui entreprend systématiquement de traduire les manuscrits grecs en syriaque, langue dérivée de l’araméen. Puis, lorsqu’une offensive byzantine reprend Édesse, cette école migre à Nisibe, restée sous contrôle sassanide. C’est donc à ce christianisme nestorien que l’on doit de connaître la plupart des textes grecs qui nous sont parvenus.

De même, à travers l’Iran arrivent à Bagdad les « siddhanta », textes des mathématiciens et astronomes indiens, rédigés en sanscrit. Ces travaux sont souvent imprégnés de tradition grecque venue, avant l’islam, par le canal de la civilisation gréco-bactrienne.

Cet ensemble de connaissances est activement traduit en arabe dans la bibliothèque de la Maison de la sagesse. Au besoin, des textes grecs importants sont achetés à prix d’or aux Byzantins pour la bibliothèque.

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Al Mamun favorise le mu’tazilisme, islam tolérant et imprégné de rationalisme. Dans ce cadre, il cherche « à accroître le prestige et le rayonnement de l’islam, et à apporter à travers la science de nouvelles confirmations de la grandeur de Dieu ». L’action de Al Mamun se développe essentiellement sous forme d’un mécénat d’État, mais celui-ci entraîne un large mécénat privé qui devient un phénomène de société.

Le droit musulman crée la notion de bien « habou », usufruit laissé par un riche défunt pour une école ou des étudiants nécessiteux.

11.9.1. L’astronomie

L’astronomie arabe revêt une grande dynamique de développement dès le début, même avant l’islam. Trois besoins ont contribué à cet essor :

- une très grande confiance dans l’astrologie et dans ses prédictions ;

- de nouveaux besoins religieux : déterminer les heures exactes de prière le jour et la nuit ainsi que la direction de La Mecque pour les prières et l’orientation des mosquées ;

- enfin, un besoin scientifique de comprendre le mouvement des astres et de le calculer.

Parmi les traductions fondamentales du sanscrit en arabe, celles de MuhammadAl-Fazari doivent être signalées. Elles portent sur les œuvres de Aryabhâta et de Brahmagupta qui ouvrent aux Arabes le calcul trigonométrique.

Parmi les traductions grecques, il y a avant tout les œuvres de Ptolémée.

Elles sont traduites par un astronome, Thabit ibn Qurra, et par un chrétien nestorien de langue syriaque, Ishaq ibn Hunayn (qui traduit aussi Platon, Aristote, Hippocrate, Galien…). L’ouvrage de base de Ptolémée reçoit le nom de Al-Magisti, dont nous avons fait Almageste. Ils traduisent également du même auteur le Livre des Hypothèses.

À partir de ces traductions, de très nombreuses tables sont calculées ; puis viennent des commentaires critiques, et enfin de nombreuses observations individuelles sont effectuées. C’est ainsi que Ibn Yunus du Caire fait, sur le mont Muqatham, en l’an 1000, les observations qui le conduisent à son célèbre livre, Tables Hakémites (nommées ainsi en hommage au calife fatimide Al-Hakim). À la même époque sont mis au point des instruments de calcul comme la Sphère Armillaire et l’Astrolabe.

Le premier observatoire construit en dur pour toute une équipe n’a cependant vu le jour qu’en 1259, financé par le Mongol Hülagü ! Il a été installé en Iran, au sud de l’Elbourz, à Maragha, mais son premier directeur est un Arabe, Nasir Al-Tusi, et ses collègues venaient de Damas, de Shiraz, et d’aussi loin que l’Espagne ou la Chine. Le deuxième observatoire de ce type est créé en 1420 à Samarkand par le petit-fils de Timur Lang, Ulugh Beg; il accueille d’éminents astronomes comme Al Kashi. Signalons à ce propos que

le premier observatoire européen, Uraniborg, n’a été fondé qu’en 1576, au Danemark.

Parmi tous les astronomes arabes, certains sont plus connus pour leurs activités dans d’autres disciplines ; nous allons trouver en mathématiques Al Khworismi et en physique Ibn al Haytham, qui ont cependant joué un rôle en astronomie. À cette époque, les disciplines n’étaient pas cloisonnées et certains savants étaient polyspécialisés. Il faut noter à ce propos que ces savants communiquaient entre eux, à travers tout l’espace islamique, grâce au papier, qui joue également un rôle essentiel dans la diffusion des traductions.

Cette invention chinoise (Caï Lun, en 107) est parvenue à la connaissance de l’islam grâce à des prisonniers chinois faits à la bataille du Talas en 751. La première fabrique du monde arabe a été construite à Samarkand dès 753, très vite doublée par une autre à Bagdad.

11.9.2. Les mathématiques

Comme pour l’astronomie, les mathématiques arabes ont commencé par des traductions. Une des plus fréquentes est celle des Éléments d’Euclide, connus sous le nom de « Kitab al-Usul ». La première traduction est celle de Al Hajjaj; ensuite vient celle de Ishaq ibn Hunayn, déjà nommé. Ont également été fréquemment traduites les œuvres d’Archimède : Le Livre de la sphère et du cercle ainsi que La mesure du cercle (calcul de π).

Dans ces domaines, la théorie grecque et son aspect complètement achevé n’ont pas laissé place à beaucoup de novations, sauf dans un domaine pratique, celui de l’arpentage,où le travail des frères Banu Musa (IXesiècle), ingénieurs iraniens, fait partout autorité au Moyen Âge.

Il en va tout autrement en arithmétique. À partir du travail de Diophante et des traductions d’Aryabhâta, l’usage nouveau de la notation décimale de position, appelée calcul indien, al-Hisab al-Hindi, apporte une véritable révolution.

Al Khworizmi (780 à 850) ouvre une nouvelle discipline de calcul avec inconnues. Le raisonnement est systématisé et les différents types d’équations sont regroupés en équations canoniques. La solution supérieure de l’équation du second degré est établie par un raisonnement géométrique qui ne doit rien aux Grecs. L’ouvrage le plus connu d’Al Khworizmi (nom d’où est tiré celui d’algorithme) est le KITAB AL JABR WA’L MUQABALA,Livre de la restauration et de la réduction. C’est l’ouvrage fondateur d’une nouvelle discipline née à Bagdad : l’algèbre, nom dérivé de Al Jabr.

Al Khworizmi a eu de nombreux successeurs, dont les travaux ne nous sont pas tous parvenus. Parmi eux, Al Karaji a eu de nombreux élèves : Omar Al Khayyam (le poète des Rubbeiyat, 1048 à 1122), Sharaf Al Tusi (théorie des équations cubiques), Ibn Mun’im et Al Kashi (théorie de l’approximation).

C’est également Al Kashi, astronome à Samarkand, qui a systématisé la transformation des fractions en décimales, suivant la méthode chinoise. Ce système ne sera adopté en Europe qu’après Ch. Rudolff, en 1530.

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La trigonométrie sphérique, sous l’impulsion des astronomes, donne lieu à de nombreux travaux, complétant la tradition indienne. Mais c’est un nouveau domaine, la « combinatoire », que les Arabes font émerger à partir de problèmes littéraires : linguistique, lexicographie, grammaire et poésie. Un auteur maghrébin du XIIIe siècle cité ci-dessus, Ibn Mun’im fait, dans le Fiqh al-Hisab (la science du calcul), un bilan des travaux arabes dans ce domaine : permutations, combinaisons, coefficients du triangle.

11.9.3. La physique

Les sources arabes de la physique sont essentiellement grecques, mais beaucoup plus dans l’esprit d’Archimède que dans celui d’Aristote. On peut même dire que la tendance à l’expérimentation du premier a été largement développée en Islam et que, dans les domaines de la mécanique et de l’optique, les Arabes sont les précurseurs de la science européenne.

La mécanique

En statique, l’étude des centres de gravité est étendue aux systèmes de solides liés rigidement. Les balances ont été perfectionnées et de nombreux types de balances hydrostatiques ont été construits pour la mesure des masses spécifiques, en particulier celles des alliages d’or et de métaux précieux. Des livres d’Al Biruni (973 à 1048) et de Omar Al Khayyam (déjà cité) sont consacrés à ce problème.

Dans l’étude du mouvement, les Arabes ne sont pas sortis des théories d’Aristote (fausses), malgré un intéressant effort de Ibn Sina (980 à 1037), plus connu comme médecin sous le nom européen d’Avicenne.

Dans la réalisation de mécanismes, Al Jazari (XIIesiècle) utilise des dispositifs de liaison tels que courroies et bielles-manivelles, totalement inconnus en Europe mais déjà très largement développés en Chine et probablement transmis à travers l’Asie centrale.

L’optique

À Bagdad, un des premiers traducteurs de la Maison de la sagesse, Ibn Luqa, s’intéresse à la propagation en ligne droite et aux postulats d’Euclide. Son contemporain,Al Kindi, tout en maintenant l’hypothèse grecque de la vision exercée grâce à un rayon émanant de l’œil, effectue de véritables expériences sur l’émission provenant d’objets éclairés et sur l’usage des miroirs ardents (miroirs concaves).

Cependant, toutes les idées reçues sont balayées par Ibn Al Haytham (955 à 1039), né à Basra et vivant au Caire. Dans le Kitab al Manazir (Livre de l’optique), il montre expérimentalement, en disséquant des yeux de ruminants, que l’œil est un capteur qui reçoit la lumière mais n’en émet pas. Il étudie alors l’émission par des lampes à large mèche et par des corps éclairés. Ce travail est véritablement fondateur de l’optique scientifique. Il remet en doute les

expériences de réfraction de Ptolémée et même son système astronomique, pourtant universellement admis1.

Transmis un siècle plus tard à Oxford par Witelo, un moine, ce travail déterminera la contribution essentielle à la théorie des lentilles fournie par Roger Bacon.

La chimie

Il s’agit essentiellement d’alchimie, sous-tendant la recherche de la transmutation des métaux. Cependant, un certain nombre de produits d’utilité industrielle ont été bien étudiés, comme l’alun (pour le mordançage des tissus avant teinture), les acides inorganiques, nitrique, chlorhydrique, sulfurique, ou des matériaux comme le verre. Le travail le plus connu est celui de Jabir Ibn Hayyam (mort en 815), nommé Géber en Europe. Celui-ci, malgré beaucoup de magie et de religion, veut ramener toute la chimie à des lois de quantité et de mesures dans « les livres des balances ». Il recherche soigneusement toutes les applications de sa chimie à la pharmacopée, à la teinture ou à la métallurgie.

On peut dire que toute l’alchimie européenne du Moyen Âge provient de l’Islam, et pourtant les Arabes ne croyaient pas tous à la transmutation. En particulier, cette recherche a été vivement combattue par Al Kindi, Ibn Sina ou Ibn Khaldum.

Des produits techniques comme le verre, pourtant connu dès l’antiquité, ont été étudiés et renouvelés grâce à l’Islam. En effet, le royaume chrétien d’Antioche, qui a subsisté quelques temps après la chute de Jérusalem (jusqu’en 1260), a développé avec des spécialistes musulmans l’art de la verrerie et a vendu ses connaissances à Venise, d’où la célébrité de Murano.

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