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Section 1 – La famille structurelle juridique

C) La reconnaissance d’un lien juridique établi à l’étranger

2) La transcription d’un jugement établissant la filiation d’un enfant né par

126. La parenté de substitution – La gestation pour autrui est un procédé particulier qui est

aujourd’hui principalement mis en œuvre grâce aux techniques de l’assistance médicale à la procréation1. La particularité de cette méthode tient en ce que l’intervention d’un tiers remet en question

l’adage mater semper certa est, qui reconnaît comme mère juridique la femme qui accouche et se fonde sur l’impossibilité qu’une autre femme soit génétiquement liée à l’enfant. La gestation pour autrui vient abîmer cette certitude. Les progrès techniques permettent en effet aujourd’hui de distinguer la femme qui porte et accouche de l’enfant, la gestatrice ou mère porteuse, de la femme qui donne ses ovules et sera donc biologiquement reliée à l’enfant, la mère d’intention. Dans certaines hypothèses, la mère porteuse peut également avoir donné son patrimoine génétique. Ces hypothèses multiplient les personnes impliquées dans la conception d’un enfant et imposent une règlementation permettant d’identifier celles qui seront finalement désignées parents juridiques de l’enfant à naître. Les législations nationales divergent fortement sur la manière d’encadrer la question de la parenté de substitution. Les questions touchant au caractère gratuit de ces conventions, à la faculté pour la mère porteuse de garder l’enfant ou encore à la possibilité pour la mère porteuse d’être à la fois gestatrice et génitrice ne trouvent pas de réponses uniformes. Certains États, comme la France, interdisent formellement le recours aux mères porteuses2. Le Code civil québecois frappe, quant à lui, de nullité

absolue les conventions prévoyant une gestation pour autrui3.

La question qui se pose régulièrement devant la Cour européenne des droits de l’homme est celle de la transcription4 d’un jugement étranger instituant une filiation à la suite de la conclusion d’un

1 Voir supra § 35.

2 Voir art. 16-7 C. civ. : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ».

Voir également l’article 227-12 du Code pénal.

3 Pour le Québec, voir art. 541 C. civ. Q. : « Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue ». La pratique des mères porteuses n’est pas interdite par le

gouvernement fédéral. Ce dernier interdit que les mères porteuses soient rémunérées. Voir M.D. CASTELLI et D. GOUBAU, Le droit de la famille au Québec, Presses de l’Université Laval, Sainte-Foy, 5e éd., 2005, pp. 231-232.

4 La transcription est la « copie sur les registres de l’état civil de certains actes dressés en un autre lieu ou du dispositif de certains jugement » : G. CORNU (ss. dir), Vocabulaire juridique, op. cit.

contrat de gestation pour autrui. Dans l’affaire Mennesson contre France1 de 2014, les parents

d’intention ont eu recours à un contrat de mère porteuse aux États-Unis en raison de l’infertilité de la femme. Deux fillettes sont nées d’un don d’ovocyte anonyme fécondé par les gamètes de l’homme. Un acte de naissance a été dressé en Californie, indiquant que les parents d’intention étaient les parents légaux des enfants, la mère porteuse ayant renoncé à tous droits parentaux à leur égard. De retour en France, les parents d’intention ont voulu obtenir une transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger, ce que l’administration française refusa.

La Cour européenne distingue à cet égard la situation des parents d’intention, qu’elle traite sous l’angle du respect de la vie familiale et celle des enfants, qui est analysée au regard du respect de la vie privée. S’agissant des premiers, les juges strasbourgeois ont vérifié que les juridictions françaises avaient examiné les conséquences concrètes de l’absence de reconnaissance en France du lien structurel juridique établi à l’étranger2. Celles-ci ne mettaient pas en danger la cellule familiale et

n’imposaient pas de difficultés insurmontables aux parents3. Il semble ici, que les parents ayant

sciemment choisi d’aller à l’encontre de leur droit national pour procréer, doivent assumer les conséquences d’un tel choix. Les difficultés qu’ils rencontrent, tant qu’elles n’empêchent pas l’exercice effectif de leur vie familiale, constituent une charge résultant de leur volonté propre4. S’agissant des

enfants, la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir rappelé que la filiation avait une influence importante sur l’identité d’une personne5, retient la violation du respect de leur vie privée du

1 CEDH, Affaire MENNESSON c. FRANCE, Requête no 65192/11, 24 juin 2014, AJDA 2014, p. 1763, chron. L.

BURGORGUE-LARSEN ; D. 2014, p. 1797, note F. CHÉNEDÉ ; D. 2914, p. 1773, chron. H. FULCHIRON et C. BIDAUD- GARON ; D. 2014, p. 1787, obs. P. BONFILS et A. GOUTTENOIRE ; D. 2014, p. 1806, note L. D’AVOUT ; D. 2015, p. 702, obs. F. GRANET-LAMBRECHTS ; D. 2015, p. 755, obs. J.-C. GALLOUX et H. GAUMONT-PRAT ; D. 2015, p. 1007, obs. REGINE, Recherches et études sur le genre et les inégalités dans les normes en Europe ; D. 2015, p. 1056, obs. H. GAUDEMET-TALLON et F. JAULT-SESEKE ; AJ fam. 2014, p. 499, obs. B. HAFTEL ; AJ fam., p. 396, obs. A. DIONISI- PEYRUSSE ; RDSS 2014, p. 887, note C. BERGOIGNAN-ESPER ; Rev. crit. DIP 2015, p. 1, note H. FULCHIRON et C. BIDAUD-GARON ; Rev. crit. DIP 2015, p. 144, note S. BOLLÉE ; RTD civ. 2014, p. 616, obs. J. HAUSER ; RTD civ. 2014, p. 835, obs. J.-P. MARGUÉNAUD.

2 Ibid., § 93. 3 Ibid., § 92.

4 « Au-delà de la solution d’espèce, la Cour adresse donc un message aux particuliers : quelle que soit la compassion qu’elle peut éprouver pour les personnes, la Cour n’est pas là pour valider au nom des droits de l’homme le fait accompli en violation du droit interne et des principes du droit international » : H. FULCHIRON, « De l’illicite peut-il naître un droit ? », JCP G 2017, no 12, pp. 566-570. Ces réflexions ont été tenues à propos d’une affaire similaire : CEDH, Affaire PARADISO ET CAMPANELLI c. ITALIE, Requête no 25358/12, 24 janvier 2017, JCP G 2017, 323, note H. FULCHIRON ; D. 2017,

p. 897, note L. DE SAINT-PERN ; D. 2017, p. 663, chron. F. CHÉNEDÉ ; D. 2017, p. 729, obs. F. GRANET- LAMBRECHTS ; D. 2017, p. 781, obs. J.-C. GALLOUX et H. GAUMONT-PRAT ; D. 2017, p. 1011, obs. H. GAUDEMET- TALLON et F. JAULT-SESEKE ; AJ fam. 2017, p. 301, obs. C. CLAVIN ; AJ fam. 2017, p. 93, obs. A. DIONISI-PEYRUSSE ;

D. 2017, p. 1727, obs. P. BONFILS et A. GOUTTENOIRE ; RTD civ. 2017, p. 335, obs. J.-P. MARGUÉNAUD ; RTD civ.

2017, p. 367, obs. J. HAUSER.

fait de l’impossibilité de voir leur filiation reconnue ou établie en France à l’égard de leur père1. Cette

situation est, à ses yeux, encore plus grave étant donné que le père était biologiquement relié aux fillettes. Dans cette affaire, la famille structurelle des enfants n’était pas reconnue par les différents États, ce qui impliquait une distorsion de leur identité et une différence de traitement, notamment en ce qui touchait aux effets successoraux. Pour certains auteurs, en admettant la violation de la Convention à l’égard de la situation des parents, « la Cour européenne des droits de l’homme prend parti en faveur d’une validation indirecte de la GPA par la reconnaissance en France du lien qui rattache l’enfant à son père »2

Au-delà de la question de la transcription d’un jugement étranger, l’affaire Mennesson contre France, et plusieurs affaires subséquentes3, en ce qu’elles interrogent la concordance entre famille

structurelle juridique et famille structurelle biologique, permettent de réfléchir à la définition du lien structurel biologique.