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Section 1 – La famille structurelle juridique

A) Le mariage

3) Les effets du mariage

104. La possibilité de mettre en place des effets propres au mariage – La Cour

européenne des droits de l’homme et la Cour suprême du Canada admettent facilement que les législateurs possèdent la faculté de mettre en place des effets propres au mariage. Cette union, en tant que statut juridique, justifie la mise en place d’un régime particulier pour les époux. Cette distinction entre les personnes mariées et les autres formes de couple trouve son fondement dans le consentement donné par les époux le jour de la célébration du mariage. En exprimant de manière explicite et publique leur volonté de contracter mariage, les époux acceptent de se voir appliquer les droits et obligations prévus par le législateur.

La Cour européenne et la Cour suprême du Canada estiment que la différence de situations observée entre les couples mariés et non mariés n’est pas en elle-même discriminatoire. Plus que cela, elles reconnaissent comme légitime la volonté étatique de favoriser, renforcer et plébisciter l’institution du mariage en mettant en place des effets positifs et des avantages réservés aux couples mariés.

L’interrogation sur la réalité du choix d’opter pour le mariage2 pose la question de la légitimité

de réserver l’application du régime juridique protecteur qu’est celui du mariage aux seuls époux. En effet, si l’on considère qu’une personne vivant en concubinage n’a pas nécessairement “choisi” de rester en dehors des liens du mariage, il paraît injuste de lui refuser la protection qu’implique le statut d’époux. Cette question a donné lieu à de nombreux débats au Québec et au Canada, à propos de l’affaire Québec (Procureur général) c. A3 de 2013. Dans cet arrêt, une femme, A, ayant vécu sept

années en couple avec un homme, B, demande l’application de certaines règles du mariage. Les ex- conjoints de fait en question ont eu plusieurs enfants ensemble. Ils ne se sont jamais mariés, car B

1 « L’union matrimoniale évolue au fil du temps. On achète et on vend des maisons et d’autres biens ; un des conjoints obtient une promotion ou perd son emploi ; des enfants naissent ; des accidents se produisent, ou un membre de la famille tombe malade. Ces événements, comme d’autres, sont rarement prévus et dûment négociés au départ. Par ailleurs, les conjoints ne peuvent prévoir qui apportera quelle contribution au mariage. Par conséquent, même les adultes les plus intelligents sont incapables d’évaluer les engagements en cause dans toute entente portant sur les conséquences d’une rupture qui se produira seulement après d’importants changements au sein de la relation » : NOUVELLE-ÉCOSSE

(PROCUREUR GÉNÉRAL) c. WALSH, préc., § 146. 2 Voir supra § 96.

3 QUÉBEC (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. A, préc. L’affaire a notamment été présentée dans la presse sous le nom d’« Éric c. Lola ».

refusait de se soumettre à l’institution du mariage et estimait qu’il ne pourrait l’envisager que pour légitimer une longue relation. Après leur séparation, l’ex-conjointe demande à bénéficier d’une prestation compensatoire et du partage du patrimoine familial1 en raison de la similitude de son union

avec le mariage et de son absence de liberté dans le choix de se marier.

Cette affaire a permis d’avancer une résolution nouvelle de cette problématique. En effet, certains auteurs2 ont proposé la mise en place d’un système d’opting-out, ce qui modifierait la situation

patrimoniale de tous les couples, peu importe leur statut juridique. L’idée est d’appliquer à tous les couples vivant ensemble un régime commun réglant le sort des biens à la séparation. Ce faisant, le lien juridique ne déterminerait plus les effets de l’union, mais la situation factuelle de cohabitation entraînerait quant à elle des conséquences. Ce régime serait donc la conséquence de la vie commune et serait alors détaché d’un hypothétique consentement à l’adhésion d’un statut juridique. Cette notion de « vie commune » devrait être précisée, et une certaine durée serait à exiger pour que le système puisse s’appliquer. Ce système de l’opting-out aurait comme principal bénéfice de ne pas doublement pénaliser une personne qui ne pourrait pas contracter un mariage en raison du refus de son compagnon. En effet, les priver de certains bénéfices tels que la pension alimentaire, apparaît détaché de l’objectif même de la mise en place de cette mesure qui tend à combler « les besoins découlant de la rupture d’une relation d’interdépendance créée pendant la vie commune »3. Or, une telle situation

d’interdépendance ne se limite pas aux couples mariés mais apparaît dans des hypothèses de vie commune d’un couple. Ce n’est donc pas le statut du couple qui crée ce besoin mais leur situation factuelle, quelle qu’elle soit.

Dans un système d’opting-out, il est possible d’envisager que les conjoints de fait auraient la possibilité de sortir de ce régime d’office en exprimant leur commun consentement à ne plus être soumis à ces règles. Les époux ne disposeraient pas nécessairement de cette faculté, le consentement donné au jour de la célébration du mariage permettant de considérer comme volontaire le fait d’être

1 Au Québec, à la dissolution du mariage, les époux se voient partager entre eux et à parts égales le logement de famille, les versements de retraite.

2 H. BELLEAU, « D’un mythe à l’autre : de l’ignorance des lois à la présomption du choix éclairé chez les conjoints en union libre », préc.

3 « Si la justification juridique de la pension alimentaire repose, entre autres, sur la satisfaction des besoins découlant de la rupture d’une relation d’interdépendance créée pendant la vie commune, il est difficile d’imaginer pourquoi les conjoints de fait qui pourraient ne pas avoir été libres de choisir d’officialiser par un mariage ou une union civile leur relation avec leur conjoint, mais qui vivent par ailleurs avec celui-ci comme une “unité familiale”, ne pourraient pas avoir droit à une pension alimentaire. Pour une telle personne, la faculté qu’ont les parties, selon le procureur général, de choisir de se marier ou de s’unir civilement, n’en est pas vraiment une » : QUÉBEC (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. A, préc., § 396, juge

soumis à des règles contraignantes. Les avantages d’un tel système sont nombreux. Tout d’abord, cet opting-out est extrêmement protecteur des couples, tout particulièrement du membre du couple le plus vulnérable, le refus de se marier étant pour certains justifié par la volonté de ne pas partager son patrimoine à la rupture de l’union. Cette option est notamment jugée souhaitable par certaines écoles féministes, en ce que les statistiques1 prouvent que les femmes sont les plus touchées financièrement

par une rupture. Ce fort taux de paupérisation des familles monoparentales féminines2 s’explique dans

la mesure où les femmes ont encore souvent aujourd’hui un travail moins bien rémunéré que leur compagnon. De plus, elles obtiennent souvent la garde des enfants communs, ce qui, malgré le versement d’une pension alimentaire par le père, peut les placer face à des dépenses plus lourdes.

Un tel système connaît également ses détracteurs. En effet, imposer un régime juridique touchant aux biens à toutes les personnes uniquement en raison de leur cohabitation semble juridiquement manquer de rigueur et contrevenir au principe de liberté de chacun3. Il est difficile

d’imaginer imposer un régime juridique aux personnes n’ayant pas clairement donné leur consentement à être soumis à un tel régime. Ainsi, le juge Bastarache dans l’arrêt Nouvelle-Écosse c. Walsh de 2002, estime, à propos d’une proposition d’opting-out concernant la Matrimonial Property Act (MPA)4, que « [c]ette proposition pose problème à mon avis en ce qu’elle supprime la liberté de

chacun de décider de prendre un tel engagement au départ. Même si la liberté de se marier s’avère parfois illusoire, faut-il pour autant écarter la liberté de choix de l’individu et lui imposer un régime destiné aux personnes qui se sont engagées de façon non équivoque, notamment à former l’association à parts égales décrite dans la MPA ? »5.

C’est donc l’automatisme du régime qui met certains juristes mal à l’aise. De plus, ce système d’opting-out impliquerait une diminution des spécificités entre les différents statuts de couple qui pourrait être lue comme une diminution de la richesse du droit de la famille ce qui n’offrirait plus de statut adapté à chaque situation6. Pour autant, le système d’opting-out pourrait être considéré comme

1 Voir notamment D. FOX et M. MOYSER, Le bien-être économique des femmes au Canada, Statistique Canada, 16 mai 2018, p. 12.

2 Voir supra § 38.

3 Notamment la liberté de s’engager librement et explicitement. 4 Matrimonial Property Act, R.S.N.S. 1989, ch. 275.

5 NOUVELLE-ÉCOSSE (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. WALSH, préc., § 57, juge Bastarache.

6 « En assimilant toutes les unions de fait à des mariages légaux en ce qui a trait aux obligations alimentaires et au partage des biens, on fait abstraction des circonstances très différentes dans lesquelles les personnes peuvent décider de vivre en union de fait. Si elles décident de se marier, elles exercent concrètement le choix de s’assujettir à un type de régime. Si

un socle de protection de base commun à tous les couples. Le juge Bastarache, dans l’arrêt Nouvelle- Écosse c. Walsh résume la problématique très efficacement en estimant qu’« imposer le régime créé par la loi à une personne qui choisit de ne pas se marier et ce, rétroactivement, pourrait s’avérer autant une source d’injustice qu’un moyen d’y remédier »1.

Cette question de l’existence d’une réelle liberté de se marier ou non emporte donc des conséquences non négligeables. Surtout, elle pousse à la réflexion et oblige le législateur à procéder à des choix sociétaux importants. Dans cette problématique, la liberté s’oppose à la protection. Ces deux notions ont souvent été présentées comme étant antagonistes : faut-il laisser le choix aux individus ou exiger de l’État la mise en place d’un régime plus protecteur ?

105. Les effets patrimoniaux et extrapatrimoniaux du mariage – Il n’est pas question dans

ces développements d’étudier en détail tous les effets du mariage. En effet, ces derniers diffèrent d’un pays à l’autre et leur étude ne servirait pas la démonstration faite ici. Toutefois, il est essentiel, pour percevoir l’importance donnée à la famille structurelle, de comprendre que certains liens juridiques, comme le mariage, confèrent aux personnes qui y sont soumises des avantages et des contraintes. La volonté de lutter contre la discrimination n’empêche pas de faire des distinctions en fonction du statut conjugal ou plus généralement familial. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour suprême du Canada met en avant les conséquences du mariage sur les époux.

La protection de l’institution du mariage ne peut être complète qu’en apportant une attention particulière à l’aspect patrimonial de celle-ci. Le mariage, en effet, n’est pas seulement compris comme « une union de personnes », mais comme « une union économique partielle ou une association

elles choisissent de ne pas se marier, appartient-il à l’État de leur imposer rétroactivement un régime qui ressemble au mariage ? (M. Eichler, Family Shifts : Families, Policies and Gender Equality (1997), p. 96).

Faire abstraction de ces différences parmi les couples vivant en union libre tient pour acquises une intention et une perception communes qui n’existent tout simplement pas. Pareille attitude neutralise, en fait, la liberté de chacun de choisir un type de famille non traditionnelle et de voir ce choix respecté et légitimé par l’État », Ibid., § 43, juge Bastarache.

Voir également le juge McLachlin, dans QUÉBEC (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. A, préc., § 435 : « La distinction entre les

couples mariés ou unis civilement et les conjoints de fait créée par le modèle québécois à deux régimes distincts vise la promotion du libre choix et de l’autonomie de tous les conjoints au Québec en ce qui a trait au partage des biens et au soutien alimentaire. Ceux qui choisissent de se marier ou de s’unir civilement choisissent les mesures protectrices – mais aussi les obligations – qui découlent de leur statut. Ceux qui font plutôt le choix de l’union de fait se soustraient aux mesures de protection ainsi qu’aux obligations prescrites par l’État et sont libres de structurer leur relation de couple sans être confinés aux règles du régime obligatoire applicable aux conjoints mariés ou unis civilement ».

d’intérêts »1. Cette vision de la Cour suprême du Canada est partagée par la Cour européenne qui

estime que la protection des intérêts patrimoniaux des époux est inhérente à la protection du mariage lui-même. Dès 1979, avec l’affaire Marckx c. Belgique2, la Cour européenne des droits de l’homme a

établi que les rapports successoraux entre deux individus d’une même famille devaient être préservés au même titre que la possibilité de se marier. Le volet économique du mariage permet en effet de donner à ce dernier une effectivité, ce qui correspond aux objectifs de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour suprême du Canada.

Le privilège donné au mariage se répercute sur la structure de la famille qu’il crée. Ainsi, vis-à- vis des enfants, le mariage est souvent synonyme d’une situation privilégiée par rapport au statut des enfants nés de parents non mariés. La distinction de la famille légitime et naturelle a longtemps prévalu en droit. Ainsi, « les enfants des conjoints de fait ou “enfants naturels” étaient privés d’un certain nombre de droits octroyés aux “enfants légitimes”, soit ceux dont les parents étaient mariés […] les enfants naturels ne pouvaient hériter de leurs parents à moins que ceux-ci n’aient testé en leur faveur »3. Si le mariage permet d’établir des différences entre les individus, pour qu’une telle distinction

soit maintenue, elle ne doit pas être considérée comme discriminatoire. Or, eu égard aux enfants, les juges seront particulièrement attentifs à ce que les intérêts de ces derniers soient suffisamment protégés. Dès lors, ils admettront plus aisément qu’une distinction à leur encontre est discriminatoire4.