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Section 1 – Le juge face à une société évolutive

B) L’instabilité des formes familiales

1) La famille monoparentale

37. Une difficile définition de la famille monoparentale – La monoparentalité englobe

diverses situations dans lesquelles un enfant est élevé par un seul adulte. Cette configuration, qui est aujourd’hui loin d’être anecdotique2, est susceptible d’avoir plusieurs origines3.

Elle peut tout d’abord être la conséquence du choix d’une personne d’avoir un enfant seule, telle l’hypothèse d’une adoption par un célibataire. Plus généralement, la monoparentalité englobe des configurations où une personne élève seule un enfant à la suite du décès du second parent ou de la rupture de l’union parentale. Ainsi, la monoparentalité peut être comprise dans une acception élargie.

1 H. CAGLAR, Les familles monoparentales : matricentriques et patricentriques, hétéro et homosexuelles, coll. Psychologiques, l’Harmattan, Paris Torino Budapest, 2010, p. 57.

2 Au Canada, en 2016, près de 2 enfants sur 10 vivaient au sein d’une famille monoparentale. Voir Portrait de

la vie familiale des enfants au Canada en 2016, Statistique Canada, 2017, p. 5. En Europe, « la part des familles monoparentales est passée de 14 % à 19 % entre 1996 […] et 2012. Seuls deux pays échappent à ce mouvement, la Grèce et la Finlande, où la part de familles monoparentales a diminué » : M.-C. LE PAPE, B.

LHOMMEAU et É. RAYNAUD, Les familles monoparentales en Europe : de nouvelles façons de faire famille

pour de nouvelles normes ?, Insee Références, Couples et familles, 2015, p. 28.

3 Cette remarque s’applique aussi à l’hypothèse de la famille recomposée : « Les familles monoparentales ou recomposées à la suite du décès d’un parent, d’une séparation ou d’un divorce ne sont pas des phénomènes nouveaux. Ces familles sont toutefois plus nombreuses et plus diversifiées qu’avant. Par exemple, une proportion croissante d’enfants vivent au sein d’une famille monoparentale avec leur père, une situation plus rare il y a quelques décennies », voir Portrait de la vie familiale des enfants au Canada en 2016, préc., p. 1.

À titre d’exemple, à la suite d’une rupture du couple parental, alors même que les parents conservent tous deux leurs prérogatives juridiques, il arrive fréquemment que les liens entre les enfants et l’un des parents, en général le père, se distendent, voire se rompent. De ce fait, de nombreuses familles sont uniquement monoparentales en pratique.

Le vécu des personnes vivant en famille monoparentale diffère largement selon l’origine de la monoparentalité. C’est pourquoi il est possible d’estimer que « le concept de monoparentalité recouvre une diversité de situations familiales hétérogènes »1. Phénomène touchant majoritairement les

femmes2, la monoparentalité patricentrique a tendance à se développer depuis quelques années3.

La famille monoparentale n’est pas une configuration familiale récente, elle a de tout temps existé. Mais elle revêtait une forme différente autrefois4. En effet, une telle configuration se révélait être

la conséquence d’un décès, souvent celui de la mère qui décédait en couche, ou résultait d’une grossesse hors mariage5. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la société tolère les familles monoparentales

constituées d’un veuf ou d’une veuve, mais désapprouve celles créées hors mariage, « assimilées à une faute ou à un péché »6. Dans les sociétés postmodernes, la famille monoparentale semble plus

largement tolérée et admise, quelle que soit l’origine de la monoparentalité. Elle est par ailleurs souvent perçue comme une étape transitoire dans la vie des individus plus encore que comme un état durable7.

En effet, « la monoparentalité se banalise, résultat de l’action conjointe de plusieurs facteurs : diminution des tabous sexuels, nouveaux rapports entre les hommes et les femmes, rejet du mariage traditionnel, refus de la caution institutionnelle, nouvelles formes d’organisation familiale, union libre et cohabitation notamment, nombre élevé de séparations et de divorces, doute quant à la solidité du lien de conjugalité, maîtrise de la contraception et, surtout, aisance économique des femmes qui ont

1 H. CAGLAR, Les familles monoparentales, op. cit., p. 9.

2 Au Canada, « en 2016, 81,3 % des enfants âgés de 0 à 14 ans dans les familles monoparentales

vivaient avec leur mère, tandis que 18,7 % vivaient avec leur père », voir Portrait de la vie familiale des enfants au Canada en 2016, préc., p. 3. En Europe, « près de neuf familles monoparentales sur dix ont à leur tête une femme », voir Les familles monoparentales en Europe : des réalités multiples, Études et résultats no 66, DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des

statistiques), France, juin 2000, p. 2.

3 H. CAGLAR, Les familles monoparentales, op. cit., p. 8.

4 Familles monoparentales : le nouveau visage d’un ancien phénomène, Statistique Canada, 2015.

5 M.-C. LE PAPE, B. LHOMMEAU et É. RAYNAUD, Les familles monoparentales en Europe : de nouvelles façons de faire famille pour de nouvelles normes ?, préc., p. 27.

6 H. CAGLAR, Les familles monoparentales, op. cit., p. 14. 7 Ibid., p. 57.

accédé aux études universitaires ou qui ont bénéficié d’une formation professionnelle poussée et sont en mesure d’assumer une parentalité solitaire et, enfin, célibat forcé des femmes possédant une « dote culturelle » élevée »1.

38. Les difficultés à surmonter pour les familles monoparentales – Le parent placé à la

tête d’une famille monoparentale doit faire face à plusieurs difficultés d’ordre pratique. Des études ont démontré que les familles monoparentales éprouvaient plus de difficultés financières que les familles biparentales2. Ce constat vaut aussi bien pour les hypothèses de monoparentalité faisant suite à un

décès que pour celles découlant d’une séparation. En effet, dans cette dernière configuration, le parent ayant la charge principale de l’enfant sera souvent plus sollicité financièrement. De même, si le droit tente d’évaluer au mieux les besoins de l’enfant, notamment au moment de fixer le montant de la pension alimentaire du parent qui ne vit pas avec lui, il est de toute évidence impossible de prévoir l’ensemble des dépenses et frais afférents à l’éducation de l’enfant.

Si d’une manière générale, la situation des femmes dans les sociétés occidentales s’est largement améliorée, de récentes études ont démontré qu’elles subissaient plus fortement la pauvreté que les hommes. Le fait que les femmes soient encore très majoritairement en charge des enfants après une séparation constitue l’un des facteurs expliquant cette féminisation de la pauvreté. À cela s’ajoute encore dans de nombreux systèmes, une différence de salaire à travail égal entre l’homme et la femme. Cette inégalité est accentuée par un retrait temporaire ou définitif de la femme du marché du travail pour mettre au monde des enfants3.

Au-delà de ces questions économiques, l’adulte monoparental doit parvenir à éduquer seul son enfant. Cette situation peut également être douloureusement vécue par les enfants, qui n’ont plus qu’une seule figure parentale au quotidien. Le parent doit donc faire face à des évènements délicats,

1 Ibid., p. 55.

2 À titre d’exemple, en Europe en 2004, « les familles monoparentales européennes ont en moyenne

un niveau de vie inférieur de 11 % à celui des ménages avec enfants comptant un seul actif, de 23 % à celui de l’ensemble des ménages avec enfants, et de 27 % à celui de l’ensemble des ménages » : Familles monoparentales en Europe, Dossier d’études no 54, CAF (Caisse d’allocations familiales),

France, 2004, p. 22.

qu’il s’agisse de la gestion du deuil par les enfants de leur second parent ou de l’acceptation de la séparation. Pourtant, la monoparentalité n’est pas nécessairement un état pérenne et l’adulte séparé ou veuf peut former un nouveau couple, créant de fait une famille recomposée.