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Section 1 – La famille structurelle juridique

C) La reconnaissance d’un lien juridique établi à l’étranger

1) L’exequatur d’une adoption internationale

125. La reconnaissance d’une adoption prononcée à l’étranger – Les procédures

d’adoptions internationales, en mettant en relation des citoyens de différentes nationalités, soulèvent certaines difficultés en cas d’incompatibilité entre les lois du pays du parent adoptif et de celui de l’enfant adopté. La Cour européenne des droits de l’homme a dû se pencher à plusieurs reprises sur la question de la force exécutoire d’une décision rendue à l’étranger. En effet, pour autoriser l’exécution d’un jugement d’adoption prononcé à l’étranger, il faut que le requérant en demande l’exequatur1.

Dans l’affaire Wagner et J.M.W.L. contre Luxembourg2 de 2007, une femme célibataire a adopté

une enfant péruvienne. Le droit luxembourgeois n’autorisant pas l’adoption par une personne seule, elle ne parvient pas à obtenir l’exequatur de la décision étrangère créant son lien structurel juridique avec sa fille adoptive. Son lien de filiation est donc reconnu comme un lien structurel juridique au Pérou mais pas au Luxembourg, où la famille vit. À cet égard en effet, le gouvernement luxembourgeois estime qu’il lui appartient de décider qui, entre « la famille monoparentale ou celle composée de deux parents »3 doit avoir l’autorisation d’adopter. À ses yeux, la seconde famille apparaît comme la plus

« apte à protéger l’enfant »4. Cette limitation des personnes capables d’adopter aurait pour but légitime

de protéger l’enfant, qui aurait, dans une famille biparentale, deux parents pouvant l’aider à pleinement s’épanouir5. Le gouvernement ne précise pas s’il s’agit d’un couple hétérosexuel uniquement ou si

l’adoption par un couple de même sexe est envisageable. À l’inverse, pour la mère juridique, il apparaît être dans l’intérêt de son enfant de voir son lien de filiation avec sa fille reconnu par le Luxembourg.

La Cour européenne des droits de l’homme n’impose pas au gouvernement luxembourgeois de reconnaître de plein droit une adoption valablement prononcée au Pérou, mais estime au contraire que l’exigence d’une procédure d’exequatur permet de vérifier qu’une adoption est conforme au droit national6. Pour autant, elle estime que le refus d’exequatur du jugement d’adoption prononcé au Pérou

est contraire à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’aux articles 8 et 14 combinés du même texte. La question dans cette affaire porte principalement sur la nécessité de reconnaître juridiquement une filiation créée à

1 L’exequatur est une « injonction émanant d’une autorité d’un État qui a pour vertu d’incorporer à l’ordre juridique étatique qu’elle représente un élément extérieur à celui-ci » : G. CORNU (ss. dir), Vocabulaire juridique, op. cit., V° « Exequatur ». 2 WAGNER ET J.M.W.L. c. LUXEMBOURG, préc.

3 Ibid., § 115. 4 Ibid. 5 Ibid., § 146. 6 Ibid., § 126.

l’étranger, ce qui renvoie à l’importance du lien structurel juridique entre un parent et son enfant. La relation entre un parent et son enfant est en effet primordiale et l’État doit agir de manière à ce que ce lien soit reconnu juridiquement. La Cour estime que « là où l'existence d'un lien familial avec un enfant se trouve établie, l'État doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et accorder une protection juridique rendant possible l'intégration de l'enfant dans sa famille »1. Ainsi, le lien structurel

juridique est vu comme une protection du lien de fait entre le parent et son enfant. L’importance de la famille structurelle juridique apparaît ici dans son entièreté. Elle protège les liens familiaux qu’elle admet et leur permet de ce fait, de déployer pleinement leurs effets. Les avantages qui découlent d’une telle reconnaissance sont nombreux, tant au niveau de l’accès à la nationalité de l’enfant adopté, de la possibilité qui lui est offerte de résider de manière permanente sur le territoire, d’y travailler à l’avenir, qu’au niveau de ses droits successoraux vis-à-vis de son parent adoptif. Finalement, le refus d’exequatur empêche une « intégration complète »2 de l’enfant dans sa famille adoptive. La Cour

reprend d’ailleurs le raisonnement d’une chambre de la Cour d’appel du Luxembourg qui avait estimé, dans une affaire similaire, nécessaire « de donner à l'enfant le statut le plus favorable »3.

En l’espèce, les conséquences de ce refus de reconnaissance de la famille structurelle juridique créée au Pérou sont d’autant plus graves que les liens de l’enfant avec sa famille d’origine sont définitivement rompus. En effet, l’enfant a été placé dans un orphelinat suite au décès de sa mère biologique et des mauvais traitements qu’elle a subis de sa famille d’origine4. L’enfant se retrouve donc

dans un vide juridique, le jugement d’adoption prononcé au Pérou ayant définitivement rompu ses liens juridiques avec sa famille d’origine, et sa nouvelle famille structurelle étant inefficace du fait du refus d’exequatur par le Luxembourg, sa mère adoptive étant alors juridiquement considérée comme une étrangère. Dans cette espèce, apparaît un démembrement de la filiation. La femme qui s’occupe effectivement de l’enfant remplit auprès d’elle les fonctions de la famille, elle est donc famille fonctionnelle. Pourtant, elle n’est pas reconnue comme famille structurelle juridique au Luxembourg, du fait du refus de l’exequatur, mais est considérée comme telle au Pérou. Le statut de cette femme et de l’enfant sont donc confus et compliqués par la dimension internationale de l’adoption.

1 Ibid., § 119.

2 Ibid., § 132. 3 Ibid., § 134. 4 Ibid., § 103.

La question de l’exequatur d’un jugement d’adoption prononcé à l’étranger a donné lieu à une autre affaire, s’agissant cette fois de l’adoption d’un majeur. Dans l’arrêt Négrépontis-Giannissis contre Grèce1 de 2011, un oncle avait adopté aux États-Unis son neveu. Au décès de l’oncle, devenu parent

adoptif, les frères et sœurs du de cujus contestent le lien de filiation créé par adoption et estiment être les héritiers de leur frère. Les juridictions grecques donnent raison aux frères et sœurs du défunt et refusent de reconnaître la validité de l’adoption prononcée à l’étranger. Dans son argumentation, la Cour européenne des droits de l’homme souligne que le refus du gouvernement grec de faire produire des effets à l’adoption valablement prononcée à l’étranger a perturbé la vie privée et familiale du majeur adopté2. Ainsi, elle souligne une fois encore l’importance d’un statut familial unifié et reconnu par toutes

les autorités étatiques. Dans cette affaire aussi, l’importance de la protection juridique d’un lien familial est mise en exergue, ce qui explique pourquoi de nombreuses personnes s’en remettent à la justice pour voir leurs relations familiales juridiquement reconnues. La problématique tenait ici en ce que le père adoptif était un ecclésiastique et que, selon une interprétation des lois en vigueur en Grèce, un religieux ne pouvait pas adopter. La Cour européenne des droits de l’homme estime que l’adoption célébrée entre l’oncle est son neveu reflétait un réel lien d’affection entre eux et rappelle que « bien que le droit d’adopter ne figure pas en tant que tel au nombre des droits garantis par la Convention, les relations entre un adoptant et un adopté sont en principe de même nature que les relations familiales protégées par l’article 8 »3. La remise en cause de l’adoption par les collatéraux du père

adoptif intervenait plus de 20 ans après la création de la famille structurelle juridique, pour des raisons patrimoniales liées à l’héritage de ce dernier.

Ces deux affaires traitent de situations très différentes. La première concerne l’adoption d’un mineur dont les liens avec la famille d’origine étaient rompus, et la seconde, l’adoption intrafamiliale d’un majeur où rien ne laissait entendre qu’il n’y avait plus de liens entre le père d’origine et l’adopté4.

Pourtant, dans ces deux hypothèses, le refus de prononcer l’exequatur a été jugé contraire à l’article 8 de la Convention de sauvegarde. Plus récemment, la Cour européenne a dû trancher diverses affaires

1 CEDH, Affaire NEGREPONTIS-GIANNISIS c. GRÈCE, Requête no 56759/08, 3 mai 2011, D. 2012, p. 1228, obs. H.

GAUDEMET-TALLON et F. JAULT-SESEKE ; Rev. crit. DIP 2011, p. 817, étude P. KINSCH ; JDI 2012, p. 213, note DIONISI-PEYRUSSE ; JCP 2011, 839, no 28, obs. Y. FAVIER.

2 Ibid., § 58.

3 Ibid., § 55. Dans le même paragraphe, la Cour poursuit en rappelant que « L’adoption confère à l’adoptant les mêmes droits et obligations à l’égard de l’adopté que ceux d’un père ou d’une mère à l’égard de son enfant légitime ».

4 Dans l’affaire Négrépontis-Giannissis, le requérant estime que la reconnaissance de sa relation avec son père adoptif n’imposait pas une rupture de ses relations avec ses parents biologiques. Ibid., § 52.

touchant à la question de la transcription d’un jugement établissant la filiation d’un enfant né par gestation pour autrui à l’étranger.

2) La transcription d’un jugement établissant la filiation d’un enfant