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Section 1 – La famille structurelle juridique

A) Le mariage

2) L’indisponibilité de l’état matrimonial

96. La liberté partielle de contracter mariage – L’état matrimonial échappe souvent au

contrôle d’une personne7. En effet, la volonté de se marier peut être empêchée par l’état du droit

national qui, en Europe et au Canada, conditionne l’accès au mariage (a). De plus, parce qu’il est une union entre deux individus, le mariage nécessite l’accord de volonté des deux membres du couple. Le

1 Ibid., § 62.

2 Ibid., § 10. 3 Ibid. 4 Ibid.

5 F. SUDRE, « La mystification du “consensus” européen », JCP G 2005, 1369.

6 Voir notamment : SCHALK ET KOPF c. AUTRICHE, préc., § 91 ; CEDH, Affaire ELSHOLZ c. ALLEMAGNE, Requête no 25735/94, 13 juillet 2000, § 43 ; CEDH, Affaire KEEGAN c. IRLANDE, Requête no 16969/90, 26 mai 1994, § 44, JCP G

1995, I, 3823, no 32, chron. F. SUDRE ; JDI 1995, p. 763, obs. P. TAVERNIER ; CEDH, Affaire JOHNSTON ET AUTRES c. IRLANDE, Requête no 9697/82, 18 décembre 1986, § 56.

7 « Dans Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, la Cour a conclu que l’état matrimonial était un motif analogue pour l’application du par. 15(1) de la Charte, car bien qu’une personne soit en théorie libre de choisir de se marier ou non, il existe en réalité un certain nombre de facteurs, indépendants de sa volonté, qui pourraient faire en sorte que cette décision lui échappe. La juge McLachlin a énuméré certains obstacles susceptibles d’entraver ce choix : La loi, l’hésitation à se marier de l’un des partenaires, les contraintes financières, religieuses ou sociales sont autant de facteurs qui empêchent habituellement des partenaires, qui par ailleurs fonctionnent comme une unité familiale, de se marier officiellement. Bref, l’état matrimonial échappe souvent au contrôle de la personne. [par. 153] » CSC, Affaire QUÉBEC (PROCUREUR

refus de l’un des membres du couple de contracter mariage empêche nécessairement l’autre d’envisager une alliance (b).

a) La possibilité de se marier offerte par les États

97. Les conditions de l’accès au mariage – Il appartient aux législateurs de poser les

conditions d’accès au mariage. En Europe, chaque État est compétent pour l’encadrer. Au Canada, le mariage fait l’objet d’une compétence partagée entre le pouvoir fédéral et les gouvernements provinciaux1.

Au-delà, les droits fondamentaux s’intéressent au mariage. En Europe, le droit au mariage fait l’objet d’un article indépendant de la Convention européenne des droits de l’homme, en sus de l’article 8 posant le droit au respect d’une vie privée et familiale. Il s’agit de l’article 12, intitulé “droit au mariage” qui prévoit que, « [à] partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ». Au Canada, la Loi canadienne sur les droits de la personne adoptée par le Parlement canadien en 1977 considère qu’il est interdit de discriminer une personne en raison de son « statut matrimonial »2. L’état matrimonial a

également été considéré comme un motif analogue de discrimination dans l’affaire Miron contre Trudel3

de 1995. La notion de motif analogue renvoie à une technique d’interprétation propre à la Cour suprême du Canada. Elle est une des étapes de l’analyse posée par l’arrêt Oakes4 permettant de

relever une situation discriminatoire.

Le mariage est nécessairement conditionné par la satisfaction de certains prérequis, tels que l’âge des futurs époux, leur sexe ou leur capacité. Lorsqu’une législation restreint l’accès au mariage, elle peut se retrouver en conflit avec certains droits fondamentaux de l’individu. Une des justifications avancée par les gouvernements pour justifier l’interdiction de se marier à certaines catégories de personnes consiste à avancer la possibilité pour ces couples d’utiliser des mécanismes de droit commun pour gérer leur vie commune et les éventuelles conséquences d’une séparation. De ce fait,

1 Voir supra § 45.

2 Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 3 (1) : « Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience ». Voir :

D. LEMIEUX, A. LACHAPELLE et S. LEVESQUE, « La “Loi canadienne sur les droits de la personne” : une Charte méconnue », 23 C. de D. 1982, pp. 277-324.

3 CSC, Affaire MIRON c. TRUDEL, 2 RCS 418, 25 mai 1995.

bénéficier du statut d’époux ne serait pas indispensable à la protection et l’effectivité d’une vie familiale sereine. La seconde problématique qui s’est posée ces dernières années et qui montre le caractère évolutif de la notion de mariage est celle de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe et aux personnes transsexuelles.

98. Le recours au mariage estimé non indispensable pour résoudre des problématiques liées à la vie de couple – Le droit commun offre aux individus la faculté de passer

entre eux des conventions leur permettant d’organiser certains aspects de leur vie. Cette possibilité permet de tempérer l’empêchement qui leur est fait de se marier, ou à tout le moins de diminuer les conséquences d’une absence de lien structurel global entre membres d’un couple. Les juges de la Cour suprême du Canada qui refusent par exemple de voir étendue à tous les couples une loi offrant des avantages patrimoniaux aux couples mariés, justifient leur raisonnement par ce recours au droit commun. Ainsi, dans l’affaire Nouvelle Écosse contre Walsh1, les juges suprêmes canadiens ont dû

s’interroger sur le caractère discriminatoire de la loi posant une présomption de partage légal des biens matrimoniaux. Mme Walsh vivait en union libre avec son compagnon dont elle vient de se séparer. Elle

estime que la loi est discriminatoire à son égard en ce qu’elle ne s’applique qu’aux couples mariés. La Cour suprême du Canada juge qu’il n’y a pas de discrimination et que le législateur dispose de la latitude de distinguer les conséquences découlant de l’union libre de celles découlant du mariage. Le raisonnement de la majorité des juges reprend en détail les différentes options offertes aux couples non mariés d’organiser leur vie personnelle, notamment sur le plan patrimonial. Ainsi, ces derniers peuvent d’un commun accord décider, en cours de vie commune, de « devenir copropriétaires de certains biens » ou de « conclure un contrat familial »2. Un des conjoints de fait peut également

« demander à un tribunal de prononcer une ordonnance alimentaire »3. Enfin, lorsque les membres du

couple n’ont pas « pris d’arrangements concernant leurs biens dès le début de leur union, ils peuvent

1 NOUVELLE-ÉCOSSE (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. WALSH, préc.

2 « Les personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se marier ont d’autres options. Les conjoints peuvent choisir de devenir copropriétaires de certains biens et de conclure un contrat familial susceptible d’exécution en application de la Maintenance and Custody Act, R.S.N.S. 1989, ch. 160, par. 52(1), et de la Maintenance Enforcement Act, S.N.S. 1994-95, ch. 6, al. 2e), ou s’en tenir à une seule de ces solutions. Ils peuvent aussi avoir droit à tous les bénéfices qu’offre la MPA en enregistrant conjointement leur union civile conformément à la LRA. » : Ibid., § 58, juge Bastarache.

3 « Premièrement, la loi provinciale dispose qu’un conjoint non marié ou [TRADUCTION] “conjoint de fait” peut demander à un tribunal de prononcer une ordonnance alimentaire : Maintenance and Custody Act, art. 3. Le tribunal peut prendre en considération une foule de facteurs relatifs à la manière dont les parties ont structuré leur union, ainsi qu’aux besoins et à la situation de chacune. », Ibid., § 60, juge Bastarache.

encore recourir au droit de la fiducie par interprétation pour remédier aux iniquités susceptibles de survenir au moment de la dissolution »1. Le recours à cette fiction permet de « reconnaître les

contributions, tant pécuniaires que non pécuniaires, d’un conjoint aux biens familiaux dont le titre de propriété est établi seulement au nom de l’autre conjoint »2. Les tribunaux ont également mis au point

des mécanismes permettant de rééquilibrer les patrimoines de concubins après leur séparation, notamment grâce à la technique de l’enrichissement sans cause3.

Cette possibilité de recourir au droit commun dans certains domaines permet aux juges de conclure que l’impossibilité de se marier n’est pas discriminatoire au sens de l’article 15(1) de Charte canadienne des droits et libertés4. Pour autant, le fait de pouvoir avoir accès à des techniques

palliatives suffit-il à autoriser que le mariage ne soit pas ouvert à tous ou que les effets du mariage ne soient pas généralisés ? Les mécanismes de droit commun sont souvent en effet, délicats à mettre en œuvre parce qu’ils nécessitent des démarches longues et coûteuses qui semblent peu accessibles au justiciable. De plus, il est possible d’estimer que la mise en place de structures familiales répond à certains besoins. Cette volonté est tant celle des législateurs, qui voient dans ces régimes des moyens de structurer la société, que celle des individus qui désirent être entourés de structures protectrices. Or, ce besoin de protection ne semble pas être inhérent aux seuls couples mariés. Il constitue d’ailleurs un des arguments développé par les tenants d’une ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et aux individus transsexuels.

1 « Quant aux couples qui n’ont pas pris d’arrangements concernant leurs biens dès le début de leur union, ils peuvent encore recourir au droit de la fiducie par interprétation pour remédier aux iniquités susceptibles de survenir au moment de la dissolution. Le droit de la fiducie par interprétation est devenu un moyen de reconnaître les contributions, tant pécuniaires que non pécuniaires, d’un conjoint aux biens familiaux dont le titre de propriété est établi seulement au nom de l’autre conjoint : Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436 ; Pettkus, précité ; Sorochan c. Sorochan, [1986] 2 R.C.S. 38 ; Peter, précité. », Ibid., § 61, juge Bastarache.

2 Ibid.

3 Ibid., § 165, juge L’Heureux-Dubé.

4 Ibid., § 55, juge Bastarache. L’article 15(1) de la Charte prévoit que « [l]a loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques ». Cependant, la Cour suprême est arrivée à une conclusion différente

en 2013 dans l’arrêt QUÉBEC (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. A, préc. Dans cette affaire, elle a estimé que l’incidence de la notion de liberté devait désormais être évalué sous l’égide de l’article 1 de la Charte. Celui-ci prévoit que « [l]a Charte

canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ».

99. L’ouverture du mariage aux couples de même sexe et aux personnes transsexuelles – Le débat sur la possibilité de contracter mariage se polarise depuis quelques années

autour de la question de l’ouverture du mariage à d’autres personnes que les couples hétérosexuels monogames, traditionnellement seuls concernés par cette institution. Au premier chef, les individus intéressés par cette problématique sont les individus transsexuels et les couples de personnes de même sexe.

En ce qui touche aux premiers, la difficulté résidait principalement dans la condition d’altérité sexuelle au sein du couple posée par de nombreuses législations. En effet, en sus des conditions de capacité ou d’âge, les individus ne pouvaient alors épouser que des personnes du sexe opposé. À cet égard, les personnes transsexuelles étaient confrontées à une difficulté touchant leur état civil. L’immutabilité de l’ordre public faisait obstacle au changement officiel de sexe d’une personne transsexuelle qui voyait son sexe sociologique et physique en contradiction avec l’indication de son sexe juridique à l’état civil. Cette situation était d’autant plus grave qu’elle empêchait les personnes transsexuelles de se marier et donc de mener une vie privée et familiale sereine. La Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Christine Goodwin contre Royaume-Uni de 20021 estime que le

refus de procéder à l’enregistrement de la conversion sexuelle d’un individu constitue une violation du droit au respect de sa vie privée, protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde. Dans cette affaire, les juges de Strasbourg estiment également qu’il est contraire à l’article 12 de la Convention de sauvegarde d’empêcher le mariage d’une personne transsexuelle avec un individu du sexe opposé à son nouveau sexe. Une telle interdiction priverait en effet les personnes transsexuelles du droit de se marier en toutes circonstances, ce qui toucherait à la substance même du droit au mariage2, et ne saurait donc trouver de justification3.

1 CEDH, Affaire CHRISTINE GOODWIN c. ROYAUME-UNI, Requête no 28957/95, 11 juillet 2002, RTD civ. 2002, 862,

chron. J.-P. MARGUÉNAUD ; Dr. fam. 2002, comm. 133, A. GOUTTENOIRE ; RTDH 2003, p. 1157, note A. MARIENBURG-WACHSMANN ; D. 2003, p. 2032, note A.-S. CHAVENT-LECLÈRE.

2 « Pour la Cour, l'intéressée peut donc se plaindre d'une atteinte à la substance même de son droit de se marier », Ibid., § 101.

3 « S'il appartient à l'État contractant de déterminer, notamment, les conditions que doit remplir une personne transsexuelle qui revendique la reconnaissance juridique de sa nouvelle identité sexuelle pour établir que sa conversion sexuelle a bien été opérée et celles dans lesquelles un mariage antérieur cesse d'être valable, ou encore les formalités applicables à un futur mariage (par exemple les informations à fournir aux futurs époux), la Cour ne voit aucune raison justifiant que les transsexuels soient privés en toutes circonstances du droit de se marier », Ibid., § 103.

En outre, les législateurs des sociétés occidentales sont confrontés depuis plusieurs années à la question de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Certains États ont déjà supprimé la condition d’altérité sexuelle du mariage, permettant ainsi aux couples homosexuels de se marier.

L’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde qui protège le droit au mariage présente le mariage comme une union entre un homme et une femme. Cette disposition, écrite en 19501, est le reflet d’une époque où le mariage était considéré comme une alliance en vue de construire

une famille et où le couple officiel ne se comprenait que comme une union hétérosexuelle. Or, la Cour européenne rappelle que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est « un instrument vivant, à interpréter à la lumière des conditions actuelles »2.

Ce faisant, la revendication de la communauté homosexuelle a obligé la Cour européenne à s’interroger sur la compatibilité de l’interdiction du mariage homosexuel à la Convention européenne de sauvegarde. Jusqu’à présent, les juges de Strasbourg n’ont pas reconnu que l’interdiction faite par les États membres aux couples homosexuels de se marier violait l’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde. Leur justification tient principalement en la rédaction particulière du texte qui précise que le mariage constitue une union hétérosexuelle. De plus, la juridiction de Strasbourg se retranche derrière la liberté des États membres de réglementer les conditions d’accès au mariage3. Le

gouvernement britannique, tiers intervenant dans l’arrêt Schalk et Kopf contre Autriche4 de 2010, en

indiquant que « [l]e mariage homosexuel concernerait un domaine sensible soulevant des controverses dans les champs social, politique et religieux »5 rappelle que les choix à caractère

politique et social sont l’apanage des législateurs6.

Dans cette affaire, la Cour se penche sur la question du mariage homosexuel sous l’angle traditionnel de l’article 12 de la Convention de sauvegarde mais également sous l’égide des articles 8

1 Voir notamment, SCHALK ET KOPF c. AUTRICHE, préc., § 55.

2 Voir notamment, JOHNSTON ET AUTRES c. IRLANDE, préc., § 53 ; CEDH, Affaire WAGNER ET J.M.W.L. c. LUXEMBOURG, Requête no 76240/01, 28 juin 2007, § 135, D. 2007, p. 2700, note F. MARCHADIER ; AJDA 2007, p. 1920,

obs. J.-F. FLAUSS ; JCP G 2007, I, 182, obs. F. SUDRE ; RTD civ. 2007, p. 738, obs. J.-P. MARGUÉNAUD ; Rev. crit. DIP 2007, p. 807, obs. P. KINSCH ; D. 2008, p. 1507, obs. P. COURBE et F. JAULT-SESEKE ; Dr. fam. 2011, alerte 48, M. BRUGGEMAN ; JCP G 2011, p. 1394, obs. A. GOUTTENOIRE ; FRETTÉ c. FRANCE, préc., § 34.

3 SCHALK ET KOPF c. AUTRICHE, préc., § 51 : « Dans ses premiers arrêts sur le sujet, la Cour a jugé que l’attachement au concept traditionnel de mariage qui sous-tend l’article 12 fournissait à l’État défendeur un motif suffisant de continuer d’appliquer des critères biologiques pour déterminer le sexe d’une personne aux fins du mariage. Elle a ainsi considéré que cette matière relevait du pouvoir dont jouissent les États contractants de réglementer par des lois l’exercice du droit de se marier (Sheffield et Horsham, précité, § 67, Cossey c. Royaume-Uni, 27 septembre 1990, § 46, série A no 184, et Rees

c. Royaume-Uni, 17 octobre 1986, §§ 49-50, série A no 106) ».

4 SCHALK ET KOPF c. AUTRICHE, préc. 5 Ibid., § 46.

et 14 combinés. Les requérants, un couple de conjoints de fait autrichiens, arguent du changement de conception de la notion de mariage. En effet, celui-ci doit être compris comme « une union de deux personnes qui englobe tous les aspects de la vie et que la procréation et l’éducation des enfants n’en forment plus un aspect fondamental »1. Ainsi, le modèle familial fondé sur la procréation n’est plus le

seul permettant de justifier le mariage. Cette institution, dès lors, est construite autour de l’idée de couple et non de famille au sens traditionnel, à savoir un couple vivant avec les enfants qu’il a engendrés. La fonction reproductive de la famille2 n’est plus le point de départ de la protection et de la

création d’une structure familiale. Elle constitue uniquement une des acceptions que peut couvrir la notion de famille. Tout en reconnaissant que l’institution du mariage a fortement évolué depuis la rédaction de la Convention européenne de sauvegarde3, la Cour européenne relève qu’« il n’existe

pas de consensus européen sur la question du mariage homosexuel »4 et que « l’autorisation ou

l’interdiction du mariage homosexuel est régie par les lois nationales des États contractants »5. Cette

position se justifie notamment par le fait que le droit, notamment l’accès au mariage, est ancré dans un contexte spatio-temporel particulier, ce qui justifie de ne pas imposer d’uniformisation quant à la question du droit au mariage6. Corollairement, la condition d’altérité sexuelle contenue dans l’article 12

n’impose pas aux États membres de limiter l’institution du mariage aux couples hétérosexuels. Ainsi, chaque législateur national est libre d’autoriser le mariage des couples de personnes de même sexe sur son territoire.

Même s’il n’impose pas la reconnaissance d’un droit au mariage pour les couples de personnes de même sexe, l’arrêt Schalk et Kopf contre Autriche constitue une avancée dans la reconnaissance de leurs droits. En effet, l’apport principal de cette affaire est de placer la protection de la vie de couple homosexuel sous l’égide de la “vie familiale”, alors qu’auparavant, une relation de couple entre deux individus de même sexe ne relevait, selon la jurisprudence européenne, que de la notion de “vie

1 SCHALK ET KOPF c. AUTRICHE, préc., § 44. 2 Voir infra §§ 150-151.

3 Notamment sous l’influence des arrêts de la Cour EDH sur le mariage des personnes transsexuelles : « Dans l’arrêt Christine Goodwin (précité, §§ 100-104), la Cour s’est écartée de cette jurisprudence : elle a considéré que les termes utilisés à l’article 12, à savoir le droit pour un homme et une femme de se marier, ne pouvaient plus être compris comme impliquant que le sexe doive être déterminé selon des critères purement biologiques. À cet égard, elle a noté que, depuis l’adoption de la Convention, l’institution du mariage avait été profondément bouleversée par l’évolution de la société »,

SCHALK ET KOPF c. AUTRICHE, préc., § 52. 4 Ibid., § 58.

5 Ibid., § 61.

6 « À cet égard, la Cour observe que le mariage possède des connotations sociales et culturelles profondément enracinées susceptibles de différer notablement d’une société à une autre », Ibid., § 62.

privée”. Pourtant, les juges strasbourgeois constatent une évolution rapide de l’attitude de la société européenne envers les couples homosexuels depuis 2001. Cette tendance qui a vu de nombreux États accorder une reconnaissance juridique aux couples homosexuels, permet de considérer comme artificiel d’étudier la situation de ces individus uniquement sous l’unique angle de la vie privée1. La

Cour européenne estime donc que « la relation qu’entretiennent les requérants, un couple homosexuel