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Section 1 – La famille structurelle juridique

B) La filiation détachée d’un lien biologique entre le parent et l’enfant

1) La filiation basée sur la volonté de devenir parent

117. Le désir d’enfant entendu par le droit – Le droit donne un poids important à la volonté

dans la création d’un lien de filiation. À ce titre, la filiation adoptive (a) et la filiation fondée sur une aide médicale à la procréation (b) apparaissent comme des modes volontaires d’établissement d’un lien de filiation. Dans la première hypothèse, l’établissement du lien de filiation résulte de la volonté d’un individu de créer un lien juridique à l’égard d’un enfant déjà né, tandis que la seconde reflète le désir d’un adulte de concevoir un enfant.

a) La filiation adoptive

118. Les différents formes d’adoption – Bien que le droit à l’adoption ne soit pas

explicitement reconnu par la Convention européenne de sauvegarde des droits et libertés fondamentales, la Cour européenne a très tôt assimilé l’adoption aux relations familiales protégées par l’article 81.

L’adoption permet la création d’un lien de filiation entre un parent et un enfant, créant ainsi une famille structurelle juridique. Ce procédé a longtemps été conçu comme une fiction selon laquelle les parents adoptifs étaient présentés comme les géniteurs de l’adopté. L’adoption était alors calquée sur

1 Voir notamment, FRETTÉ c. FRANCE, préc., § 29 ; CEDH, Affaire PINI ET BERTANI ET MANERA ET ATRIPALDI c. ROUMANIE, Requêtes nos 78028/01 et 78030/01, 22 juin 2004, § 140, D. 2004, p. 1059, obs. I. BERRO-LEFÈVRE ; Dr.

fam. 2004, étude 30, A. GOUTTENOIRE et P. SALVAGE-GEREST ; D. 2004, p. 3026, obs. J.-F. RENUCCI et I. BERRO-

LEFÈVRE ; AJDA 2004, p. 1809, chron. J.-F. FLAUSS ; D. 2005, p. 1748, obs. F. GRANET-LAMBRECHTS ; WAGNER ET J.M.W.L. c. LUXEMBOURG, préc., § 121.

le modèle procréatif de la filiation qui veut que les enfants juridiques soient issus de leurs parents biologiques. À titre d’exemple, le fait d’imposer un écart d’âge entre l’adoptant et l’adopté démontre l’importance de la biologie en tant que représentation1. Cette condition permet de respecter un ordre

« naturel » parce que biologique, à savoir qu’il est impossible d’enfanter avant l’âge nubile, de donner l’illusion que l’adopté est issu de l’adoptant. Cette conception de l’adoption imitant la procréation biologique est clairement assumée par certaines législations pour qui « l’adoption vise à recréer la situation que l’on trouve dans une famille biologique »2. L’avènement de l’adoption internationale a

changé cette perception et l’absence de lien biologique entre l’adoptant et l’adopté ne peut plus nécessairement être masquée. Cet éloignement du modèle procréatif est de plus accentué par la possibilité offerte aux couples de même sexe, dans beaucoup de pays, d’adopter.

L’adoption n’est pas une notion homogène. Un exemple marquant est celui de la législation française qui propose un système dual, à savoir l’adoption simple et l’adoption plénière. La différence la plus flagrante entre ces deux formes d’adoption est que l’adoption plénière implique une rupture totale des liens entre l’adopté et sa famille d’origine, tandis que l’adoption simple joint à la famille d’origine un autre lien structurel juridique entre l’adopté et l’adoptant.

D’une manière générale, l’adoption permet de substituer une nouvelle structure familiale reconnue juridiquement à une famille d’origine, qui est bien souvent famille structurelle biologique et juridique. Cette famille d’origine, malgré le prononcé de l’adoption, restera une famille structurelle biologique, mais perdra sa qualité de famille structurelle juridique et les fonctions qui lui sont généralement attachées. Plusieurs problématiques apparaissent lorsqu’il faut articuler une adoption prononcée à l’étranger avec les catégories juridiques du droit national français. Il faut en effet estimer si les conditions de l’adoption s’apparentent à une adoption simple ou plénière. Le choix se fera selon les conditions de rupture des liens entre adopté et famille d’origine3.

1 Cette condition est notamment prévue par l’article 344 du Code civil français. 2 X ET AUTRES c. AUTRICHE, préc., § 137.

3 La question s’est posée devant la Cour européenne des droits de l’homme concernant le recueil d’enfant confié par Kafala, procédure connue dans certains pays de droit musulman tel que l’Algérie. Ces pays ne connaissent pas le mécanisme de l’adoption, mais ont développé des procédures assimilables. Voir, à titre d’exemple, CEDH, Affaire CHBIHI LOUDOUDI ET AUTRES c. BELGIQUE, Requête no 52265/10, 16 décembre 2014, AJ fam. 2015, p. 47, obs. E. VIGANOTTI.

Au-delà, la technique de l’adoption est parfois utilisée comme un moyen de concrétiser une filiation par procréation médicalement assistée. Alors, elle n’apparaît plus seulement comme un procédé permettant de créer un lien de filiation, mais comme le mécanisme juridique offrant la possibilité d’asseoir une famille créée par procréation médicalement assistée. Il est possible d’y voir un détournement de l’adoption, qui était conçue à l’origine dans le but de donner une famille à un enfant déjà né. Or, cette nouvelle utilisation a pour objectif de légitimer la situation d’un enfant conçu par des personnes qui veulent devenir ses parents.

Nombre de questions qui se sont posées devant la Cour européenne des droits de l’homme touchent à l’utilisation de l’adoption par les personnes homosexuelles, célibataires ou en couple. C’est donc encore une fois l’homosexualité des potentiels parents qui était au cœur des débats, notamment avec la question du référent de sexe différent. En outre, la problématique principale soulevée par l’adoption internationale devant les juges, est celle de la reconnaissance d’un jugement d’adoption légalement prononcé à l’étranger par l’État du parent adoptif.

119. L’ouverture de l’adoption aux personnes homosexuelles – L’ouverture de l’adoption

aux personnes homosexuelles a posé de nombreuses problématiques qui ont été tranchées par la Cour européenne des droits de l’homme. La question qui s’est posée est celle de la nécessité pour un enfant d’avoir un référent de l’autre sexe dans sa vie. Ce référent permettrait à l’enfant d’avoir une image à la fois du père et de la mère. Cette parenté bisexuelle serait indispensable pour certains afin que l’enfant soit élevé dans les meilleures conditions. Une telle vision s’inspire clairement du caractère sexuellement mixte de l’engendrement biologique et explique que certains États ne permettent l’adoption qu’aux couples hétérosexuels. Ainsi, le gouvernement autrichien estimait que « conformément à la réalité biologique, un enfant mineur doit par principe avoir pour parents deux personnes de sexe opposé »1. Le besoin d’un double référent pour l’enfant est un argument utilisé pour

contrer les demandes d’adoption par des couples homosexuels ou par des personnes célibataires.

La Cour européenne des droits de l’homme a eu plusieurs fois à se positionner sur des affaires d’adoption d’un enfant par une personne homosexuelle. Dans l’arrêt Fretté contre France de 20022 les

1 X ET AUTRES c. AUTRICHE, préc., § 18. 2 FRETTÉ c. FRANCE, préc.

juges de Strasbourg n’avaient pas retenu la violation de l’article 8 combiné à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde dans l’hypothèse d’un refus d’agrément fondé sur l’orientation sexuelle du demandeur. Cette problématique soulevée par l’adoption par une personne homosexuelle a évolué en même temps que l’acceptation de l’homosexualité. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a fait évoluer sa jurisprudence en condamnant la France, dans son arrêt E.B. contre France1 de 2008. Dans cette affaire, les autorités françaises avaient refusé de délivrer un agrément à

une personne homosexuelle en justifiant leur décision par le besoin d’un double référent pour l’enfant. L’administration française, qui délivre les agréments, estimait en effet qu’il était de l’intérêt de l’enfant d’être élevé par un couple composé d’un homme et d’une femme, afin de permettre à l’enfant d’avoir des référents des deux sexes2.

Ainsi, non seulement ces décisions ont permis de faire reculer les discriminations dont étaient victimes les personnes homosexuelles, mais elles ont donné l’opportunité de s’interroger sur les fonctions genrées3. La problématique soulevée par ces arrêts était celle de l’importance pour un enfant

d’avoir un double référent, à savoir un référent de sexe masculin et de sexe féminin. Ces questions relèvent de la psychologie et l’appréciation par les juges de ces notions n’est pas aisée. Un certain flou règne sur la question, notamment du fait de la prolifération des études contradictoires sur l’influence d’une filiation bisexuée ou monosexuée sur l’épanouissement de l’enfant, et potentiellement du manque de recul de telles recherches4. La Cour note en effet que « [l]es incidences éventuelles d'une

adoption par un adulte affirmant son homosexualité sur le développement psychologique et plus généralement la vie future de l'enfant concerné ne font pas l'objet d'une réponse unique et divisent les spécialistes de l'enfance comme les sociétés démocratiques dans leur ensemble »5.

120. La question de la pluri-parenté – La filiation basée sur la procréation met en jeu non

seulement un couple hétérosexuel, mais sous-entend également l’idée d’un duo. En effet, seules deux personnes sont nécessaires pour mettre au monde un enfant. Cette vision de la filiation, calquée sur le modèle reproductif impose donc une double filiation bisexuée, reprenant l’idée que l’enfant a besoin

1 E.B. c. FRANCE, préc..

2 En France, la procédure d’adoption est administrative. Pour pouvoir adopter, il faut obtenir un agrément, délivré par l’administration après avoir analysé le dossier du potentiel adoptant.

3 Voir infra §§ 168 et s.

4 Voir notamment E.B. c. FRANCE, préc., § 11 ; FRETTÉ c. FRANCE, préc., § 42. 5 FRETTÉ c. FRANCE, préc., § 36.

uniquement de deux parents qui sont nécessairement de sexe différent. Elle est, pour de nombreux États, le fondement de la construction de leur droit de la filiation1.

À l’inverse, la conception de la filiation peut se poser en des termes différents lorsqu’est admise la possibilité pour un individu d’avoir plusieurs parents. Dans cette hypothèse, la filiation est appréhendée comme une fonction, alors que si l’on estime qu’un enfant ne peut avoir qu’un père et qu’une mère, l’accent est mis sur le modèle procréatif, à savoir le lien structurel biologique2. Se pose

alors la question de la pluri-parenté, à savoir la possibilité pour un enfant d’avoir plusieurs parents juridiquement désignés comme tels dès sa naissance. La jurisprudence joue à cet égard un rôle avant- gardiste. Ainsi, au Canada, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu en 2007 la possibilité pour un enfant d’avoir trois parents, à savoir la mère, la compagne de celle-ci et le père biologique3. À l’origine de

cette affaire, un couple de femmes décide de concevoir un enfant avec l’aide d’un de ses amis. Les deux femmes sont donc au cœur du projet parental, mais estiment qu’il est dans l’intérêt de l’enfant que le père soit reconnu en tant que tel et puisse jouer auprès de l’enfant un rôle paternel. La compagne de la mère, soutenue dans sa démarche par les parents biologiques, présente au juge une requête demandant d’établir sa filiation en rendant une ordonnance déclaratoire portant qu’elle était un parent de l’enfant. Le juge de première instance a rejeté cette demande en s’estimant incompétent4. La Cour

d’appel, quant à elle, estime que sa compétence parens patriae lui permettait de trancher une telle affaire. La compétence parens patriae peut être appliquée dans deux hypothèses, à savoir dans le but de secourir un enfant en difficulté ou pour combler une faille législative. C’est sur ce second motif que les juges se fondent. Ils estiment par ailleurs que « priver [l’enfant] de la reconnaissance juridique de ses liens de filiation avec l’une de ses mères serait aller à l’encontre de l’intérêt véritable de l’enfant »5.

1 Voir, à titre d’exemple, l’hypothèse de la législation autrichienne : X ET AUTRES c. AUTRICHE, préc., § 18. 2 Voir infra § 131.

3 Cour d'appel de l'Ontario, 2 janvier 2007, A.A. c. B.B. (2007), ONCA.

4 La Loi portant réforme du droit de l’enfance (L.R.O. 1990, ch. C. 12) ne prévoyant, selon les juges de la Cour d’appel, la possibilité d’établir un lien de filiation qu’à l’égard d’un seul homme et d’une seule femme.

Une décision similaire, fondée également sur la compétence parens patriae de la Cour1 a été

rendue en Alberta en 20132. Dans cette affaire, l’ancien concubin du père biologique demandait à ce

que soit reconnu son statut de parent, à l’instar de celui des parents biologiques. Ces derniers ne souhaitaient pas qu’un tel statut soit reconnu à l’ancien conjoint de fait, quand bien même le projet parental était initialement celui du couple de même sexe. En 2013, la Colombie-Britannique a inscrit la multiparenté dans sa loi3 permettant ainsi à un enfant d’avoir plus de deux parents.

La reconnaissance juridique de situation de famille mettant en concurrence plusieurs adultes fait débat. Les partisans d’une telle reconnaissance soulignent l’importance d’avoir la protection inhérente à toute relation familiale. Ils insistent sur la gravité des effets de l’absence de reconnaissance, notamment en cas de décès du parent biologiquement relié à l’enfant4. Pour les opposants à une telle

mesure, la stabilité de la structure familiale est un facteur primordial. La mise en œuvre d’une vie familiale avec un nombre accru de parents aurait pour conséquence une augmentation des litiges concernant la mise en œuvre de l’autorité parentale.

b) La filiation par procréation médicalement assistée

121. Le projet parental comme fondement du lien de filiation – Lorsqu’un couple a recours

aux techniques de procréation médicalement assistée, il peut être totalement étranger biologiquement à l’enfant à naître. Toutefois, la plupart des législations imposent qu’au moins l’un des parents d’intention soit génétiquement relié à l’enfant. Dans grand nombre d’États, seule l’infertilité de l’homme peut être combattue par une aide médicale à la procréation. En France notamment, le recours aux mères porteuses est interdit alors que le don de sperme est autorisé. Pour autant, le fait d’être relié ou non biologiquement à l’enfant à naître n’est pas le fondement de la création du lien de filiation dans cette hypothèse. C’est l’accord des parents d’intention, leur volonté de former un projet parental qui

1 D. FERLAND et B. EMERY, Précis de procédure civile du Québec, Éditions Yvon Blais, Cowansville, Québec, 5e éd., 2015, Volume 1 : « Selon la jurisprudence, la Cour supérieure exerce une compétence parens patriae, qui tire son origine

de la common law, “fondée sur la nécessité, c'est-à-dire le besoin d'agir pour protéger ceux qui ne peuvent prendre soin d'eux-mêmes”. Sans dresser une liste exhaustive des situations à l'égard desquelles cette compétence parens patriae peut être exercée, la Cour suprême a mentionné les questions de garde, de protection des biens, les problèmes de santé, l'enseignement religieux et la protection contre les relations dangereuses. Cette compétence de la Cour supérieure ne s'étend pas toutefois à la protection d'un enfant à naître, ni ne justifie la non-application des règles de procédure civile, notamment relativement à l'intervention forcée d'un tiers à l'instance ».

2 Cour d'appel d'Alberta, 5 juillet 2013, D.W.H. v. D. J. R., 2013 ABCA 240. 3 Colombie-Britannique où l'article 30 du Family Law Act tel que modifié en 2013.

les lient et d’où découle la filiation. Ainsi, il n’est pas possible en théorie en France de renoncer à la filiation créée par une procréation médicalement assistée1. Les parents d’intention s’engagent donc

dans un processus visant à mettre au monde un enfant. Les conditions d’accès à l’assistance à la procréation sont définies par chaque État. Certains autorisent le recours aux techniques médicales de procréation pour les personnes célibataires, mais la plupart des législations le conditionnent à l’existence d’un couple parental, en règle générale un couple hétérosexuel. La Cour européenne des droits de l’homme a notamment dû s’interroger sur la question de savoir si l’accès à ces technologies touche le respect au droit à la vie privée ou au droit à la vie familiale. En tout état de cause, ne pas ouvrir l’assistance médicale à la procréation pour un État ne semble pas de facto être contraire à la Convention européenne de sauvegarde. Le point de droit souvent soulevé par les requérants est la reconnaissance d’un jugement créant une filiation lorsque l’enfant est né d’une procréation médicalement assistée, notamment d’une gestation pour autrui, dans des États ne l’autorisant pas2.