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1.3.1. Le concept de la complémentarité des pratiques

organisationnelles dans le contexte des travaux multitâches

Indépendamment de l’approche que l’on adopte en discutant des modèles multitâches – focalisation sur le caractère multidimensionnel du travail comme un facteur créant des problèmes additionnels dans les relations « principal-agent » ou comme une pratique novatrice d’organisation du travail visant à améliorer la productivité –, on ne peut contourner le concept de l’arrangement organisationnel comme l’ensemble des usages compatibles et mutuellement renforçants. Par arrangements organisationnels, on entend ici un ensemble des dispositifs utilisés par l’employeur pour organiser de la façon la plus efficace possible ses relations avec les employés : il s’agit avant tout des principes d’attribution des tâches aux agents, des schémas d’évaluation de la performance, des système d’incitation, de la structure hiérarchique et de la répartition des droits de la prise de décisions14. Au cœur des discussions des travaux multitâches comme « problème à résoudre » réside le choix entre tel ou tel arrangement organisationnel dans les situations où les tâches constituent telle ou telle liaison particulière. De la même façon, dans les situations où le multitasking représente lui-même un dispositif d’organisation du travail, il doit être accompagné par d’autres pratiques connexes sans lesquelles il risque d’échouer dans l'amélioration de la performance et de provoquer une tension indésirable entre les tâches.

Ceci nous amène à l’idée de complémentarité entre les pratiques organisationnelles. Nous observerons les éléments de cette conception dans tous les modèles théoriques discutés dans les chapitres de cette Partie. Nous l’appliquerons ensuite activement au cours de toute notre analyse dans les chapitres des deux parties suivantes.

L’exploration active de ce phénomène dans la littérature académique était liée à une vague d’intérêt pour les changements organisationnels massifs qui, à la fin des années quatre-vingt du 20ème siècle, se sont emparés des grandes entreprises dans les pays développés. Ces changements ont touché tous les éléments fonctionnels de la firme, y compris les pratiques d’organisation du travail – domaine qui nous intéresse ici.15 Parmi les transformations les plus importantes dans cette sphère, on remarque avant tout une croissance stable de la valeur et de la diversification du capital humain que des employés moyens possèdent, ainsi qu’une mutation

14 Dans le cas plus général d’un principal et d'agents quelconques (par exemple, lorsque les deux sont présentés par des

contractants indépendants), le terme des arrangements organisationnels peut incorporer aussi un mode particulier de gouvernance, distribution des droits de propriété, etc. Un bon exemple d’une étude sur ce sujet est celle de Slade [1996]. Elle ajuste le modèle de base à son cas empirique – relations « principal-agent » entre des grands fournisseurs d’essence et les opérateurs des pompes à essence qui, à part l’activité principale, peuvent avoir plusieurs activités secondaires comme un magasin de libre service, un restaurant, un garage (atelier de réparation) –, en déduit des prédictions sur la forme contractuelle optimale, et teste ensuite ces résultats sur les données empiriques. Selon la combinaison des tâches réalisées par l’opérateur (et donc selon les relations entre elles déterminées par les liens au niveau des élasticités croisées des demandes, corrélation entre la volatilité des demandes et les coûts individuels), la firme principale choisit un contrat qui, à la base, représente une paire équilibrée entre système de rémunération et schéma de distribution des droits résiduels et ceux de propriété aux actifs liés aux activités différentes.

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des goûts de ces derniers par rapport au travail en faveur des travaux variés et multifacettes [Lindbeck & Snower, 2000].

D'un point de vue théorique, la nature de la complémentarité a été explorée avant tout dans les travaux de Milgrom et Roberts [1990, 1995] et Holmström et Milgrom [1994], qui se sont proposés de répondre à la question : "pourquoi certains changements paraissent être systématiquement groupés ?". S’agit-il d’une simple coïncidence ou, au contraire, y’a-t-il quelques interconnections entre eux, quelque force motrice commune derrière eux ? La mathématique de la complémentarité se base sur une propriété des fonctions supermodulaires : la somme des changements de la valeur d’une telle fonction, lorsque plusieurs arguments augmentent séparément, est plus petite que le changement résultant de l’accroissement de tous ces arguments dans le même temps. Cela correspond à la définition de la complémentarité selon Edgeworth : deux activités sont complémentaires (Edgeworth complements) si la réalisation d’une activité augmente le rendement dans le cadre de l’autre. La ressemblance entre cette définition et celle que nous avons donnée plus tôt (cf. paragraphe 1.2.1.A) concernant les tâches complémentaires est évidente.

La méconnaissance de la complémentarité entre plusieurs actions est susceptible d’entraîner des inconvénients dans le cas où le problème d’optimisation n’est plus convexe [Milgrom & Roberts, 1990]. La non-convexité peut être liée, par exemple, à l’indivisibilité et la nature discrète de certaines variables du problème (actifs utilisé, arrangements, décisions à prendre). Dans le même temps, la complémentarité entre certains paramètres est elle-même une source de non- concavité de la fonction objectif. En effet, la complémentarité entre deux pratiques peut signifier que l’introduction d’une seule d’entre elles ne change pas la performance du système (c’est-à-dire la valeur de la fonction d’objectif)16 ; par contre, la mise en œuvre des deux améliore la performance (augmente la valeur de la fonction objectif). Un tel phénomène, évidemment, n’est pas possible pour le cas d’une fonction unie et concave pour laquelle il est vrai que, si dans un point intérieur de son domaine de détermination, sa valeur ne peut pas être accrue par un changement marginal d’une de ses variables, alors le maximum global est atteint. Ceci explique pourquoi l’adoption réussie de nouvelles méthodes de production ou d’organisation du travail peut ne pas représenter une décision marginale, mais une série de décisions qui nécessitent la coordination [Milgrom & Roberts, 1995].

Dans cette discussion sur la complémentarité entre les pratiques organisationnelles et son influence sur la performance de la firme, c’est le domaine de gestion des ressources humaines

16 Un exemple d’un tel échec de l’innovation organisationnelle devenu déjà classique, est celui de General Motors. Ce

géant de l’industrie automobile américaine investit, pendant les années quatre-vingt, 80 milliards de dollars dans la robotique et d’autres équipements normalement associés aux méthodes modernes de fabrication. Quelles qu’en fussent les raisons, l’entreprise ne réalisa pratiquement aucune réforme dans la gestion des ressources humaines, le développement de nouveaux produits, le système de prise de décision et même dans certaines procédures basiques de fabrication. De ce fait, des milliards de dollars ont été gaspillés en vain : au début des années quatre-vingt dix, GM avait des chaînes de montage probablement les plus flexibles dans le monde tout en produisant un seul modèle.

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(human resource management)17qui nous intéresse plus particulièrement. Dans la suite, nous construirons notre analyse autour de plusieurs pratiques du HRM, qui semblent les plus pertinentes par rapport aux problèmes du secteur académique, tels que nous les avons cernés dans l’Introduction. Il s’agira de l’évaluation des performances, des incitations monétaires, de la

conception du travail et du plan de carrière.

1.3.2. Incitations directes et allocations des efforts

Comme nous l’avons déjà mentionné, les propositions centrales du modèle multitâche ont été avancées et démontrées par Holmström et Milgrom [1991], qui examinaient un modèle multitâche sous une forme assez générale. Ceci permet de considérer leurs résultats comme assez basiques et universels pour n’importe quel travail multidimensionnel. Toutefois, le modèle se heurte à des limites liées à certaines hypothèses qui visent à simplifier la déduction des résultats18. Mais ceci ne remet pas en cause la véracité des résultats du modèle portant sur la structure optimale des incitations directes.

Condition 1. On considère les relations «principal-agent» où l’agent prend une décision sur le

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