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Hiérarchie des rangs et fonctions d’incitation, de signalisation et de formation En termes de promotion hiérarchique verticale, les parcours de la carrière universitaire sont

RÉVÉLATION DES CAPACITÉS ET FORMATION DES MOTIVATIONS

6.2. C ARRIÈRE INTRA UNIVERSITAIRE VERSUS CARRI È RE OUVERTE : I NSTRUMENTS ENRICHIS D ’ INCITATION ET APPARIEMENT DE L ’ EMPLO

6.2.1. Hiérarchie des rangs et fonctions d’incitation, de signalisation et de formation En termes de promotion hiérarchique verticale, les parcours de la carrière universitaire sont

souvent utilisés comme un exemple des possibilités limitées en termes de promotion. En effet, l’avancement le long des hiérarchies administratives (dit verticales) du genre « membre de chaire – chef de chaire (ou département) – doyen – vice-recteur – recteur » ne s’inscrit pas souvent dans le plan de carrière des enseignants, puisque le nombre de tels postes est relativement restreint par rapport au nombre d’universitaires ordinaires. De plus, rares sont ceux qui aspirent vraiment à la « carrière administrative », puisque la majorité ne considère pas l’activité gestionnaire comme une des occupations centrales du travail académique.

Dans le cas de l’université, les fonctions traditionnelles de la hiérarchie verticale sont partiellement accomplies par la hiérarchie des rangs. Cette hiérarchie a souvent deux dimensions

394 Nous avons adapté notre explication à la conception de la carrière ouverte. Dans le cas classique de la promotion intra-firme, la fonction de formation est associée au fait que chaque organisation est caractérisée par un ensemble particulier de stratégies, par la technologie, l’environnement, les pratiques managériales et les valeurs que les employés doivent connaître. Plus le poste occupé par un agent est important, plus les compétences qu’il est censé maîtriser sont nombreuses et compliqués. Ainsi, en avançant d’un poste à un autre, l’employé accumule progressivement les connaissances et les compétences spécifiques nécessaires pour exercer ensuite des tâches plus importantes.

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principales. La première est liée à la nécessité de rémunérer le développement progressif des compétences et de l’expertise des professeurs, et d’ajuster la structure des tâches qu’ils exercent (travaux dirigés, cours magistraux, consultation des étudiants et leur encadrement scientifique, etc.) pour mieux profiter de leur expérience accumulée et de leur capital humain enrichi. Il s’agit ici d’une séquence traditionnelle des postes d’enseignant existant sous telle ou telle forme dans tous les systèmes de l’enseignement supérieur (Graphique 6.2). La deuxième dimension (qui pourtant, n’existe pas dans tous les pays) est liée à la différence résidant entre les postes temporaires et permanents. La tenure, dont l’idée originale est la protection des libertés académiques, mais qui, étant donné son obtention difficile, joue aussi un rôle incitatif, existe, par exemple, aux États-Unis, en France et en Allemagne395.

Il faut dire qu’au niveau fonctionnel, si on met à part les responsabilités administratives, les différences entre les postes dans la hiérarchies des rangs universitaires ne sont pas très grandes. La totalité du corps professoral de l’université est censé enseigner et faire des recherches. Les différences existantes sont plutôt quantitatives et concernent les aspects suivants : la structure du service d’enseignement, son ampleur et l’accès aux ressources nécessaires à la recherche. A

395 En Grande-Bretagne, cette institution a été abolie lors des réformes des années quatre-vingt-dix. Cependant, il existe une différence entre les contrats à durée déterminée (fixed-term contract) et ceux à durée indéterminée (open-end contract) ; théoriquement, il est possible de licencier l’universitaire tenant un contrat à durée indéterminée, mais en réalité, cela arrive extrêmement rarement. Dans les universités russes, il n’existe pas non plus de postes permanents, même s’il existe pourtant une grande différence entre les universitaires titulaires et non titulaires : les contrats des premiers durent plus longtemps et se renouvellent en pratique quasi automatiquement.

La hiérarchie des rangs dont quelques exemples sont présentés sur le Graphique 6.2, est bien sûr susceptible d’une extension continue. Par exemple, en France, le système déployé des postes permanents est beaucoup plus développé que celui montré sur le Graphique. Les statuts de maître de conférences et de professeur ont des classes – deuxième, première et exceptionnelle. À l’intérieur de chaque classe, demeurent plusieurs « échelons ». Le passage d’un échelon à l’autre, dans la même classe, se réalise automatiquement sur la base de l’ancienneté. En revanche, pour obtenir la classe suivante, il est nécessaire de passer un concours dans le cadre duquel une commission spéciale considère le dossier scientifique de l’universitaire évalué, et prend la décision de la promotion. Le dossier contient le rapport sur l’enseignement mais surtout les résultats de l’activité de recherche. Le passage du statut de maître de conférences à celui de professeur se réalise via un concours centralisé très sévère – l’agrégation des universités.

Assistant Enseignant Enseignant

senior Docent Professeur

Chargé de TD ATER Maître de conférences Professeur Lecturer Senior lecturer Reader/

Associate professor Professor

Unterrichtend

Wissenschaftlicher Mitarbeiter Habilitand Privatdozent Professor

Teaching assistant Instructor Adjunct professor Assistant Professor Associate professor Full professor

Frontière du passage aux postes permanents/tenure

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savoir, les universitaires sur les postes initiaux sont plus souvent impliqués dans la direction des travaux pratiques, des travaux dirigés et dans la correction des devoirs écrits des étudiants. Les universitaires avancés donnent plus souvent des cours magistraux et des séminaires spécialisés pour des étudiants avancés, ils assurent également l’encadrement scientifique des étudiants. Dans le même temps, le service d’enseignement en termes d'heures de classes est normalement plus faible pour les universitaires avancés que pour les universitaires débutants.

Cette diversification relativement faible des responsabilités entre les postes ne permet pas à la hiérarchie des rangs d’accomplir la fonction de formation dans son sens classique (cf. note de bas de page 401, p. 155). Parallèlement, la promotion le long de la hiérarchie des rangs reste toujours un instrument d’attribution des profils de salaire, et un dispositif de clarification des statuts professionnels qui incarnent l’information sur la qualité du capital humain accumulé par l’universitaire. Elle rend de plus cette information observable de l’extérieur. C’est pourquoi, au même titre que la promotion dans le cadre d’une hiérarchie verticale, la hiérarchie des rangs

représente un mécanisme d’incitation basé, d’une part, sur la concurrence (promotion tournament) entre les pairs pour le prestige [Lazear, 1995], pour une discrétion plus forte dans la distribution du temps entre les tâches différentes, et pour un salaire plus élevé et, d’autre part, sur les motivations intertemporelles. Ces dernières sont directement liées au concept du plan de carrière (career concern) dont nous avons déjà éclairci la logique dans la section 2.2. Pour la même raison, les avantages liés à la promotion horizontale permettent de traiter la hiérarchie universitaire comme un instrument puissant de signalisation.

Dans le Chapitre 4, nous avons vu que les universités occidentales, en utilisant la performance scientifique en tant que critère central de la promotion, incitent les professeurs à allouer leurs efforts principalement en faveur de la recherche. De plus, dans la situation des hiérarchies des rangs, où les tâches à accomplir ne varient pas vraiment d’un niveau à l’autre, la présence d’un seul critère de promotion oriente le système vers la présélection d’un seul type d’agents. Dans le cas des universités occidentales, il s’agit donc des plus motivés et doués pour la recherche. Ceci engendre des problèmes sérieux pour la qualité de l’enseignement, provoque chez certains universitaires, non enclins au travail scientifique, un sentiment fort d’insatisfaction et même de frustration et, finalement, empêche les universités de bénéficier de la diversification du capital humain incarné par les professeurs possédant différentes motivations et capacités.

Cependant, la hiérarchie des rangs est bien en mesure d’encourager l’élargissement du nombre de modèles de comportement professionnel. Aux Etats-Unis et en Australie, certaines universités s’efforcent de diversifier les modèles de carrière universitaire en tentant, par exemple, de faire de la performance exemplaire dans le domaine du scholarship of teaching une base pour la promotion. Pourtant, pour qu’un tel mécanisme de sélection et d'incitation fonctionne proprement, il n’est pas suffisant d’élargir les critères de promotion. Pour les professeurs se trouvant au même niveau de la hiérarchie des rangs mais suivant des parcours de carrière différents – par exemple, ceux du scholarship of teaching et du scholarship of discovery –, les

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conceptions du travail (structure de la charge de travail, objectifs et indicateurs de la performance) doivent aussi être différentes.

Une pratique assez répandue parmi les entreprises modernes consiste à utiliser plusieurs pistes de promotion comme mécanisme de sélection visant à révéler les capacités, intérêts, intentions, etc. des employés396. Pourquoi, alors, ne pas créer au sein de l’université deux hiérarchies parallèles sur lesquelles deux modèles différents de carrière – par exemple,

scholarship of teaching et scholarship of discovery – pourraient être basés397? Plusieurs faiblesses au sein d’un tel système, appliqué dans le cadre universitaire, sont à noter. D’un côté, les professeurs s’investissant dans le scholarship of discovery, le scholarship of teaching ou le

scholarship of application ont tous une chose importante en commun – ils enseignent. D’un autre côté, les frontières entre les différents scholarships sont souvent très floues, car ceux-ci s’imbriquent étroitement – c’est aussi là où résident leurs valeurs complémentaires.

Des hiérarchies distinctes, d’une part, rendraient nécessaire une séparation plus stricte entre les scholarships, ce qui souvent n’est ni possible, ni utile, et d’autre part, limiteraient la flexibilité du développement professionnel des universitaires qui, une fois un parcours de carrière choisi, seraient confinés dans le cadre de la hiérarchie correspondante, et contraints de continuer sur la même voie occupationnelle (path dependence). De plus, le système des hiérarchies parallèles entraînerait une ségrégation professionnelle et psychologique entre les professeurs poursuivant des voies de carrière différentes. Un tel processus est peu désirable puisque la diversité occupationnelle et la complémentarité entre les enseignants ne contribue pas uniquement directement à la qualité de l’enseignement, en offrant aux étudiants une opportunité de contacts avec des spécialistes aux compétences variées, mais également indirectement, via un enrichissement du capital humain des professeurs caractérisés par des intérêts et des connaissances différents, grâce à l’opportunité de travailler conjointement.

Finalement, quant à la fonction de répartition des tâches, la hiérarchie des rangs l’effectue, jusqu'à un certain degré, pour les activités liées à l’enseignement. Mais elle ne suffit pas à accomplir cette fonction lorsqu’il s’agit de la distribution de tâches plus générales telles que l’enseignement et la recherche. Ainsi, pour renforcer les capacités sélectives et allocatives de la

hiérarchie des rangs, les universités ont besoin de mécanismes complémentaires. Ce sera le sujet que nous aborderons dans les sous-sections suivantes.

6.2.2. Carrière universitaire et mécanismes de répartition des tâches :

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