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4.2. Q U ’ EVALUENT REELLEMENT LES PRATIQUES D ’ ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE INTRA UNIVERSITAIRE ?

4.2.3. L’évaluation et son influence sur les motivations intrinsèques

Dans la section suivante, nous allons analyser comment les relations idiosyncrasiques entre l’enseignement et la recherche discutées dans le chapitre précédent, combinées avec les particularités des modes d’évaluation de la performance de ces deux activités, influencent l’efficacité des incitations extrinsèques basées sur les résultats d’une telle évaluation. Précisons ici en quelques mots l’impact indirect que le système d’évaluation, par l’intermédiaire de l’influence réalisée sur les motivations intrinsèques des professeurs, peut avoir sur la distribution de leurs efforts.

Traditionnellement, en utilisant l’objectif de l’évaluation comme critère, deux types d’évaluation peuvent être distingués ; il s’agit de l’évaluation incitative (summative evaluation), et de l’évaluation de formation (formative evaluation)). L’évaluation de formation vise à procurer un feedback informatif pour aider les universitaires à améliorer leur enseignement. L’évaluation incitative, utilisée comme base de la prise des décisions en matière de personnel (embauche, renouvellement du contrat, promotion, rémunération, etc.), joue un rôle évident dans notre analyse. Par contre, l’influence de l’évaluation de formation sur la distribution des efforts n’est pas immédiate. Elle peut pourtant également remplir la fonction d’un instrument de motivation. En effet,

l’évaluation de formation peut être considérée comme un composant de la culture organisationnelle : d’un côté, sa présence signale aux professeurs l’importance que l’université attribue à la tâche évaluée, de l’autre, elle représente un instrument concret de réalisation de cette amélioration.

Mais, tout comme l’évaluation incitative, une évaluation de formation mal organisée est susceptible de produire des effets destructifs sur les motivations intrinsèques des professeurs, surtout dans le domaine de l’enseignement. En effet, tandis que l’évaluation de l’output scientifique (par les pairs et sur la base des publications) n’était quasiment jamais contestée par les universitaires, l’introduction des pratiques d’évaluation relatives à l’enseignement est toujours marquée par une réticence persistante de la part des professeurs. Et cela n’est pas injustifié. Avant tout, parce que, comme nous l’avons vu dans les sous-sections précédentes, contrairement à la

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recherche, il existe peu de critères universels bien déterminés de ce qui rend l’enseignement efficace [Cavanagh, 1996]. Le facteur psychologique est aussi très fort : de nouveau, contrairement à l’output de la recherche, l’enseignement est considéré par les universitaires plutôt comme une propriété privée [Lewis, 1975; Schulman, 1993 ; Huber & Hutchings, 2005] ; ceci est vrai même pour les campus où l’on attribue beaucoup d’importance à la qualité de l’enseignement. En effet, une grande partie des universitaires considère l’évaluation par les étudiants comme non professionnelle, superficielle, peu constructive et injuste, tandis que celle par les pairs constitue une limitation de leur liberté académique.332 Ainsi, l’idée même d’être évalué crée un effet d’éviction (cf. la section 4.1) en démoralisant les enseignants et en les démotivant à s’investir dans l’enseignement. De plus, l’attitude négative de l’enseignant évalué envers la procédure d’évaluation risque de biaiser ses résultats.

C’est pourquoi le côté organisationnel de l’évaluation joue un rôle décisif dans sa réussite. Par exemple, une série d’études montre que la présentation à l’enseignant évalué d’un rapport sur les résultats des ratings, accompagnée par une consultation personnelle, améliore essentiellement la qualité de son enseignement333 [Alemoni, 1978 ; Stevens & Aleamoni, 1985 ; Arubayi, 1987 ; Franklin & Theall, 1990 ; Cohen, 1991 ; Schum & Xindra, 1996 ; Schmelkin & Spencer, 1997]. De la même manière, concernant l’évaluation de formation par les pairs, actuellement, les chercheurs sont unanimes : elle ne doit pas ressembler à un jugement, mais doit prendre le caractère d’une discussion et avoir un mécanisme accompagnateur assurant la possibilité d’obtenir une(des) consultation(s) dans le cas où l’enseignant reçoit un feedback négatif [par exemple Braskamp & Ory, 1990]. Dans ce contexte, l’autoévaluation devient importante surtout en permettant à l’universitaire de participer au processus d’évaluation334.

Au niveau des motivations, la fonction de formation et la fonction incitative de l’évaluation sont caractérisées par une certaine complémentarité mutuelle. En effet, l’utilisation des ratings ou

peer review à des fins incitatives uniquement peut être inefficace puisque ces procédures agacent les enseignants sans leur donner les moyens (et l’aide) de traiter les imperfections de leur travail335. Cependant, l’abandon de l’évaluation incitative pose beaucoup de problèmes aux universités qui, en suivant l’appel de Ernest Boyer [1990], cherchent à promouvoir l’enseignement comme un composant du travail académique à titre égal avec la recherche [Hutchings, 1996].

Dans le même temps, ces deux types d’évaluation peuvent devenir conflictuels, puisque leurs objectifs immédiats sont différents : en passant une évaluation incitative, l’enseignant essaie

332 Hutchings [1996] cite sur ce sujet pénible Diane Gillespie : « Parler publiquement de l’enseignement, tout comme manger une salade de l’assiette d’un autre au dîner officiel, […] est embarrassant » [1989]. Dans le même esprit mais sur un sujet plus concret – les visites des classes par des observateurs externes – Scriven se prononce ainsi : « Ce n’est pas simplement incorrect, c’est une disgrâce » [1983, p. 251].

333 Tandis que la présentation des résultats trop agrégés ou non traités des ratings ne fait souvent que provoquer une forte irritation de la part des professeurs.

334 Braskamp et Ory [1990], pour décrire cette idée, utilisent une jolie métaphore dérivée de l’étymologie du mot « assessment » (qu’ils emploient au lieu de « l’évaluation »). Il provient d’« assidere », mot latin, qui signifie « être assis auprès de ». Quelles que soient les autres interprétations étymologiques possibles de cette image, elle « évoque aussi les verbes comme s’engager, impliquer, interagir, partager, faire confiance. Elle incarne l’apprentissage en équipe, le travail en commun, la discussion, la réflexion, l’aide, la formation et la collaboration. […] Lorsque deux personnes se côtoient, et sont engagées dans une évaluation, l’une des deux peut juger convenablement l’autre et donner un feedback sur sa performance, mais le style et le contexte de cet échange est critique … [parce que là] une personne essaie de comprendre la perspective de l’autre avant de porter un jugement. » [Ory, 2000, p. 15].

335 En fait, la littérature académique anglo-saxonne, en discutant l’évaluation (surtout par les pairs) de l’enseignement, commence de plus en plus à transférer l’accent de sa « fonction incitative » à celle d’un dispositif interactif visant à aider les universitaires à améliorer leur enseignement [par exemple Ory, 2000 ; Bingham & Ottewill, 2001 ; Lomas & Nicholls, 2005].

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logiquement de présenter son travail sous un jour favorable ; en revanche, l’idée de l’évaluation de formation est avant tout, d’améliorer la performance via la discussion des problèmes existants et des voies envisageables pour les résoudre. Dans les situations où la ligne de démarcation entre les deux n’est pas claire, un tel conflit peut mettre en marche l’effet d’éviction susceptible d’anéantir l’influence stimulante des incitations extrinsèques et de détruire les motivations intrinsèques. Ceci rendra également l’évaluation de formation complètement improductive, car l’objectif principal de cette dernière est de munir le professeur qui cherche à améliorer sa performance, des informations concernant les faiblesses de son enseignement. Toutefois, sans sa bonne volonté (le cas des motivations intrinsèques affaiblies) cette information ne servira à rien. C’est pourquoi il est très important que ces deux types d’évaluation soient strictement séparés au niveau procédural autant qu’au niveau de la culture universitaire. Autrement dit, la politique de l’administration initiant ces deux types d’évaluations doit communiquer aux professeurs une information claire sur les différences qu’elles comportent, et envoyer des signaux crédibles de séparation entre elles.336

336 Entre autre, ce qui peut aider à ce processus est une répartition précise des responsabilités d’une manière telle que, par exemple, l’évaluation de formation soit une initiative réalisée au niveau des départements et l’évaluation incitative – au niveau de l’administration de l’université. Pour une récapitulation des caractéristiques du système d’évaluation qui aident à éviter la destruction des motivations intrinsèques, voir Annexe 7.

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4.3. INCITATIONS EXTRINSÈQUES ET LEURS IMPACTS

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