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4.3. I NCITATIONS EXTRINSÈQUES ET LEURS IMPACTS SUR LA DISTRIBUTION DES EFFORTS DES UNIVERSITAIRES

4.3.1 Régularités principales du système d’incitation efficace

L’analyse réalisée dans la section précédente montre que même s’il existe des pratiques d’évaluation de la performance pour les deux domaines principaux du travail universitaire, on dénote d’avantage de problèmes liés à l’évaluation de l’enseignement, que de problèmes d’évaluation liés à la recherche. À cause de la nature multidimensionnelle de la qualité d’enseignement, de l’absence de standards universels définissant ce qu’est la qualité et ce qui sont les usages professionnels supérieurs, l’efficience de l’enseignement n’a pas d’indicateurs simples et fiables. De plus, étant donné le risque de biais éventuels produits par chaque source isolée (autoévaluation, ratings, évaluation par les pairs), la qualité d’enseignement doit être mesurée sur la base de plusieurs sources différentes. Ceci rend l’aspect qualitatif de l’enseignement plus compliqué et plus coûteux à évaluer que l’output scientifique.

Vu la mesurabilité relativement faible de la qualité de l’enseignement, et étant donné la conviction enracinée de la complémentarité entre l’enseignement et la recherche (cf. section 3.2 du Chapitre 3), l’université peut être fortement tentée d’utiliser des incitations fortes pour la recherche (dont l’output est comparativement facile à évaluer) dans l’espoir d’obtenir un effet croisé positif sur la performance relative à l’enseignement. Pourtant, si nous nous en rapportons aux résultats de notre analyse antérieure, nous pouvons conclure qu’une telle politique surestime la puissance des incitations croisées. En effet, nous avons déduit de notre analyse dans la section 3.2 du Chapitre 3 que les retombées positives de l’enseignement (même très efficient) sur la productivité scientifique sont extrêmement faibles voire inexistantes. Formellement, cela signifie que

r e e e(

q

,

k

,

r

)

a plutôt la forme suivante :

r e( )

r . Si nous supposons que l’évaluation de l’output de recherche

x e

r

( )r

, telle que nous l’avons décrite dans la sous-section 4.2.2, mesure réellement bien la productivité scientifique effective

r e( )r

, dans ce cas

x e

r

( )r

prendra aussi la forme

x e

r

( )

r . Par conséquent, le système incitatif uniquement basé sur l’évaluation

x e

r

( )

r ne stimulera pas les investissements directs investis dans la qualité de l’enseignement

( )e

k 337. Parallèlement, l’université ne peut pas réellement compter sur l’effet « analeptique » de la complémentarité entre

et

r k

e

e

dans la fonction de l’utilité des professeurs puisque, comme nous l’avons vu pour une grande partie d’entre eux, les efforts

(e e

r

,

k

ete

q

)

sont substituables. Par conséquent, malgré

337 Remarquons qu’un tel problème ne se pose pas par rapport à l’aspect quantitatif de l’enseignement puisque le service d’enseignement q est normalement fixé par le contrat universitaire. Dans l’introduction au Chapitre 3, nous avons adopté la condition q=eq.

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l’influence positive de l’engagement dans la recherche

( )e

r appliquée sur la qualité de l’enseignement

k e e e(

q

,

k

,

r

)

, le niveau de cette dernière à la sortie sera proche de

(

q

, 0,

r

)

0

k

=k e

e

(cf. section 3.1 du Chapitre 3).

Cependant, jusqu’à un passé très récent, c’est justement cette politique d’incitation que l’on pouvait et que l’on peut toujours observer dans certaines parties de l’Europe (en Grande-Bretagne particulièrement), et surtout aux États-Unis : les universités emploient les enseignants pour qu’ils enseignent, tandis qu’elles prennent les décisions de leur embauche puis sur leur rémunération et promotion sur la base de la productivité de recherche. Ainsi, un tel système incitatif (divergent reward système) provoque (ou renforce) le conflit inter-tâche auquel les enseignants se heurtent, et qui détruit les germes de la complémentarité créative entre l’enseignement et la recherche [par exemple Tuckman & Hagemann, 1976 ; Fox, 1992 ; Hatti & Marsh, 1996 ; Durning & Jenkins, 2005].

Il faut pourtant souligner que « la rémunération » exclusive de l’enseignement, sans création d’un support incitatif pour la recherche, n’encouragerait pas suffisamment les investissements directs dans l’activité scientifique. Même si la recherche produit une externalité positive sur la qualité d’enseignement (au niveau de la conception ou du contenu), de sorte que

k

=k e e e(

q

,

k

,

r

)

, et si l’évaluation de la qualité

x e

k

( )r

reflète assez bien cette complémentarité, l’influence de l’effort

e

r sur k reste secondaire ; de plus, sa contribution est conditionnée par des facteurs externes (comme par exemple, la discipline, l’âge des étudiants, etc.). Dans le même temps, dans la fonction d’utilité de l’université, la productivité scientifique ne crée pas la valeur au niveau des universitaires individuels seulement sous la forme d’un complément productif à la qualité de l’enseignement. L’output scientifique représente pour l’université une valeur en soi, il joue un rôle indépendant au niveau agrégé (cf. l’introduction du Chapitre 3). C’est pourquoi le système d’incitation basé uniquement sur

x e

k

( )r

ne stimulerait pas l’investissement d’un tel niveau d’efforts consacrés à la recherche qui corresponde aux intérêts de l’université.

Il est donc clair qu’il faut créer certaines incitations directes pour l’enseignement efficient ainsi que pour la recherche productive. Pourtant, si les deux sont vraiment complémentaires en termes de productivité individuelle des professeurs, l’incitation appliquée à l’une de ces activités renforcera le stimulant pour l’autre. Ici, nous revenons de nouveau à la nécessité de soutenir les professeurs dans leur investissement parallèle dans l’enseignement et la recherche, et également dans leur investissement dans la complémentarité productive entre les deux activités338. La

338 Cependant, la plupart des universités échouent régulièrement à aider leurs professeurs à créer et renforcer cette relation entre l’enseignement et la recherche. Par exemple, le rapport par JM Consulting sur les universités anglaises constate : « Étant donné … l’assomption presque universelle que l’enseignement bénéficie de la recherche, … il est bien surprenant combien peu d’instituts mettent en œuvre des pratiques spécifiques pour contrôler, développer et maximiser cette synergie bénéfique » [JM Consulting, 2000, p. 36]. Hattie et Marsh, en analysant les missions des universités de la Nouvelle Zélande, écrivent : « La formulation de la Mission comprenait “le soutien de l’engagement ferme envers l’enseignement basé sur la recherche et

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conception du travail et la structure des instruments d’évaluation jouent un rôle crucial dans l’obtention de cet objectif.

Revenons par exemple au Tableau 4.1 et regardons quels instruments le système d’évaluation présenté emploie afin d’évaluer l’efficience de l’enseignement. Même si les résultats de plusieurs articles de ce rating sont susceptibles d’être influencés par la productivité scientifique, un tel lien reste trop indirect pour que celle-ci soit observable, et donc qu’elle permette une rémunération de l’effort que le professeur investit dans la recherche et qui produit, par conséquent, un impact positif sur la qualité de son enseignement. Par contre, si le mécanisme d’évaluation (de quelque nature soit- il – autoévaluation, évaluation par les pairs ou les étudiants) cherche à mesurer directement la contribution de l’activité scientifique à l’efficacité de l’enseignement, les incitations fondées sur une telle évaluation stimuleront l’effort produit pour l’enseignement mais ainsi que l’effort investi du côté de la recherche qui est susceptible de renforcer la qualité d’enseignement339. Dans le même temps, la distribution du service d’enseignement doit prendre en considération le caractère du travail scientifique des professeurs. Si, par exemple, les universitaires productifs au niveau scientifique surtout ont une opportunité de donner des cours dont le niveau et le contenu correspondent (au moins partiellement) au domaine de leur recherche, certains éléments en seront plus facilement incorporables à l’enseignement (cf. sous-section 3.2.2 du Chapitre 3).

4.3.2. Quelques exemples instructifs de l’expérience des universités anglo-saxonnes

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