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14. Raphael, jeune garçon de

3.2 Analyse de contenu thématique

3.2.1.4 La fratrie et les traitements

3.2.1.4.1 Le traitement traditionnel, une enveloppe psychique culturelle : ses effets

Le psychisme s’organise à l’intérieur d’une enveloppe, l’enveloppe psychique, limite entre le monde interne (psychisme) et le monde extérieur (société) (d’Autume et al., 2015). Une limite qui résulte du conflit entre les forces pulsionnelles et les contraintes imposées au moi par le monde extérieur. L’enveloppe psychique se présente donc comme cette instance de régulation du conflit psychique en vue de réduire la tension suscitée par les conflits entre le ça et le surmoi. Selon d’Autume et al. (2015), l’enveloppe psychique peut se décliner à différent niveaux : l’enveloppe corporelle, l’enveloppe familiale et l’enveloppe culturelle.

Le traitement traditionnel constitue, pour les frères et sœurs de l’enfant malade, une enveloppe psychique culturelle au sens de d’Autume et al. (2015) dans la mesure où il permet aux frères et sœurs de penser et de contenir, via la culture, leur peur, leur angoisse et la menace auxquelles les confronte la maladie de leur frère. Ils disent que ce traitement les protège des attaques

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sorcières et de la drépanocytose. La prise de ces traitements les amène à se sentir en sécurité, à se sentir protégés contre toute persécution sorcière. Même ceux qui évoquent l’origine génétique de la drépanocytose disent se sentir en sécurité après la prise du traitement traditionnel de la drépanocytose. Le traitement traditionnel a, dans ce sens, une fonction de contenance pour les frères et sœurs de l’enfant drépanocytaire. Il est, dès lors, investi par ces derniers comme un bouclier anti sorcier.

La prise du traitement traditionnel contre la drépanocytose par Soumi (10 ans), sœur aînée de Ramatou, l’enfant atteinte de cette maladie, l’amène à se sentir invisible par les persécuteurs de la famille et moins susceptible de faire l’objet d’une attaque des sorciers anthropophagiques du village qui s’attaquent aux enfants par jalousie vis-à-vis de leurs parents. Chez Soumi, le traitement traditionnel lui permet de contenir ses sentiments et ses angoisses de persécution par les sorciers de son village. Elle déclare à propos de ce traitement que :

« C'est bien. Quand je bois ça, je sais que les sorciers-là ne vont même pas m'attaquer. Quand tu bois ça hein, ta viande devient amère jusqu'à. Les sorciers n’aiment pas la viande amère. Je peux même boire Quatre gobelets chaque jour. C'est bien comme ça. On nous donne ça pour que les sorciers ne nous attaquent pas. Quand on va au village, on ne va pas chez les gens. On reste seulement chez notre grand-mère. C'est comme ça. Les gens du village là sont les sorciers. Quand ils voient que les enfants des autres vont à l'école, ils sont seulement jaloux. Ils les mangent. Mais grand-mère nous avait amenés chez un marabout là, loin du village pour qu'il nous fait le remède. Le marabout là nous a fait le remède, il nous a fait des blessures au dos, sur les bras, sur les coudes et sur les pieds. Et puis il a mis la poudre noire dans la blessure là. Il a dit que ça va nous rendre invisible quand les sorciers vont commencer à nous attaquer ».

C’est la grand-mère qui amène l’enfant atteint et ses frères et sœurs consulter physiquement le tradipraticien. Il convient, ici, de préciser que c’est le même traitement qui est administré au malade et à ses frères et sœurs : la scarification des coudes et des pieds. Les coudes et les pieds correspondent en fait aux zones corporelles dans lesquelles Ramatou éprouve de la douleur. Le tradipraticien scarifie ces zones corporelles chez ses frères et sœurs dans le sens d’éviter leur attaque par les sorciers. Ces zones sont pensées comme celles à travers lesquelles les sorciers persécutent les enfants. Par ailleurs, la conversation entre les enfants et le tradipraticien

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concernant la fonction préventive de ces scarifications s’avère contenant pour Soumi. Elle l’amène à se sentir moins en insécurité par rapport aux sorciers.

Samanta (14 ans) idéalise et valorise le traitement traditionnel de la drépanocytose. Elle en fait

la principale cause de l’espérance de vie relativement élevée de sa sœur malade (6ans) par rapport aux autres enfants atteint de la drépanocytose. C’est un traitement qui, selon elle, maintient Paule en vie malgré son agression par les « mauvais gens ». Samanta présente une image ce traitement comme une corde qui relie Paule à la vie, qui la maintient en vie malgré sa persécution par les sorciers. Dès lors, ce traitement attenue, chez Samanta, son angoisse de mort concernant sa sœur malade. Elle déclare à propos de ce traitement que

« C’est le remède fort. Le remède là est très fort, moi-même je confirme ça. Beaucoup d’enfants qui ont sa maladie meurent même avant 6 ans. Elle, elle dépasse déjà 6 ans. C’est le remède de la corde qui nous sauve. Le remède-là ne blague pas avec les mauvais gens, ça les chasse et les empêche de finir avec Paule. Si elle n’avait pas la corde au rein, elle devait déjà être mangée depuis. Heureusement que papa a vite rencontré un grand marabout à Douala qui lui a fait le remède là ».

Samanta se représente ce traitement comme aussi, pour elle et ses frères et sœurs, très efficace, contre les sorciers « mauvais gens », un remède qui protège les enfants contre des persécuteurs de la famille et qui ne permet pas aux sorciers de tuer le malade, qui « les empêche [donc] de

finir avec Paule ». Elle précise, à propos de ce traitement, que

« C’est le remède contre les mauvais gens. Quand tu bois ça, ils ne te prennent plus dans leur mauvais cœur. Je sais maintenant qu’ils ne vont pas toucher à moi ou à un enfant d’ici ».

Ce traitement est donc pensé, par Samanta, comme protégeant les frères et sœurs du malade contre la maladie ; il n’est pas pensé comme pouvant guérir le malade.

Malgré le dégout qu’elle éprouve vis-à-vis du remède traditionnel, Fidèle (17 ans) s’est efforcée à boire ce remède à elle donné par les tradipraticiens qui prennent en charge sa sœur Angela pour ses crises drépanocytaires. Elle a pris ce traitement pour se sentir à l’aise et se sentir protégée des sorciers qui ont attaquée Angela. A ce propos, elle s’exclame :

« Ah ! Moi je n’aime pas d’abord le remède. Je n’aime pas boire le remède. J’ai bu pour me sentir à l’aise. Oui. Ils nous ont dit que c’est pour nous protéger de la maladie. Pour que les sorciers ne nous attaquent pas. J’ai bu pour ça. Les guérisseurs eux, quand ils donnaient

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les remèdes à Angela, ils nous obligeaient aussi de boire ces remèdes ».

La prise du traitement traditionnel amène Jules (11ans) à vivre, de moins en moins, l’angoisse de mort le concernant. Avec ce traitement dans son corps, il se sent moins susceptible d’être « mangé » par les sorciers anthropophages ; il se sent, ainsi que tous les membres de la famille qui ont pris ce traitement, « blindé » contre les sorciers. Il déclare que

« Je n’ai plus trop peur ; Avant j’avais beaucoup peur. Maintenant, avec le remède dans mon corps, je n’ai plus beaucoup peur comme avant. Avant, ils pouvaient aussi commencer à manger mon sang. Maintenant, ils fuient mon sang, ce n’est plus bon pour eux. Ils ne vont plus me chercher. Quand ils ont mangé la dernière fille de maman qui est morte, ils ont tué papa. Maintenant, ils veulent finir avec Paulette. C’est fini pour eux, tout le monde a mangé le remède, tout le monde est blindé ».

Jules se sent relativement serein, protégé et en sécurité contre les sorciers après avoir pris le traitement traditionnel contre la drépanocytose.

Doriane (14 ans) décrit le traitement traditionnel qu’elle prend, en commun avec ses frères et

sœurs non atteints de la drépanocytose, et avec Marc, son frère cadet atteint de cette maladie comme ayant un gout désagréable. Elle précise :

« C’est amer. C’est trop amer. Vous ne pouvez pas finir un petit verre

de ce remède si on vous donne »

La prise de ce traitement lui permet en fait de contenir son sentiment de persécution par les

« mauvaises personnes », celles qui sont à l’origine de la maladie de Marc. C’est ainsi qu’elle

déclare, à propos de ce traitement, qu’:

« On nous a dit que ça lutte contre la sorcellerie. Tous mes frères ont aussi bu. Moi j’ai bu. On ne sait jamais. C’est toujours bien de boire. Quand tu bois, tu es tranquille, tu n’as plus trop peur d’être attaqué par les mauvaises personnes. Il y a les gens qui disent que la sorcellerie n’existe pas. C’est parce que eux, ils n’ont pas encore vu la sorcellerie. Le jour où ça va les arriver, ils vont seulement confirmer. Maman dit qu’on a lancé la maladie là à Marc ».

Comme tous les enfants de la famille, Raphael (11 ans) a consommé le remède traditionnel donné par son père dans le cadre de la prise en charge traditionnelle de la maladie de sa sœur

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cadette Maéva. Ce traitement lui permet de se sentir protégé « toute la vie » contre la drépanocytose et partant, contre toute agression sorcière. Il pense que grâce à cela, les sorciers ne pourront plus consommer son sang. Dès lors, il ne se sent plus en insécurité face aux sorciers. Il souligne, à propos du traitement traditionnel qu’il a pris, que :

« C’est bien. Quand tu bois, ça te protège pendant toute la vie contre la drépano et contre la sorcellerie. La drépano c’est que, les sorciers sucent le sang de l’enfant et lui font mal partout. C’est comme le corps n’a plus beaucoup de sang, il, a mal partout. Comme nous on a bu, on ne peut plus avoir la drépano ».

C’est comme si le liquide du traitement traditionnel venait prendre la place du sang aimé des sorciers.

Il y a comme une analogie entre le remède qui est « mauvais » et le corps qui devient « mauvais » pour les sorciers qui ne peuvent plus le manger. Ce traitement est donc investi par les frères et sœurs du malade comme protecteur contre les sorciers et comme contribuant à l’augmentation de l’expérience de vie du malade. Mais la manière dont ils en parlent montre qu’ils voudraient vérifier cette efficacité totale qu’ils ne sont pas certains.

La famille élargie constitue un soutien et une ressource pour les parents d’enfants atteints de la drépanocytose. Les oncles, les tantes et les grands-mères viennent en aide aux parents en leur proposant, à eux et à leurs enfants, des traitements traditionnels contre la maladie et l’atteinte du corps de l’enfant. Ces traitements qui concernent le groupe familial et qui repose sur l’ingestion de liquide et des poudres dans le corps du malade et dans celui des membres de sa famille contribuent à ce que les frères et sœurs du malade se sentent un peu protégés contre les sorciers et contre la drépanocytose alors pensée comme une persécution du malade et de la famille par les sorciers. Ces traitements visent à faire de telle sorte que la « chair » des enfants ne soit plus désirable, mangeable par les sorciers.

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