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14. Raphael, jeune garçon de

3.2 Analyse de contenu thématique

3.2.1.5 La maladie et le frère malade : parler un enjeu majeur

3.2.1.5.4 Parler ou pas en famille

Les frères et sœurs d’enfants atteints de la drépanocytose, entretiennent, en famille, un rapport spécifique avec le partage, avec les membres de la famille restreinte et/ou élargie, de leur vécu concernant l’enfant malade et sa maladie.

Taire son vécu pour protéger ses parents et ses frères et sœurs

Jules (11 ans) évite de parler, avec sa mère, de la peur qu’il vit concernant sa sœur malade. Il

déclare dans ce sens que

« Je ne veux pas lui parler les choses comme ça. Pour Paulette suffit. Si je lui dis tout ça va la déranger. Je garde seulement ça dans mon cœur. Je ne dis pas les choses comme ça à ma maman. Je ne veux pas lui dire ».

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Il le fait donc pour ne pas contaminer psychiquement sa mère avec sa souffrance.

Fidèle (17 ans) déclare à propos du vécu de ses parents concernant la maladie de sa sœur qu’

« Ils sont souvent inquiets. Ils ont aussi peur. Moi je ne veux pas aggraver leur malaise. Si je dis aux parents, c’est un peu comme si je renforçais encore leurs inquiétudes ».

Il y a, ici, une protection mutuelle parent/enfant via le tabou familial sur la maladie et sur le vécu de la maladie. Fidèle sait que ses 2 parents souffrent. Il veut leur venir en aide et alléger leur souffrance. Pour cela, il est prêt à « perdre » sa place de frère (Scelles, 2010).

Aurèle (16 ans) dit :

« Je garde pour moi. Je sais que les autres ont aussi peur. Vous-même, vous pouvez avoir peur si vous voyez Yvan dans sa maladie. Tout le monde a peur de voir la tête grossir comme ça ».

Aurèle pense que ses parents sont capables de deviner et comprendre, en l’observant, ses angoisses et ses émotions concernant son frère Yvan. Son père et sa mère sont donc investis comme des spécialistes du vécu de leurs enfants, comme des personnes qui n’ont pas besoin, pour comprendre le vécu de leurs enfants concernant la maladie de leur frère, de dialoguer, de parler avec eux. Elle dit qu’

« En fait, les parents ont l’art de savoir quand leur enfant a peur. Donc, si j’ai peur, le parent va directement savoir et, il n’aura pas besoin de me demander si j’ai peur ou pas. Puisque ça va se lire dans les yeux si j’ai peur ou pas ».

Comme Aurèle, Raphael (11 ans) laisse le soin à son père de deviner ce qu’il vit concernant la maladie de sa sœur Maéva. Il dit ne pas lui exprimer son vécu pour le laisser le comprendre et l’interpréter, par lui-même, à sa manière et quand il le peut et le veut. C’est dans ce sens qu’il déclare, à propos de ses parents, qu’

« Eux, ils savent que tout le monde a peur pour Maeva. Ils voient que tout le monde a peur. C’est pour ça que moi je ne parle pas de ça ».

Les 2 parents sont ainsi pensés comme des personnes, susceptibles de comprendre, en dehors d’un entretien ou d’une conversation avec les enfants, à partir des comportements non verbaux des enfants, le vécu que ces derniers concernant la maladie de leur frère. Ce qui pourrait alléger la souffrance qui vient de l’absence du dialogue en famille.

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Ainsi, les frères et sœurs leur taisent leur vécu concernant leur frère malade et sa maladie pour ne pas aggraver leur souffrance et pour les laisser comprendre, par eux-mêmes, ce qu’ils vivent concernant le malade et sa maladie. Ceci au détriment de leur propre désir de s’exprimer. S’il ne faut pas parler aux parents, il ne faut pas non plus parler à l’enfant malade.

Taire son vécu au malade pour ne pas aggraver sa souffrance

Nadège (16 ans), à propos de son vécu concernant la maladie d’Angela, dit que

« Si Angela elle-même entend ça comment est-ce qu’elle peut se sentir bien ? Elle peut sentir que tout le monde pense que quelque chose de grave va lui arriver ».

C’est comme si on ne parlait pas de la maladie pour éviter de faire souffrir le malade davantage

Junior (11 ans), concernant la maladie de sa sœur, déclare :

« Non, on ne parle pas de sa maladie. Si on commence à parler de sa maladie, elle va devenir triste. Quand on est avec elle on ne parle pas de ça. Mes grandes sœurs nous disent qu’elle a la drépanocytose. Que ce n’est pas bien de la déranger. Nous, on ne la dérange pas ».

L’injonction à ne pas parler vient de la fratrie elle-même signant la difficulté de l’enfant malade à être pensé comme enfant de la fratrie. Les sœurs renforcent donc l’isolement affectif de Junior en lui interdisant de dire ce qu’il ressent et vit au quotidien aux côtés du malade. Le soutien fraternel est donc axé sur la protection du malade.

Jules (11 ans) raconte :

« Ici à la maison, maman et ma grande sœur me disent toujours que Paulette est malade, qu’elle ne doit pas faire les travaux durs. Que je dois savoir qu’elle est malade. C’est ce qu’elles me disent. Même au village, maman me disait ça quand on habitait avec l’enfant de notre grand frère ».

La mère et la sœur ainée de Jules, ignorent le vécu de ce dernier et se limitent à l’instruire concernant les comportements à manifester avec sa sœur malade pour la protéger. Cela amène Jules à se rendre compte du manque d’intérêts qu’elles manifestent concernant son vécu en lien avec la maladie de sa sœur. Ce qui suscite, chez lui, de la colère contre sa sœur ainée et contre sa mère.

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Raphael (11 ans) raconte :

« Papa nous dit qu’il faut bien se comporter avec elle pour que la maladie ne vient plus très fort. Il nous dit aussi de bien la surveiller pour qu’elle prenne ses médicaments et aussi de dire à notre mère si Maeva n’a pas pris le médicament. C’est comme ça ».

Cela amène Raphael à obéir à l’autorité parentale pour ne pas être puni par le père. Ce qui le conduit à se comporter « mécaniquement » avec la malade et à avoir des difficultés à comprendre ce qu’elle vit concernant sa maladie. L’intrusion du père dans sa relation avec sa sœur malade et avec ses autres frères et sœurs constitue, chez Raphael, une entrave au lien fraternel dans la mesure où elle lui laisse peu d’espace pour dire et pour se dire, aussi bien avec ses frères et sœurs non atteints qu’avec sa sœur atteinte.

Joseph (11 ans) raconte pratiquement les faits similaires à ceux de Jules concernant le

comportement de sa mère en lien avec la maladie de son frère. Il dit :

« Elle nous dit comment on doit être avec lui. Nous, on fait tout ce que maman nous demande de faire. Si on ne fait pas ça, elle se fâche ».

Les enfants se soumettent donc aux normes définies par la mère pour ne pas être exclus et pensés par cette dernière, comme des mauvais enfants et comme des mauvais frères et sœurs pour l’enfant malade et pour ne pas être punis. La manière dont ces enfants parlent de cela montre qu’ils n’ont pas intériorisé ces règles qu’ils vivent comme imposées par les adultes.

Doriane (16 ans), dans ses conversations avec ses frères et sœurs, se contente de leur prescrire

des comportements nécessaires à la protection de Marc tels que définis par sa mère.

« Je ne veux pas que maman se fâche. Elle a dit qu’on ne parle pas de sa maladie. Elle a peur que ça effraye les autres enfants. C’est ce qu’elle m’a dit. Moi je n’explique pas ça à mes frères, je respecte ce que maman me dit. Nous, on cause, ils me demandent comment s’est passé l’hôpital, je leur dis. Mais je ne leur parle pas de la maladie même. »

Doriane, par identification à sa mère, s’efforce à ne pas expliquer ou dire clairement à ses frères et sœurs ce que la drépanocytose est, comment cette maladie se manifeste chez leur frère et comment ce dernier la vit. Elle entretient, dès lors, un tabou autour de cette maladie et fait alliance avec la mère. Elle adopte alors un comportement parental et tait, de ce fait, ce qu’elle ressent comme angoisse.

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La maladie est donc parlée en famille à travers les injonctions parentales et fraternelles concernant les soins et la protection du malade. Les frères et sœurs et les autres membres de la famille ne parlent entre eux de ce qu’ils ressentent et vivent par rapport à la maladie de l’enfant. Les frères et sœurs de l’enfant malade sont de fait parentalisés, ce qui semble ne pas leur permettre de dire et de se dire ce qu’ils vivent concernant la maladie de leur frère/sœur. L’enfant malade est tenu à l’écart de toute parole concernant sa maladie.

Taire son vécu pour ne pas être réprimandé par les parents

Aurèle (16 ans) intériorise la norme familiale concernant la protection du frère malade. Taire

sa souffrance est donc, pour elle, un moyen de protection de son frère malade ; elle ne parle pas de son vécu par désir de ne pas attirer sur elle une part importante de l’attention de la famille et, partant, de ne déposséder son frère de cette attention dont elle estime qu’il a besoin du fait de sa maladie.

« Je ne leur parle pas de moi. C’est Yvan qui est malade. Les autres personnes, ne sont pas malades. Nous, on parle seulement de comment on doit vivre avec Yvan. On fait tout pour qu’il soit heureux avec nous ».

Aurèle s’efforce de ne pas « faire écran » à son frère malade en parlant à ses parents de son vécu concernant ce frère et sa maladie. C’est comme si la maladie de Yvan rendait illégitime et proscrivait le fait de parler, avec son père et avec sa mère, d’elle et de son vécu concernant son frère malade et sa maladie.

Tout comme Aurèle, Michelle (13 ans) ne parle pas avec ses 2 parents et avec ses frères et sœurs de son vécu concernant la maladie de sa sœur cadette Maéva.

Elle estime ne pas être malade et, par conséquent, ne pas avoir la légitimité de parler de son vécue de la situation de sa sœur avec les membres de sa famille. Elle souligne, en effet, que

« Non. Je ne parle pas de ça avec eux. Pour moi, c’est que je ne suis pas malade. Quand je suis malade, je leur dis que je suis malade et ils me donnent les médicaments ».

Pour parler, il faut donc être malade. Michelle ne parlerait que si elle était malade, alors, ses parents lui donneraient des médicaments. Ce n’est pas donc pas, selon elle, une préférence entre enfants mais bien le fait que les parents se préoccupent davantage de sa sœur que d’elle.

Junior (11 ans) évite de causer de la maladie à ses 2 parents et à ses frères et sœurs ce qu’il vit

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« Non. Je ne leur dis pas ça. C’est Angela qui est malade. Moi je ne suis pas malade ».

Il leur tait donc son vécu pour se différencier d’Angela et pour laisser à cette dernière l’opportunité de bénéficier des soins de la famille.

L’enfant malade ne parle pas, ne peut pas dire ce qu’il vit Michelle souligne dans ce sens que

« Quand elle est malade, je lui demande ce qu’il y a. Elle dit que les joues, les mains, la tête, le ventre. Partout. Et elle pleure. Quand elle me dit tout ça, je ne me sens pas bien. C’est comme si, je ne sais pas. Donc, je ne sais même pas quoi dire. C’est que ça m’énerve parce que je ne comprends pas ce qui lui arrive vrai vrai ».

L’absence de compréhension, par Michelle, de ce que ressent la sœur malade pendant ses crises, suscite donc chez elle de la souffrance. Cette souffrance suscite de la colère contre la malade qui n’arrive pas à lui faire comprendre ce qu’elle vit dans sa maladie et contre elle-même parce que n’arrive pas à comprendre ce que vit sa sœur.

La pauvreté du vocabulaire de la malade concernant sa maladie s’inscrit dans un contexte familial marqué par le non-dit concernant la maladie. Comment avoir un vocabulaire riche concernant sa maladie quand, au sein de sa famille, il est « interdit » d’en parler ?

Le désir de Raphael (11 ans) de comprendre la maladie et le vécu de Maéva, se heurte à l’incapacité de cette dernière à lui verbaliser ce qu’elle vit dans sa maladie. A ses questions concernant sa maladie, Maéva ne « répond pas bien » ; elle y répond, quand elle le peut, de façon superficielle et, par des « pleurs ». Cette difficulté que rencontre Maéva fait d’elle et de ce qu’elle est et vit quelque chose d’étrange, d’irreprésentable pour Raphael. Il souligne dans ce sens :

« Je ne comprends pas. Même quand je lui pose plusieurs questions, elle ne répond pas bien. Je lui demande que ça fait mal comment, ça a commencé comment, ton corps est comment. Mais elle, elle ne connait pas comment est son corps. Elle dit seulement qu’elle a mal aux pieds et aux mains. Quand c’est trop, elle ne répond pas, elle pleure seulement. Moi je cherche qu’elle m’explique bien ses trucs, mais ce qu’elle ressent, elle dit seulement qu’elle a mal. C’est tout ça qui fait mal dans sa maladie ».

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C’est donc l’incompréhension des crises Maéva et la sévérité de ces crises qui est source de souffrance chez Raphael.