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Le handicap reconfigure et affecte le lien fraternel. Evidemment ce qui a été évoqué dans les chapitres précédents concerne aussi les familles africaines subsahariennes pour la plupart des choses car il s’agit de la vie des humains. Toutefois, la culture africaine subsaharienne, la vie des familles, les rôles des femmes, des pères, des enfants dans cette culture ont un impact sur la manière dont le handicap est vécu par les frères et sœurs.

Ce chapitre aborde les spécificités des familles africaines, en générale, et des familles camerounaises, en particulier. Ce qui permet de comprendre les représentations que ces familles ont du handicap, de l’enfant atteint de handicap et leur réaction face au handicap et à l’enfant en situation de handicap.

1.6.1 La référence culturelle dans la compréhension du handicap

Le handicap est pensé, dans les cultures africaines subsahariennes, comme la personnification d’un mal, d’une transgression de la norme ancestrale ou de la persécution du groupe par un tiers malveillant. Les représentations spécifiques à la drépanocytose sont abordées plus loin. La culture est le référent par excellence à partir duquel le sujet donne un sens aux objets dans une situation donnée (de bien ou de mal être). C’est à travers la culture que le sujet donne sens à la réalité au handicap. La prise en compte de la dimension culturelle de l’être humain devient dans ce sens, capitale pour tout projet d’analyse, d’explication ou de compréhension de son comportement et des processus mentaux des sujets en situation de handicap. La culture du sujet est dès lors, au cours de la confrontation de ce dernier aux anomalies, convoquée pour contribuer à leur donner un sens et une existence sociale (Scelles, 2013).

Le processus de subjectivation du handicap est, chez le sujet, modélisé par son répertoire symbolique. C’est à partir de ce répertoire qu’il donne sens au handicap. Face au handicap en effet, la culture suggère au sujet une manière de penser, de rêver, de fantasmer à propos de Le handicap d’un enfant reconfigure donc ses liens fraternels et affecte son vécu et celui de ses frères et sœurs. Et ce, en fonction, entre autres, de l’âge des enfants et du type de handicap.

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multiples visages, expressions de la vulnérabilité humaine que traduit cette situation (Scelles, 2013). Ainsi, le sens et la représentation donnés par le sujet au handicap

« Ne s’élaborent pas dans l’univers clos d’un monde imaginaire, mais dans le cadre de ses représentations sociales (sens du handicap à une époque donnée) et surtout à travers une expérience qui n’est pas si simple travail intérieur, mais échange, interaction avec un environnement. De ce point de vue, la psychopathologie du handicap ne doit pas se concevoir comme une réaction personnelle, mais comme une construction progressive de défenses en interaction avec un environnement plus ou moins tolérable » (Scelles,

2013, p. 40).

Les représentations culturelles influencent dans ce sens, non seulement le processus de subjectivation du handicap, mais aussi les pratiques rituelles ou thérapeutiques autour du handicap dans une société donnée (Gardou, 2010). La culture est alors l’élément capital dans tout processus visant à cerner la subjectivité du sujet face au handicap car tout handicap, physique, mental ou social trouve sa signification dans la force référentielle qui le caractérise (Sylla, Thiam, Sylla, Touré Seck, & Kebe Gueye, 1999). Dans la culture d’appartenance du sujet pour ainsi dire. C’est cette dernière qui donne au sujet un ensemble de théories explicatives du handicap.

1.6.2 Le handicap : manifestation de la persécution du sujet par les êtres invisibles

La catégorie étiologique invisible appréhende le handicap comme la volonté de Dieu, la résultante de la persécution du sujet et/ou de son groupe par un mauvais esprit et/ou l’esprit des ancêtres. Ainsi, suite à la transgression d’une norme divine ou ancestrale, Dieu ou les ancêtres réagissent en infligeant au sujet une punition proportionnelle à la transgression. Le handicap est perçu dans ce sens comme consécutif à la transgression par le sujet ou par un membre de son groupe d’une loi ancestrale ou divine. Il est ainsi déconseillé aux humains de partager le même périmètre avec l’esprit des ancêtres. Ces derniers sortent à des moments précis et habitent des lieux précis.

Habitant par excellence la lisière du village, lieu interdit d’habitation aux vivants, l’esprit des ancêtres se promène, pendant la nuit pour assurer la protection de ses habitants. C’est ainsi qu’il est, dans la plupart des cultures de l’Afrique subsaharienne, par exemple interdit aux femmes de verser de l’eau de ménage la nuit à l’extérieur de la maison sans un avertissement préalable

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adressé aux esprits ancestraux pour ne pas les mouiller « souiller » et provoquer leur mécontentement (Sow, 1978).

Le handicap peut aussi être la marque des mauvais esprits qui provoquent l’infortune. Les hommes, à la rencontre avec ces esprits errants, deviennent ou en situation de handicaps. Le handicap traduit dans ce sens la rencontre d’un homme avec l’un de ces esprits (Sow, 1978). La catégorie étiologique visible quant à elle, appréhende le handicap comme l’œuvre des êtres visibles de l’environnement du sujet. Les sorciers-anthropophages, généralement issus de la ligné utérine, sont susceptible de dévorer le principe vital de l’individu qu’ils attaquent. Les marabouts/charlatans passent par la magie interpersonnelle pour porter atteinte à la vie ou au bien-être du sujet et de son groupe. La transgression des interdits sexuels (inceste), matrimoniaux, alimentaires et des obligations rituels (rites de possession) font aussi partie des unités de la catégorie étiologique visible du handicap.

Dans le registre culturel, on dénombre trois grandes entités étiologiques du handicap à savoir les étiologies mystiques, les étiologies animistes et les étiologies magiques (Brandibas, 2010).

➢ Les étiologies magiques

Les étiologiques mystiques sont basées sur les théories selon lesquelles le handicap résulte d’un acte ou d’une expérience de la personne hors de toute intervention surnaturelle. Selon ces théories, le handicap est dû à l’un des ou aux éléments suivants :

- La position des astres dans le ciel au moment de la conception ou de la naissance de l’enfant ;

- Des sensations néfastes tels les rêves, les visions qui sont non seulement des présages mais la cause du handicap ;

- La contagion du sujet par le contact avec une personne ou un objet impur ;

- Le châtiment mystique suite à la violation d’un tabou alimentaire, sexuel ou verbal ; - La rupture d’hommages rituels envers les divinités et les ancêtres, ou l’entrée dans un

lieu sacré en état de souillure. ➢ Les étiologies animistes

Les étiologies animistes sont basées sur les théories selon lesquelles l’origine du handicap est liée à l’action directe d’une entité surnaturelle. Des esprits maléfiques, des démons, des fantômes se livreraient à une action malveillante, arbitraire et démoniaque envers les hommes. Les étiologies magiques quant à elles sont basées sur les théories selon lesquelles l’origine du handicap est liée aux agissements secrets d’une personne malveillante, nuisant à ses victimes par des moyens surnaturels.

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«Ainsi est-il des manifestations des possessions par l’âme errante d’un

défunt délibérément envoyée par un sorcier ou un jaloux, sur l’un de ses proches ou ses ennemis» (Brandibas, 2010, p. 285).

Tout comme la maladie, la malchance ou un excès de pluie, le handicap est la traduction de la perturbation d’un équilibre social. Soulignons, à ce propos, que la restauration de l’harmonie entre le sujet et son environnement, entre le monde des vivants et celui des esprits, entre le monde des vivants et celui des ancêtres, entre le monde des vivants et celui des dieux, entre le monde visible et le monde invisible, les respects des interdits et des codes sociaux sont des moyens de prévention et de réparation du déséquilibre. En effet, le handicap en lui-même ne constitue pas un concept porteur de sens pour les tradipraticiens. Pour ces derniers,

« C’est la notion de déséquilibre, origine ou conséquence du handicap,

mettant en jeu à la fois la personne, la communauté et le respect des règles de la vie, qui est, à leurs yeux (ceux des tradipraticiens), significative »

(Noël, 2010, p. 142).

Les codes culturels précis et les interdits, notamment alimentaires, régulent les actions des membres d’une même communauté avec leur milieu de vie. Manger des bananes collées peut provoquer la naissance d’enfants siamois ou ayant des doigts surnuméraires, manger des tripes de caïman provoque l’étranglement du nourrisson par le cordon ombilical à la naissance (Noël, 2010).

Les croyances magiques ne sont pas l’apanage des sociétés dites traditionnelles. On les rencontre, en effet, aussi bien dans des familles vivant en milieu rural qu’en milieu urbaine, aussi bien dans des familles françaises que dans des familles immigrées, aussi bien dans des familles occidentales, dites civilisées que dans des familles non occidentales (Noël, 2010). La différence réside dans le fait que les discours étiologiques traditionnelles sont moins ouvertement exprimés par les familles « modernisées » que celles restées encrées dans le traditionnel car les premières ne font plus partie d’un réseau culturel ou mythologique ouvertement admis et transmis d’une génération à l’autre (Korff Sausse, 1996).

Au-delà des variables culturelles, la coexistence de la pensée magique/mystique et de la pensée rationnelle est une donnée universelle et ce, aux vues du contexte de la mondialisation qui rythme le quotidien des hommes de nos jours. Les tradipraticiens s’efforcent, tant bien que mal, dans ce contexte de mondialisation, à pérenniser leurs pratiques de prise en charge du handicap.

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1.6.3 Le handicap : figure de la transgression d’une norme ancestrale

La société négro-africaine est une société organisée, structurée en sous-systèmes qui communiquent entre eux. Le sujet se trouve ainsi dans un environnement composite, un environnement dans lequel le visible et l’invisible sont en interaction. Il vit dans un univers ouvert et structuré. C’est dans ce sens que Sow (1977) distingue trois grands univers dans la société négro-africaine. Le macro cosmos est l’univers peuplé par Dieu et les ancêtres ; le méso cosmos, l’univers peuplé par des esprits errants et le micro cosmos, celui peuplé par les vivants, les hommes et leurs familles. Ces trois univers, interagissent selon des normes prédéfinies. La transgression de ces normes par le sujet fait l’objet d’une punition se traduisant par un mauvais sort, une maladie et parfois la mort. La maladie est, de ce fait, un mal personnifié, la personnification d’un mal qui habite le sujet (Tsala Tsala, 2009) et sa famille. Le malade subit la conséquence de transgression d’une loi ancestrale dont il est responsable ou l’un de ses proches ; l’un de ses parents en particulier.

Dans le cadre de la maladie de l’enfant, la faute est généralement pensée comme causée par la mère qui aurait, au cours de la grossesse, transgressé une norme culturelle (Tsala Tsala, 2009). Et ce, d’autant plus, quand il s’agit d’une maladie génétique comme la drépanocytose. Cette interprétation est commune à de nombreuses sociétés africaines où, dans les campagnes et parfois même encore en ville, ces mères sont appelées des “porte-malheur”. Les représentations de la maladie attribuant rarement aux hommes la capacité à transmettre une maladie à l’enfant, il n’est pas rare qu’une femme déjà endeuillée par la mort de ses enfants soit stigmatisée, voire répudiée par son mari (Bonnet, 2000).

1.6.4 Le handicap : figure de la persécution de la personne et de sa famille

La maladie d’un individu constitue toujours une menace pour tout le groupe, elle est toujours porteuse de sens pour tous. La notion de conflit dynamique avec le tiers persécuteur est le thème central dans l’interprétation de la maladie en contexte culturel négro-africain. Cette interprétation est dominée par la thématique de la persécution, amenant plusieurs auteurs à faire, de plus en plus référence à la dyade persécuté/persécuteur dans l’univers négro-africain pour expliquer cette conception de la maladie axée sur le sentiment de persécution (Sow, 1977) du malade et de sa famille par un tiers.

Dans le contexte culturel négro-africain, la personnalité des sujets est généralement altéro- centrée ; ces derniers se définissent toujours par rapport aux « êtres » de leur environnement

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immédiat ou lointain (Sow, 1977). En effet, les thèmes d’indignité, de culpabilité et de dévalorisation y sont relativement rares. Il s’en suit la réalité selon laquelle

« Toute maladie, quelle que soit sa nature, (étant) attribuée à la sorcellerie

ou à la magie maléfique ». (Fotso-Djemo, 1982, p. 269)

Cet auteur voit en la maladie une violence exercée sur le malade par une altérité agressive (un sorcier, un mauvais esprit, un ancêtre, etc.).

1.6.4.1 L’enfant en situation de handicap : enfant messager

En Afrique, en général, et en Afrique centrale, en particulier, il est admis que les enfants viennent du monde invisible. L’enfant est, dans ce sens, l’œuvre des ancêtres ou des esprits (Moro, 2010). L’enfant n’est jamais un être neutre, il est toujours porteur d’un message des ancêtres ou des esprits à l’endroit des vivants. Dès lors, la durée de sa grossesse, son sexe, son teint, sa maladie ou son handicap constituent pour les vivants, son entourage et sa famille autant de codes à déchiffrer pour accéder au message porté par l’enfant.

Les enfants malades ou en situation de handicap, en fonction de leur handicap, sont représentés et traités différemment dans les cultures africaines subsahariennes. Toutes les maladies ou handicaps de l’enfant ne font pas l’objet d’une même représentation. Les comportements des hommes à l’endroit de l’enfant en situation de handicap sont fonction de la nature et du sens qu’ils donnent à son handicap sur le plan culturel. Les enfants porteurs de handicaps comme l’autisme, le polyhandicap et l’albinisme font souvent l’objet d’une violence allant jusqu’à leur assassinat dans des sociétés africaines (Mbassa Menick, 2015). Généralement considérés comme la réincarnation d’un mauvais esprit dont la mission est de ruiner une famille et son entourage (Agossou, Kpadonou-Fiossi, Siranyan, & Ahyi, 1994; Mbassa Menick, 2015), ces enfant sont souvent voués à la mort au sein de la société et de la famille.