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14. Raphael, jeune garçon de

3.2 Analyse de contenu thématique

3.2.1.1 La drépanocytose : représentations

3.2.1.1.1 Une maladie de sorciers

Les frères et sœurs de l’enfant atteint de la drépanocytose se représentent cette maladie comme causée par des pratiques de sorciers.

Jules (11 ans), désigne les sorciers anthropophages de son village comme les responsables de

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« Il y a les gens au village qui mangent les gens. Quand ils voient les enfants, ils les mangent dans la magie. Ils ont tué papa et son enfant. Maintenant c’est Paulette qu’ils veulent tuer ».

Les sorciers persécutent le malade et l’hôpital le soigne. Ce soin est jugé inefficace par Jules car malgré cela, la maladie persiste. Ce qui sera évoqué dans les études de cas.

Jules associe l’anémie chronique dont est victime Paulette à l’idée de mort imminente la concernant. Manifestation d’une attaque sorcière, cette anémie renseigne sur la persécution du malade par les sorciers qui,

« Quand ils mangent le sang comme ça, c’est pour que tu meurs. Ils mangent ton sang tu meurs ».

Les sorciers sont donc identifiés comme responsables des crises de Paulette.

Cette représentation de la maladie est à l’origine de l’exode rural de Jules, de sa mère et de sa sœur malade. Ils se sont en effet exilés à Yaoundé pour se mettre à l’abri des nouvelles persécutions sorcières. C’est dans ce sens que Jules souligne, à propos des « gens du village », qu’

« Ils sont au village avec leur sorcellerie. Quand ils ont tué mon père, ils croyaient qu’ils devaient encore nous voir au village pour finir avec nous. Nous on est venu ici. Je suis sûr que c’est eux qui ont fait la maladie de Paulette. Sa maladie est difficile, on soigne à l’hôpital ça ne finit pas. C’est à cause des gens du village ».

Jules associe la nature chronique de la maladie de sa sœur à la persécution sorcière et trouve inefficace et non indiqué le traitement de cette maladie dans la médecine conventionnelle occidentale, symbolisée ici par « l’hôpital ». L’hôpital est donc reconnu comme inefficace dans le processus de prise en charge de Paulette.

Soumi (10 ans), se représente la maladie de Ramatou, sa sœur de sang, âgée de 6 ans comme

la conséquence de la persécution de la famille par les sorciers à cause de la jalousie qu’ils manifestent à l’encontre de sa famille concernant son bien-être économique et social. Ils s’attaquent à Ramatou pour ruiner, selon Soumi, sa famille, son père. Soumi souligne qu’

« Ils ont attaqué ma sœur parce que mes parents sont bien, ils ont beaucoup de maisons et des enfants. Ils ont mangé tout son corps là. Son corps là, c'est fini. C'est comme ça que les sorciers font. Humm ! C'est une maladie grave. Quand on a dit que Ramatou a cette maladie, tout le monde ici a commencé à pleurer. On ne soigne pas cette maladie.

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C'est même les sorciers-là qui attaquent les enfants pour rien. Ils sont jaloux de papa. Papa a construit sa grande maison ici en ville. Ils sont jaloux seulement. C'est ça. Ils sont partis voir les sorciers pour qu'ils attaquent ma sœur. Mais papa a dit qu'il va tout faire pour sauver Ramatou. Moi j'ai beaucoup peur de ces sorciers. Ils tuent les enfants. Ils sont méchants ces sorciers ».

Elle continue en précisant qu’

« Ils ont mangé tout son corps là. Son corps là, c'est fini. C'est comme ça que les sorciers font ».

Les principaux responsables de la maladie de Ramatou sont, selon Soumi et ce, suite à ce qu’elle a entendu de sa mère, non pas les sorciers, mais les habitants du village qui ont recours aux pratiques sorcières pour ruiner sa famille. C’est dans ce sens qu’elle dit :

« Maman a aussi dit que c'est les gens du village qui ont fait ça. Qu'ils ont fait la sorcellerie et mangé son enfant ».

Tout le monde est donc sorcier au village. La malade est pensée comme victime des pratiques anthropophages des sorciers. Dès lors, elle est un enfant pensé dans l’entre-2 de la vie et de la mort. Elle est physiquement vivante, une vie qui ne saurait perdurer car est « attaquée », atteinte par les sorciers. Ramatou est donc pensée par Soumi comme un « mort-vivant » ou, un « vivant- mort » pour ainsi dire. La maladie la place dans une situation de liminalité.

Pour Nadège (16 ans), la maladie de sa sœur cadette, Paule, âgée de 6 ans, est causée par des attaques sorcières consécutives à l’inobservance, par ses parents, des rites traditionnels à sa naissance. Les parents n’auraient, selon elle, pas respecté la tradition qui voudrait qu’on isole l’enfant, de sa naissance jusqu’à l’âge de 1 mois et ½ environ, de tout contact avec les personnes étrangères à la famille en évitant de l’amener dans les lieux publics comme, entre autre, le marché, la rivière du village et les lieux de deuil, de mariage. Cet isolement de l’enfant constitue un moyen de protection contre sa rencontre avec des sorciers. Ce rite protège la famille contre les agressions sorcières. Nadège se représente ainsi la maladie de sa sœur à partir de ce qu’elle a entendu dire, par le tradipraticien, le « guérisseur », à sa mère au cours d’une consultation traditionnelle. Selon Nadège, Paule « mangé dans la sorcellerie » pour n’avoir pas été protégée à sa naissance. Dès lors, Nadège explique la maladie de sa sœur par la sorcellerie. Elle précise :

« Je me rappelle maintenant de ce que le guérisseur avait dit à maman. Il lui avait dit que Paule est attaquée par les sorciers parce qu’à sa naissance, on ne lui a pas fait la tradition qu'on doit faire après la

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naissance de l'enfant. Que les sorciers ont profité de ça pour entrer dans la famille. Et quand ils entrent dans la famille comme ça, c'est difficile qu'ils sortent sans laisser les traces. Notre famille est déjà dans les problèmes. Les gens se battent pour que les sorciers ne finissent pas les enfants ».

Les crises anémiques de Paule sont pensées par Nadège comme la manifestation des attaques sorcières ; les sorciers se nourriraient de son sang. Ange est donc victime des attaques sorcières, des attaques qui rendent vulnérables tous les membres de la famille, des parents à ses frères et sœurs. Ces derniers sont susceptibles d’être, à leur tour, attaqués par les sorciers qui, en prenant possession de Paule, ont également pris possession de la famille. Cette réalité fait peur à Nadège. Elle a, en fait, peur de se voir, à son tour, persécutée par les sorciers.

Les représentations traditionnelles concernant la cause de la drépanocytose que se font les frères et sœurs de l’enfant malade reposent donc sur l’idée qu’ils auraient été victimes de la persécution du malade et de sa famille par des êtres maléfiques, consécutive, soit à la transgression d’une norme traditionnelle par un membre de la famille, soit à la jalousie manifestée par un membre de la communauté à l’encontre de la famille du malade. La drépanocytose est donc la manifestation ou la conséquence de la

- Jalousie à l’encontre des parents ou de la famille du malade - Transgression, par les parents, d’une norme ancestrale - Sorcellerie

Ces causes ne sont pas exclusives l’une de l’autre.