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L’expérience de deuil anticipé ou de pré-deuil chez les proches d’enfants en situation de handicap

1.2 La famille face au handicap

1.2.3 L’expérience de deuil anticipé ou de pré-deuil chez les proches d’enfants en situation de handicap

L’expérience de mort du sujet atteint de handicap, telle que décrite dans la partie précédente, est celle des parents lors de l’annonce du handicap, celle de leur rencontre avec cette étrangeté que constitue le handicap. Or, la drépanocytose, comme on verra plus loin, est une maladie létale où la mort qui expose les proches du malade à sa mort imminente en contexte africain subsaharien. Ce qui ouvre sur le champ théorique de la mort anticipée de l’enfant atteint ou de pré-deuil de ce dernier chez ses proches.

1.2.3.1 Généralités sur le pré-deuil

La littérature francophone, malgré sa richesse et sa diversification concernant le deuil (Bacqué, 2003; Bacqué & Hanus, 2009; S. A. Berger, 2012; Bourgeois, 2003; Zech, 2006), se consacre essentiellement à l’investigation des processus psychiques des personnes après le décès d’un être cher. Ces études explorent donc les processus psychiques des sujets après la mort de l’être aimé et se situent dans un contexte de post deuil.

Dans le monde anglo-saxonne, en général, et nord-américain, en particulier, les chercheurs s’intéressent davantage aux processus psychiques de pré-deuil ou de deuil anticipé qu’ils théorisent sous les concepts d’ « anticipatory grief/mourning » et qui ont lieu avant la mort de l’être cher (Parkes, 1970; Rando, 1986; Worden, 2009), atteint d’une maladie létale comme le cancer ou comme le VIH/SIDA, par exemple et des personnes en fin de vie. Le pré-deuil est alors défini comme l’expérience anticipée des pensées et sentiments liés à la mort et à la perte d’un être cher (Fasse, Sultan, & Flahault, 2013).

L’intérêt porté sur l’étude des processus de pré-deuil se comprend, selon Parkes (2002) et Worden (1991), par

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- Le désir de mieux comprendre et d’apaiser la détresse encore peu repérée des personnes accompagnant une personne en fin de vie

- L’influence du vécu de pré-deuil sur le vécu de deuil après le décès.

Les études menées dans le domaine du pré - deuil visent à anticiper et à rendre moins douloureux le vécu du deuil après le décès de l’être cher.

1.2.3.2 La conceptualisation du deuil anticipé

Comme souligné précédemment, l’essentiel des travaux portant sur les processus psychiques liés au deuil et initiés avant le décès est d’origine anglo-saxonne. Il est donc important d’aborder la manière avec laquelle ce deuil est théorisé dans ce contexte.

Un sujet confronté à la perspective de sa propre mort et à des pertes multiples (amoindrissement physique, perte d’autonomie par exemple) peut vivre l’expérience de pré-deuil (Cheng, Lo, Chan, Kwan, & Woo, 2010; Hottensen, 2010); la thèse ne s’intéresse pas à cet aspect du pré- deuil.

Le deuil anticipé est essentiellement étudié en rapport avec l’adaptation de la personne endeuillée après la mort de son proche (Rando, 2000). Son intérêt réside dans sa dimension pratique car les soignants doivent être attentifs à ce phénomène et vigilants à l’évolution du fonctionnement psychique de l’endeuillé (Fulton, 2003).

L’un des pionniers dans l’étude des processus du pré-deuil, Lindemann (1944) étudia, aux Etats Unis d’Amérique, le vécu des compagnes de soldats partis au front durant la seconde guerre mondiale. Ses études aboutirent aux résultats selon lesquels beaucoup de ces femmes se disaient détachées émotionnellement de leurs maris absents depuis de longs mois, alors considérés comme morts, comme si elles en avaient fait le deuil. Cette étude aboutit donc au constat d’un détachement libidinal des liens avec le défunt, stade final d’un travail de deuil habituellement « post-mortem », alors préalable au décès lui-même.

S’appuyant sur l’hypothèse freudienne selon laquelle le détachement de la libido de l’objet perdu et son réinvestissement dans de nouveaux objets d’amour marque l’achèvement du travail de deuil, Lindemann (1944) indiqua que ces femmes avaient une détresse moindre lorsque la mort effective de leurs compagnons advenait. Ceci fait du deuil anticipé un mécanisme de défense dont la fonction est de protéger la personne d’une annonce de décès trop brutale. Ce

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deuil anticipe et favorise, selon l’auteur, le travail de deuil qui serait plus rapide et moins douloureux après le décès. Ainsi,

« le deuil anticipé diminuerait donc tout à la fois la violence de l’impact, le traumatisme, mais aussi favoriserait une accélération de l’élaboration psychique » (Fasse et al., 2013, p. 179)

Le concept de deuil anticipé a ensuite été utilisé pour comprendre les réactions de parents dont les enfants présentaient un pronostic vital engagé (Fasse et al., 2013). Dans ces études, on retrouve la même fonction défensive du deuil anticipé : face à la menace de l’imminence du décès de leur enfant atteint d’une maladie létale, les parents peuvent, avant le décès, passer par toutes les étapes du deuil « conventionnel », généralement observées après le décès d’un être cher.

- Dépression,

- Préoccupations majeures centrées uniquement sur l’enfant et la séparation - Anticipation des modalités d’adaptation nécessaires à l’expérience de la perte

Le deuil anticipé est ainsi considéré par les chercheurs anglo-saxons comme un phénomène normal qui s’accompagne parfois d’une détresse psychique si intense qu’elle nécessite une prise en charge spécialisée (Fasse et al, 2013) .

1.2.3.3 Les limites de la conceptualisation du deuil-anticipé

Fasse et al. (2013) font une présentation des limites de la conceptualisation du deuil anticipé dans la littérature spécialisée. Ces limites portent, selon les auteurs, sur plusieurs points

- Les études sont rétrospectives

La nature rétrospective de ces études ne permet pas d’investiguer en toute rigueur le fonctionnement psychique de l’individu avant le décès de son proche. Les études sont faites après la mort de l’être cher. Des biais de remémoration ou de désirabilité sociale peuvent survenir, a fortiori dans un contexte de deuil, souvent marqué par des mouvements d’idéalisation du défunt.

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Les auteurs ne s’accordent pas sur la définition du deuil anticipé. Faire un deuil anticipé est-ce se préparer de façon adéquate au décès de son proche? Ce deuil nécessite-t-il, et dans quelle mesure, d’être informé du pronostic létal par l’équipe médicale ? Les avis divergent concernant les réponses à ces questions.

- L’absence d’unanimité sur l’efficacité de ce deuil dans l’adaptation après le décès Le deuil anticipé est, pour les uns, une manière adéquate de se préparer au décès de l’être cher. C’est donc une préparation à la mort imminente et un facilitateur du travail de deuil après le décès. Pour les autres, cette préparation n’affecte pas les symptômes de dépression, d’anxiété, les sentiments de colère et de choc, et l’intensité des symptômes de deuil après le décès. Ils remettent donc en question la fonction adaptative de ce deuil pour le sujet après le décès de l’être cher.

Le deuil anticipé a été étudié auprès des conjoints de militaires partis en guerre, des conjoints de personnes en fin de vie et/ou atteintes de maladies létales, des personnes en fin de vie et/ou atteintes de maladies létales, et des parents d’enfants atteints de maladies létales. La fratrie de personnes atteintes de maladies létales et/ou en fin de vie reste encore non explorée par les auteurs s’intéressent au deuil-anticipé.