• Aucun résultat trouvé

La fratrie est un objet d’étude qui intéresse des chercheurs de différentes disciplines des sciences sociales, humaines et médicales. Ce chapitre aborde ce que le handicap d’un enfant suscite chez ses frères et sœurs avec une approche psychanalytique.

1.3.1 La définition de la fratrie

La fratrie un sous-système de la famille dont la compréhension du mode de fonctionnement reste complexe.

Resté pendant longtemps méconnu, inexploré par la psychologie, le vécu des frères et sœurs fait depuis quelques années, l’objet des études psychologiques.

Dans l’histoire et l’évolution de la famille, la naissance du premier enfant fait du couple une famille tandis celle du deuxième enfant donne lieu à une fratrie. Avoir des frères et sœurs amène chaque sujet à vivre une expérience unique, particulière, complexe et ambivalente.

Bien que représentant une question séculaire, la fratrie est un thème d’actualité qui, dans l’histoire de l’humanité, a nourri l’imaginaire de l’homme (Scailteur, Batchy, & Kinoo, 2009).

16

Le fraternel est une réalité universelle, présente dans toutes les cultures et dans tous les espace- temps de l’évolution humaine. La mise en scène des problématiques fraternelles à travers des mythes, contes et légendes rendent compte de l’universalité des réalités fraternelles. Ces réalités sont illustrées dans des mythes tels que celui de Romulus et Remus ou de Narcisse d’une part, et dans des récits à travers l’histoire de Caën et Abel. Ces différents mythes explorent la complexité des liens fraternels souvent empreints de rivalité et de jalousie menant parfois au fratricide. La récurrence de l’apparition du thème de la fratrie à travers des âges reflète bien l’intérêt qu’il suscite chez les hommes.

Dans sa plus simple définition, la fratrie, venant du Grec « frater », est l’ensemble des frères et sœurs d’une famille (Langevin, 1998; Scelles, 1998, 2003b; Vinay & Jayle, 2011). Les frères et les sœurs désignent des personnes ayant des liens familiaux, le plus souvent des enfants issus d’un même couple, ayant un seul parent en commun ou ayant des liens d’adoption. La notion de fratrie est, cependant, à distinguer de celle de phratrie, concept faisant référence à un groupe d’hommes reliés par un ancêtre commun (Scelles, 1998). On parle par exemple de phratrie dans le cas des communautés religieuses et de certains clans ethniques. Revenant sur la fratrie, elle met en exergue l’existence des frères et sœurs comme un groupe de la famille. Elle évoque aussi le groupe parental.

1.3.1.1 La fratrie : un sous-système familial

La famille est un système, c’est-à-dire un grand ensemble composé de plusieurs éléments en interaction plus ou moins cohérente, organisée en fonction d’un but (Rosnay, 1975). Cet ensemble composé du couple (les parents) et des enfants (la fratrie), fait émerger trois principaux liens familiaux que sont les liens conjugaux (unissant les parents entre eux), les liens parentaux (unissant les parents aux enfants) et les liens fraternels (unissant les enfants entre eux). En effet, la fratrie est un sous-système familial spécifique. L’expérience fraternelle s’inscrit dans le cadre plus général des conditions de vie de la famille ; présence ou absence d’un parent, inclusion de la famille dans un vaste réseau de parenté, conditions socio- économiques et culturelles de la famille (Bourguignon, 1999). La fratrie est, dès lors, un objet dont l’analyse et la compréhension devraient tenir compte des réalités de sa famille et de sa société d’appartenance.

D’un point de vue essentiellement fonctionnel, le sous-système fraternel a des règles de fonctionnement psychique bien différentes de celles qu’on retrouve chez le couple parental (Baudry, 1998). En fait, la fratrie fonctionne comme un groupe, avec ses règles de fonctionnement psychique

17

« Radicalement différentes de celles que l’on peut trouver dans les dyades

(et notamment celle que forme le « couple parental ») » (Almodovar, 1998,

p. 64).

Cette particularité fonctionnelle de la fratrie amène Almodovar (1998) à distinguer le « groupe

fraternel » du « paradigme fraternel ». Tandis que le premier concept renvoie aux propriétés

structurales et à l’ensemble des règles de fonctionnement psychique qui régissent les expériences fraternelles tant sur le plan des interactions que sur celui des représentations, le second fait référence aussi bien aux situations ou qu’aux dispositifs permettant au chercheur ou à tout autre professionnel d’accéder à ces règles de fonctionnement et/ou, éventuellement de les modifier. Et ce, en se situant sur une dimension spécifique de compréhension de l’expérience fraternelle.

Des travaux sur la fratrie, il ressort deux dimensions/axes de compréhension de l’expérience fraternelle ; la dimension verticale et la dimension horizontale.

Les travaux se situant dans la dimension verticale, articulés autour du complexe d’œdipe, comprennent l’expérience fraternelle sous l’angle de lutte entre frères et sœurs pour la recherche et la possession de l’amour parental (Cahn, 1962; Freud, 1989). Ils attribuent dès lors, un rôle primordial aux parents dans l’électivité de liens entre frères et sœurs.

Par contre, les travaux s’inscrivant dans la dimension verticale (Scelles, 2003b, 2003a, 2008), comprennent la fratrie comme un groupe spécifique qui a ses règles et normes de fonctionnement propres. Ces travaux font de la fratrie un lieu de relations privilégiés entre frères et sœur et accordent moins d’importance à l’influence des parents sur les interactions entre frères et sœurs.

Contrairement aux travaux axés sur la compréhension de l’expérience fraternelle sous l’angle du complexe d’Œdipe, les travaux se situant dans la compréhension de l’expérience fraternelle sous la dimension horizontale accordent un intérêt particulier au complexe d’intrusion, entendu comme l’expérience que vit un sujet quand il se reconnait comme un frère ou une sœur (Lacan, 1984), une expérience le plus souvent médiatisée par l’identification primordiale entre les frères et sœurs (Lacan, 1984; Scelles, 2003b). Toutefois, la complexité de l’expérience fraternelle ne peut être saisie que dans l’articulation de ces deux dimensions verticales et horizontales. On ne saurait concevoir la fratrie comme un groupe isolé, ne subissant aucune influence des autres membres du groupe familial. De même, il ne serait pas judicieux de la concevoir comme un groupe de sujets dont les interactions sont quasiment déterminées par la quête de l’amour et de la protection parentales. Allant dans ce sens, Kaës (2008, p. 38) précise

18

que les « les deux axes se croisent, se combattent, s’attirent l’un l’autre, quelquefois se

rabattent l’un sur l’autre, mais aucun ne peut exister dans sa plénitude sans l’autre ». Cet

auteur pense en effet que l’avenir du complexe d’Œdipe est le complexe fraternel, et réciproquement le complexe fraternel aboutit à une impasse s’il ne se structure pas avec le complexe d’Œdipe.

1.3.1.2 Les rôles au sein de la fratrie

Les rôles fraternels sont évolutifs et non figés. Plusieurs chercheurs (Bonnet, 2001; Bourguignon, 1999; Camdessus, 1998b; Scelles, 1998, 2010) reconnaissent que la définition et l’attribution des rôles dans la fratrie sont influencées par

- La dynamique psychique du groupe familial et l’évolution de chacun de ses membres ; - L’investissement de chaque enfant par les parents, en fonction des fantasmes dont il leur est le support et des éléments de la réalité comme les circonstances de sa naissance, la ressemblance avec un membre de la famille, son rang dans la fratrie, son sexe, entre autres ;

- Les événements qui bouleversent la vie familiale (mariages, divorce, décès, nouvelle naissance, éloignement géographique d’un membre, maladie, handicap…) ;

- La culture qui assigne des rôles aux enfants en vue d’en faire des futures mères ou des futurs pères.