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1.8.8 Les spécificités des effets psychologiques pour la famille

1.8.8.2 Les parents de l’enfant atteint avec centration sur la mère

La drépanocytose est souvent associée à une mort précoce, une maladie stigmatisant du fait de son mode de transmission et de nombreux handicaps qu’elle occasionne. C’est une maladie qui constitue un traumatisme pour la famille. Quand on sait avec Scelles (1998) que la découverte, chez un enfant, d’un handicap laisse apparaitre chez les membres de sa famille, un avant-scène (calme et harmonieux où rien de la souffrance n’existait) et un après-scène (inquiètent, traumatisant où l’épée de Damoclès semble suspendue sur la tête de l’enfant et de ses parents), il devient légitime de questionner le vécu des proches d’un enfant atteint de drépanocytose après la découverte de cette maladie.

Bonnet (2001) souligne que les parents sont toujours dans un processus de deuil de leur enfant atteint de drépanocytose, comme s’ils préparaient psychiquement la mort attendue de cet enfant, une mort qui symbolise l’anticipation de leur propre mort. Evans, Burlew, & Oler (1988), de leur côté, soulignent que même dans des meilleures conditions d’accès aux soins dans des pays occidentaux, les parents d’enfants atteints de drépanocytose, originaires d’Afrique, manifestent une angoisse de mort concernant leurs enfants malades. Ces parents restent en fait influencés par des réalités relatives à la drépanocytose dans leur pays d’origines où le diagnostic de drépanocytose chez l’enfant est perçu comme une annonce de mort de ce dernier (Gernet, Mestre, & Runel-Belliard, 2012). Dès lors, les crises itératives de l’enfant atteint de drépanocytose amènent les mères à vivre continuellement une angoisse de mort le concernant. Tsala Tsala (2009) indique qu’en contexte traditionnel africain subsaharien où la maternité est valorisante pour la femme, les mères d’enfants atteints investissent la maternité et en font un facteur de résilience vis-à-vis de leur souffrance. L’auteur précise par ailleurs que ces mères idéalisent la situation de leur enfant atteint en minimisant les souffrances de celui-ci à travers la mise en avant de ses capacités multiples rapport aux autres enfants. Il précise en effet que ce mécanisme constitue, chez ces mères, une défense contre le désir de mort de leur enfant atteint

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de drépanocytose car plus que la maladie, la mort de l’enfant portera atteinte à leur statut social et à leur narcissisme.

Korff Sausse (1996) démontre que la découverte du handicap d’un enfant réactualise certaines souffrances chez parents, restées, jusque-là enfouies dans leur inconscient. La manifestation des crises par l’enfant fait souvent resurgir chez les parents les problèmes de leur propre enfance qui n’ont jusque-là pas été résolus.

Concernant la drépanocytose, l’expérience d’une douleur chronique chez l’enfant atteint est susceptible de raviver des deuils anciens, des conflits antérieurs chez les parents qui l’assistent. Faure & Romero (2003) précisent que c’est lors de la première crise que la drépanocytose se révèle brutalement aux parents, les plongeant dans une situation de détresse. Ces praticiennes hospitalières insistent sur le fait que cette détresse se fonde sur la remémoration des messages d’incurabilité de la maladie, et, la rupture que crée la violence relative à la douleur plonge les parents dans l’incertitude absolue, la menace de l’anéantissement, l’absurde, la mort. L’angoisse est souvent massive, majorée par un sentiment de culpabilité lié à l’impuissance des parents à soulager la souffrance de leur enfant (Faure & Romero, 2003).

Les mères souffrent de la souffrance qu’endurent leurs enfants atteints (Tsala Tsala, 2009). Ünal, Toros, Kütük, & Uyanıker (2011) soulignent dans ce sens que la fréquence des crises de l’enfant et l’importance des limitations sociales entrainées par sa maladie ont un effet sur le stress des mères. Ils notent chez elles l’existence de souffrances psychologiques telles que le stress, l’irritabilité et la dépression. Le stress exacerbe pendant les crises et au cours des hospitalisations de l’enfant malade, périodes au cours desquelles elles sont témoins de ses souffrances (Burlew et al., 1989) qui, dans la plupart des cas, conduisent à sa mort.

La mère est, en contexte culturel africain, le parent qui est le plus blessé narcissiquement pour donner suite à la découverte de drépanocytose chez l’enfant. L’enfant atteint de drépanocytose traduit la faillite de la maman vis-à-vis de son devoir. Ce devoir consiste pour la femme, à donner à son époux et à son groupe familial un enfant bien portant. Ceci dans l’optique de la prolongation et de la pérennisation de la famille (Tsala Tsala, 2009). La drépanocytose traduit le manquement de la femme à ce devoir familial. Cette dernière a, à travers la drépanocytose, transmis la maladie et surtout la mort non seulement à son enfant, mais aussi et surtout à son groupe familial. Elle est dans ce sens perçue par les membres de son groupe et par elle-même comme une femme terrifiante pour son groupe car l’enfant constitue, dans l’univers culturel négro-africain, un projet et une richesse sur lequel reposent tous les espoirs, désirs et projections du groupe familial. Ainsi, Face à son enfant atteint de drépanocytose, la mère se culpabilise

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non seulement pour avoir répondu absente au rendez-vous de la bonne maternité, mais aussi pour avoir transgressé une norme ancestrale au cours de la grossesse de l’enfant atteint de drépanocytose (Tsala Tsala, 2009).

Cette culture de drépanocytose est une véritable source de souffrances pour les mères. Ces mères refuseraient d’être pénalisées pour une maladie qui ne dépend pas d’elles. Elles cherchent à ce qu’on reconnaisse leurs difficultés, qu’on propose à leur enfant un traitement efficace et que leur enfant ne soit pas stigmatisé. Dès lors, elles souffriraient de l’indifférence de la société, de l’Etat et de la famille vis-à-vis de leur situation et de celle de leur enfant malade (Assimadi et al., 2000; Luboya et al., 2014; Tsala Tsala, 2009). Elles ne souffriraient donc pas de la culpabilité concernant la maladie de leur enfant contrairement à ce que pensent les auteurs occidentaux de leur vécu.

Bonnet (2001); Burlew et al. (1989); Evans et al. (1988) et Gernet et al. (2012) situent la souffrance des mères sur l’axe de la culpabilité maternelle qui aurait plusieurs origines : 1) le discours médical sur la transmission de la maladie ; 2) les représentations culturelles de la maladie : 3) l’impuissance de la mère à soigner son enfant et à lui épargner les souffrances et les crises.

Bien que n’étant pas désigné comme le principal responsable de la maladie de l’enfant, le père est parfois perçu comme responsable de la maladie de l’enfant. Il est dans ce sens accusé d’avoir un « mauvais sperme », un sperme impur qui transmet la maladie aux enfants (Tsala Tsala, 2009).

Face aux crises de l’enfant atteint de drépanocytose, les parents développent deux principaux mécanismes de défense.

Chez les uns, on note le mécanisme de déni de la maladie. Ce mécanisme empêche la mise en place des soins et la surveillance de l’enfant. Ici, les parents refusent le diagnostic, ignorent la maladie et les soins qui en découlent (Faure & Romero, 2003). Ces parents évitent tout discours, événement ou objet se rapportant à l’état de l’enfant.

Chez d’autres, on note plutôt un mécanisme opposé au déni de la maladie de l’enfant. Pour ces parents, tous les comportements manifestés par l’enfant sont relatifs à la maladie. L’enfant a de mauvaises notes à l’école parce qu’il est atteint de drépanocytose, il ne parle pas bien parce qu’il est atteint, il ne doit pas jouer avec ses camarades parce qu’il est atteint. Cet autre extrême consiste à ne voir l’enfant que dans la maladie. Sa conséquence immédiate est la protection de l’enfant atteint de drépanocytose par les parents. Ce comportement qui, au fond, traduit une hyper protection de l’enfant atteint de drépanocytose par les parents, peut à la longue, porter atteinte à l’autonomie de l’enfant.

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