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III.2 Domaines de spécialité en traduction et traduction pour l’IPMB

III.2.5 Traduction juridique

La traduction juridique porte sur l’ensemble des textes qui reposent principalement sur l’utilisation du langage juridique, qui peut être défini comme le langage se rapportant au domaine du droit et aux systèmes juridiques et qui sert à décrire ce domaine ou à le construire (par la création de normes juridiques) (Cao, 2013, p. 415).

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Les textes juridiques ont non seulement une fonction descriptive, puisqu’ils décrivent des droits et des obligations, mais aussi, et surtout, une fonction normative ou contraignante, car ils permettent ou interdisent des conduites (Legault, 1979, p. 21). Selon Jean-Claude Gémar (1979, p. 39), c’est cette dernière fonction qui fait la spécificité des textes juridiques. En effet, les textes juridiques sont en réalité des instruments du droit qui sont « créateurs de droits et d’obligations » (Legault, 1979, p. 23), « porteurs d’effets juridiques obligatoires » (Petrů, 2016, p. 182) ou « porteurs de normes » (Vaupot, 2013, p. 107) : ils créent ce qu’ils énoncent rien qu’en l’énonçant. Ce sont ce qu’on appelle des textes performatifs.

De nombreux textes juridiques sont donc par nature essentiellement pragmatiques (Petrů, 2016, p. 182). Cette fonction a une incidence fondamentale sur la traduction de textes juridiques puisque les textes cibles doivent souvent créer les « mêmes effets juridiques que les textes sources » (ibid p. 183). Ainsi, dans certains cas, la traduction d’un texte de loi est aussi loi : le texte source et le texte cible sont tous deux sources de droit (Legault, 1979, p.19). C’est le cas dans les pays qui ont plus d’une langue officielle, où les documents juridiques sont soit corédigés, soit traduits dans chacune des langues du pays et où la traduction doit avoir la même force juridique que le texte source (Gémar, 1979, p. 40).

Néanmoins, il existe une catégorie de textes juridiques qui ne sont pas normatifs ou prescriptifs et qui ont pour seule fonction d’informer le lecteur : ce sont les textes juridiques descriptifs (Petrů, 2016, p. 182 ; Gémar, 1979, p.38). Ces textes ont pour but d’expliquer des documents prescriptifs ou des notions ou concepts juridiques.

Lecteurs cibles

Bien que le droit vise à régler la conduite des individus, il ne s’adresse pas nécessairement premièrement aux individus, mais bien souvent aux juges, qui sont chargés d’interpréter les règles de droit et d’appliquer les normes à des situations concrètes (Legault, 1979, p. 21).

Comme ce sont les juges qui doivent comprendre, lire, interpréter et appliquer les règles juridiques et qu’ils sont censés être experts dans leur domaine et connaître parfaitement le langage juridique, celui-ci est bien souvent particulièrement complexe. Néanmoins, le principe juridique bien établi et bien connu selon lequel nul n’est censé ignorer la loi implique que les textes de lois s’adressent en réalité à tous et puissent être compris de tous. Dans cette optique,

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tout traducteur devrait faire en sorte que le langage juridique qu’il utilise soit non seulement non ambigu, mais qu’il soit également clair, précis et concis (Gémar, 1979, p. 47).

Il convient également de souligner que, dans le cas des textes juridiques descriptifs, les lecteurs cibles peuvent être très divers, allant du lecteur profane, qui souhaiterait apprendre les notions de base du droit, au spécialiste du domaine, tel qu’un juriste, qui voudrait se renseigner en détail sur une question juridique bien précise.

Spécificités linguistiques, structurelles et stylistiques

Puisque de nombreux documents juridiques ont un caractère performatif contraignant et qu’ils sont des instruments du droit, la marque première du langage juridique devrait être sa non-ambiguïté afin que la marge d’interprétation soit le plus limitée possible (Gémar, 1979, p.42, 47). Néanmoins, en pratique, il est aisé de se rendre compte que ce n’est pas nécessairement le cas et que la traduction de textes juridiques pose certains problèmes, qui peuvent mener à des imprécisions.

Un des éléments les plus caractéristiques et les plus problématiques de la traduction juridique est le découpage asymétrique des réalités entre le texte source et le texte cible. En effet, les réalités juridiques décrites dans la langue source et dans la langue cible sont souvent différentes, en raison de la grande diversité des systèmes juridiques (ibid, p. 42). Zuzana Honovà (2016, p.

164) souligne qu’un système juridique est le fruit d’une évolution historique ancrée dans un contexte culturel et social déterminé, ce qui implique en général que les systèmes de droit sont différents d’un pays à l’autre et que les notions juridiques issues de ces différents systèmes ne se recouvrent pas nécessairement. Ce problème est d’ailleurs particulièrement prononcé dans le cadre de la traduction depuis l’anglais, puisque les systèmes juridiques anglais et américains, fondés sur le droit anglais, ou Common Law, reposent sur une conception du droit totalement différente des systèmes de droit français et suisses, issus du droit romano-germanique. Le traducteur juridique doit donc bien souvent se transformer en comparatiste (Gémar, 1979, p.

42 ; Richard, 2013, p. 654).

Cette non-correspondance des concepts est d’abord problématique du point de vue terminologique, puisque la multiplicité des systèmes et des réalités juridiques engendre une multiplicité de termes, ce qui a pour conséquence que la terminologie du droit est particulièrement riche et complexe. Le traducteur doit parfois faire face à l’absence

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d’équivalents en langue cible puisque certains signifiés de la culture source sont totalement inconnus dans la culture cible (Petrů, 2016, p. 178, 180). Il devra donc parfois avoir recours à des explicitations et à des définitions (Alcaraz et Hugues, 2014, pp. 32-33).

De plus, afin d’éviter toute ambiguïté, la terminologie juridique devrait être précise et claire (Gémar, 1979, p. 47). Dans cette optique, il convient donc de faire particulièrement attention aux termes et unités lexicales semi-techniques ou non techniques polysémiques et aux homonymes et de clarifier l’ambiguïté en s’aidant du contexte (Alcaraz et Hugues, 2014, p. 36).

En particulier, certaines unités linguistiques très répandues dans la langue générale peuvent acquérir un sens spécialisé spécifique dans le domaine juridique et le traducteur se doit de les reconnaître (Darbelnet, 1979, p. 31). Il suffit également d’examiner les différents sens du mot

« droit » pour se rendre compte que le langage juridique est tout sauf univoque, comme le montre Ivo Petrů (2016, p. 180) : s’agit-il du système (le droit), de la prérogative (par exemple, le droit à un procès juste et équitable) ou de la charge au sens fiscal (par exemple, les droits de douane) ?

L’exigence de précision et de non-ambiguïté est aussi régulièrement confrontée à l’imprécision de certains termes ou formules juridiques, comme l’expression « ordre public », qui n’appelle pas qu’une seule définition et peut revêtir des sens différents selon les contextes et les auteurs (ibid, p. 181).

La terminologie juridique est aussi marquée par la présence de nombreux latinismes, particulièrement dans le langage juridique francophone utilisé en Suisse et en France, puisque les systèmes de droit de ces pays sont fondés sur le droit romano-germanique. Le traducteur doit donc connaître les usages du domaine concernant les termes latins.

Le registre du droit est bien souvent formel et un certain nombre de termes et de formules juridiques sont aussi souvent archaïques, particulièrement les prépositions et les adverbes, ce qui permet d’assurer la précision du sens de ces termes en raison de leur résistance aux changements sémantiques.

La divergence de systèmes juridiques d’une culture à l’autre a également bien souvent une incidence sur la forme des documents juridiques et les codes de rédaction associés, qui dépendent de la nature du document (contractuelle, législative ou judiciaire) (Richard, 2013, p.

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655). Étant donné la forte codification des textes juridiques, les divergences de structures textuelles des textes juridiques entre les différentes cultures sont un autre élément auquel un traducteur doit être particulièrement attentif (Petrů, 2016, p. 182).

Les textes juridiques sont également caractérisés par une syntaxe distinctive afin de véhiculer un message aussi clair, précis et non-ambigu que possible. Notamment, Jean-Claude Gémar (1979, p. 48) souligne que la formulation et l’exposition du droit en anglais suivent une logique structurelle différente de celle utilisée en français : en anglais, les conditions sont souvent mentionnées avant ce à quoi elles s’appliquent, ce qui n’est pas un ordre syntaxique commun en français. Le traducteur francophone est donc amené à réorganiser la structure et l’ordre des phrases afin de produire un texte respectant les objectifs de clarté et de non-ambiguïté (ibid).

Michel Sparer (1979, pp. 86-87) constate lui aussi qu’il est souvent bienvenu de reléguer les conditions en deuxième partie de phrase et d’en proposer une énumération.

Michel Sparer (ibid, p. 88) souligne qu’afin de favoriser la clarté, les traducteurs juridiques devraient éviter le piège de la double négation et des tournures négatives, courantes dans la langue juridique anglaise, lorsque l’utilisation de tournures positives est possible.

Le langage juridique français est également marqué par l’exigence de non-subjectivité : abondance de tournures passives sans complément d’agent et d’autres tournures impersonnelles ; apparition fréquente de sujets indéfinis, tels que « nul » ou « quiconque » ; absence du pronom « on » en raison de son caractère vague (Vaupot, 2013, p. 108 ; Darbelnet, 1979, p. 31). Jean Darbelnet (ibid) précise que les auteurs de textes juridiques évitent également de s’adresser directement aux personnes concernées, recourant à l’interrogation indirecte au détriment de questions directes.

En raison de la nature performative des textes juridiques, les verbes utilisés y sont souvent des verbes performatifs : ils contiennent en eux-mêmes la réalisation de l’action qu’ils expriment et leur seule mise par écrit crée des effets juridiques (Alcaraz et Hugues, 2014, p. 10). Ainsi, le temps du discours juridique est très souvent le présent de l’indicatif, puisque les textes juridiques disent le droit, qui s’applique à tout moment dès la publication de ces documents (Vaupot, 2013, p. 108).

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Le droit reste un milieu relativement conservateur, ce qui se traduit par une forme masculine souvent privilégiée dans les textes juridiques, le féminin étant considéré comme inclus dans l’utilisation du masculin (ibid).

Il s’agit de plus d’un domaine très codifié, où les règles de bienséance et l’étiquette jouent un rôle prépondérant, d’où l’abondance de marques de politesse et de déférence, ainsi que de formules d’adresse propres au contexte.

Enfin, pour respecter les objectifs de clarté et de précision, le langage juridique se caractérise par des répétitions et de la redondance, un aspect que la langue française cherche souvent à éviter dans de nombreux autres domaines (ibid).

Typologie des textes juridiques

Différentes typologies des textes juridiques ou de la traduction juridique ont été proposées dans la littérature. Une catégorisation a été établie par Susan Šarčević (1997) en fonction du sujet principal du texte source :

- traduction des lois nationales et des traités internationaux ; - traduction de documents juridiques relevant du droit privé ; - traduction de textes académiques sur le droit ;

- traduction de la jurisprudence.

Susan Šarčević propose également une autre typologie, fondée sur la fonction des textes juridiques :

- principalement prescriptifs ou performatifs ;

- principalement descriptifs, avec des éléments prescriptifs ;

- purement descriptifs (non contraignants, non performatifs, non applicables) (Šarčević, 1997).

Deborah Cao (2013, p. 416) relève que ces typologies sont problématiques dans la mesure où elles sont uniquement fondées sur la fonction ou l’utilisation des textes sources et ne prennent pas en compte le texte cible, qui peut avoir une fonction ou une utilité différente dans la culture cible. De plus, la distinction entre textes principalement prescriptifs et textes principalement descriptifs nous semble floue, car elle se fonde sur la proportion d’éléments prescriptifs que présente chaque texte juridique. Or, chaque texte peut certainement être placé sur un continuum

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au regard de sa quantité d’éléments prescriptifs et déterminer un seuil pour classer chaque texte dans l’une ou l’autre des catégories semble donc arbitraire. En outre, quantifier les éléments prescriptifs par rapport aux éléments descriptifs semble être également une tâche complexe difficilement réalisable en pratique.

Deborah Cao (ibid) a donc défini une nouvelle typologie des traductions juridiques, fondée sur la divergence ou similarité de fonction entre le texte source et le texte cible :

- fonction normative : le texte source et le texte cible sont tous deux destinés à produire les mêmes effets juridiques, revêtent tous deux un caractère officiel et ont un statut identique dans les deux langues (par exemple, traduction de textes de loi dans des pays possédant plusieurs langues officielles) ;

- fonction informative : traduction de lois, de décisions judiciaires ou d’autres documents sur le droit, qui ont une fonction performative en langue source, mais une visée informative en langue cible;

- fonction juridique ou judiciaire générale : traduction de documents descriptifs (non normatifs) à la fois en langue source et en langue cible, qui sont utilisés pour l’exécution de procédures judiciaires ou dans tout autre contexte juridique (cette catégorie inclut les contrats, les certificats, les rapports d’experts, les plaintes, etc.).

Cette typologie est particulièrement intéressante, puisqu’elle permet de faire le lien entre la fonction d’un texte juridique dans la culture source et la fonction que doit remplir la version traduite dans la culture cible. L’accent peut ainsi être mis sur l’usage qui va être fait de la traduction d’un texte juridique dans la culture cible, ce qui a un impact évident sur la stratégie de traduction utilisée et sur le choix des normes à respecter.

Claude Bocquet (2008, p. 119) propose une autre typologie des textes juridiques, découpée en trois catégories et fondée à la fois sur leur fonction et leur logique :

- textes normatifs (textes performatifs, tels que les textes législatifs et les contrats, qui créent le droit) ;

- textes juridictionnels ou syllogistiques (décisions judiciaires, qui appliquent une norme à un cas particulier, constats de police, etc.) ;

- textes descriptifs (textes qui se rapportent aux deux premiers types en les décrivant ou en les expliquant, comme les textes de doctrine ou de chronique judiciaire).

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Dans le contexte de l’IPMB, la plupart des textes juridiques produits sont des textes performatifs destinés à remplir la même fonction que le texte source, mais dans un contexte différent, celui de la culture cible. Nous nous intéressons donc surtout à la catégorie des textes normatifs, c’est-à-dire aux textes qui créent le droit, tels que les brevets ou les formulaires de consentement de participation aux essais cliniques (qui sont une forme de contrat).