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Tradition légale et cotation à l’étranger

actionnaires minoritaires

Section 1- Protection des actionnaires minoritaires dans les entreprises multicotées

3- Tradition légale et cotation à l’étranger

La comparaison des traditions juridiques a été souvent mise en évidence dans les travaux de La Porta et al. (1998, 1999). Il s’est souvent révélé l’existence de quatre groupes de pays : pays de droit commun, pays de droit civil français, pays de droit civil allemand et pays de droit civil scandinave. La différence est jugée importante entre ces systèmes, tout particulièrement entre le système de droit civil et le système de droit commun (Coffee, 1999).

Dans le système légal de droit civil, le juge qualifie juridiquement les faits pour dégager la question de droit que pose un litige et en déduire la solution de droit applicable figurant dans le code. Alors que, le juge dans un système légal de droit commun apparaît comme un créateur de droit, son raisonnement est inductif, dans le sens où il reproduit des solutions dégagées pour des faits similaires.

À ce niveau, une question importante se pose : pourquoi le gouvernement d’entreprise diffère-t-il à travers les pays ? Dans leur étude, La Porta et al. (1997) mettent en évidence l’origine légale des pays. La présence des protections légales explique vraisemblablement la nécessité et l’importance des actionnaires minoritaires dans le financement des entreprises.

Comme le signale La Porta et al. (1997), les lois protégeant les investisseurs et les normes comptables diffèrent d’un pays à un autre et la qualité de l’exécution de ces lois varie considérablement. La thèse soutenue par La Porta et al. aboutit à la conclusion selon laquelle

les pays de droit commun, comme les États-Unis et la grande Bretagne, sont caractérisés par des systèmes de gouvernance d’entreprise plus efficaces et offrent une protection juridique des investisseurs élevée rendant ainsi difficile l’expropriation des actifs de l’entreprise par les internes. Cette conclusion est justifiée par le fait que les systèmes de gouvernement d’entreprise dans les pays de droit commun permettent un contrôle externe des entreprises par le marché. Dans plusieurs autres pays comme la France et l’Allemagne (pays de droit civil), la situation des investisseurs extérieurs est beaucoup plus précaire, même si certaine protection peut exister. Les entreprises sont contrôlées de façon interne par les actionnaires de contrôle.

Le rôle des règles de gouvernance d’entreprise est alors de réduire l’expropriation des droits des actionnaires minoritaires par les actionnaires de contrôle.

Les travaux récents stipulent que la tradition légale affecte aussi bien la loi qui protège les droits des actionnaires minoritaires que la capacité de recevoir des financements (La Porta et al., 1997, 1998, 2000). La protection des droits des investisseurs facilite le financement des entreprises par capitaux propres et favorise le développement du système financier. Il s’avère très difficile de trouver un moyen susceptible de surmonter les désavantages résultant de la localisation dans un pays offrant de faibles institutions légales. Dés lors, les entreprises établies dans des pays ayant des normes de divulgation et de supervision inadéquates sont plus incitées à inscrire leurs titres aux États-Unis et souhaitent contourner la mauvaise qualité des systèmes de gouvernement d’entreprise de leurs pays d’origine. Elles peuvent

« emprunter » le modèle de protection des droits des actionnaires minoritaires des pays étrangers caractérisés par de meilleures institutions légales (Stulz, 1999). En particulier, les entreprises qui inscrivent leurs titres aux États-Unis se soumettent à des exigences de divulgation d’informations très rigoureuses. En outre, les investisseurs peuvent avoir recours aux tribunaux américains et bénéficier des lois et des réglementations américaines. Partant de ce constat, les entreprises incorporées dans une juridiction de droit civil cherchent à être cotées dans des pays de droit commun, et tout particulièrement aux États-Unis.

Cette hypothèse est testée par Reese et Weisbach (2002) qui comparent les stratégies respectives de multicotation en Europe et aux États-Unis des entreprises soumises aux règles du droit commun et celles soumises aux règles du droit civil. En effet, si la thèse de La Porta et al. est confirmée, on devrait s’attendre à ce que les entreprises relevant du droit civil gagneraient à augmenter leurs capitaux sur le marché américain en se soumettant ainsi aux règles de ce pays. Les auteurs trouvent que les entreprises établies dans des pays offrant une

protection inadéquate aux actionnaires minoritaires sont plus incitées à inscrire leurs titres à l’étranger que celles provenant des pays offrant une meilleure protection. En d’autres termes, la multicotation est plus courante chez les entreprises appartenant aux pays de droit civil français que celles des pays de droit commun. Leurs résultats révèlent aussi que les entreprises des pays de droit civil français s’inscrivent d’une manière disproportionnée dans des bourses organisées en particulier à la bourse de New York (NYSE). Par opposition à l’inscription en hors cote et par le biais des placements privés, la cotation en bourse organisée soumet les entreprises à des obligations comptables et à des engagements fermes dont le but est de mieux protéger les droits des actionnaires minoritaires.

Ces auteurs trouvent que parmi les 491 entreprises multicotées étudiées, provenant des pays de droit civil français, 46,4 % d’entre elles choisissent de s’inscrire dans une bourse organisée, alors que pour les 1 180 entreprises cotées aux États-Unis, originaires des pays de droit commun, 38,9 % seulement choisissent de s’inscrire dans des bourses organisées. Par ailleurs, les entreprises des pays de droit civil allemand et scandinave ne semblent pas suivre une stratégie déterminée de multicotation comme est le cas des entreprises appartenant aux pays de droit civil français ou de droit commun. En se référant aux arguments avancés par La Porta et al., ces pays ont un niveau de cotation à l’étranger « intermédiaire ». Ils offrent une meilleure protection des droits des actionnaires minoritaires en comparaison avec celle des pays de droit civil français. Cette protection reste toutefois insuffisante comparée à celle des pays de droit commun. Les entreprises des pays de droit civil allemand affichent le niveau de multicotation le plus faible. En revanche, celles des pays de droit civil scandinave ont le niveau le plus élevé.

En se référant à la définition du gouvernement d’entreprise donnée par Shleifer et Vishny (1997)51, Aggarwal et al. (2009) comparent la qualité du gouvernement d’entreprise

d’un échantillon comportant 2 235 entreprises non-américaines de 44 pays et 5 296 entreprises américaines. Ils montrent que 92 % des entreprises non-américaines

présentent un modèle de gouvernement d’entreprise moins efficace en termes de contrôle des dirigeants que celui des entreprises américaines. Seules les entreprises canadiennes et britanniques présentent un système de gouvernement d’entreprise comparable à celui des

51 La définition du gouvernement d’entreprise avancée par Shleifer et Vishny (1997) est : « le corporate governance est l’étude des moyens par lesquels les pourvoyeurs des moyens financiers de l’entreprise se garantissent de l’obtention d’un rendement de leurs investissements ».

entreprises américaines. Les caractéristiques des pays jouent alors un rôle très important pour expliquer ce résultat. Au Canada et au Royaume-Uni, les actionnaires de contrôle ne peuvent s’approprier que d’un montant relativement faible de bénéfices privés du contrôle.

En support à l’hypothèse de « crédibilité par association », Vaaler et Scharge (2009) découvrent, lors de l’examen d’un échantillon composé de plus que 700 entreprises provenant de 23 pays émergents durant la période 1996-2006, que l’effet de la multicotation est faible parmi les entreprises localisées dans des pays de droit commun offrant une bonne protection légale des minoritaires. Ces auteurs constatent aussi que le niveau de multicotation est élevé parmi les entreprises localisées dans des pays de droit civil offrant une protection inadéquate des minoritaires.

Une étude menée par Doidge et al. (2005), portant sur un échantillon composé de 154 entreprises multicotées et de 4 118 non multicotées pendant la période allant de l’année 1995 à l’année 2001, montre que la cotation aux États-Unis restreint l’extraction des bénéfices privés du contrôle. Par conséquent, lorsque les bénéfices privés sont élevés, les actionnaires de contrôle ne sont pas assez motivés à inscrire leurs titres dans des bourses américaines à cause des normes plus strictes de surveillance, des exigences plus élevées de transparence et des obligations en matière de divulgation des informations. C’est la raison pour laquelle les entreprises établies dans des pays caractérisés par des structures institutionnelles peu efficaces évitent d’inscrire leurs titres aux États-Unis malgré les avantages liés à la multicotation (Doidge et al., 2007).

Sur la base de l’hypothèse de « crédibilité par association », qui prône que les entreprises multicotées vont profiter d’un cadre juridico-financier plus contraignant pour améliorer leur système de gouvernance, nous émettons les deux hypothèses suivantes :

H2 : Les entreprises provenant des pays de droit civil français sont les plus incitées à choisir la cotation directe ou par le biais des certificats d’actions étrangères niveau 2 ou niveau 3 en tant que mode d’entrée dans une bourse américaine.

H3 : Un système juridique efficient incite les entreprises à choisir la cotation directe ou par le biais des certificats d’actions étrangères niveau 2 ou niveau 3 en tant que mode d’entrée dans une bourse américaine.

Contrairement à l’hypothèse de « crédibilité par association », l’étude récente réalisée par Abdallah et Goergen (2008), sur un échantillon composé de 175 entreprises multicotées dans 19 bourses différentes durant la période 1999-2000, révèle que les entreprises des pays offrant une protection peu efficace aux minoritaires ne sont pas motivées à être cotées dans des pays de droit commun.