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Contrairement à la thèse de neutralité du dividende avancée par Modigliani et Miller (1961), la théorie d’agence considère la politique de dividende comme un mécanisme de gestion efficace des conflits d’intérêts entre dirigeants et actionnaires externes52. Easterbrook (1984) attribue au dividende un rôle disciplinaire implicite des dirigeants opportunistes qui doit être d’autant plus élevé que les coûts d’agence sont importants. Le paiement d’un dividende élevé, en réduisant l’autofinancement, oblige les dirigeants à recourir au financement externe pour parvenir aux besoins d’investissement de l’entreprise, les

52 Au cours de la vie sociale, les actionnaires minoritaires perçoivent des dividendes. Ces dividendes représentent « une rémunération qui est inférieure au taux de rentabilité d’équilibre du marché (compte tenu du risque) » (Charreaux et Desbrières, 1998). Les dividendes représentent le droit auquel les dirigeants renoncent afin de recevoir du financement (La Porta et al., 1997, 1998). L’absence des mécanismes de gouvernement efficaces peut conduire à l’expropriation des cash-flows par les actionnaires de contrôle au détriment des actionnaires minoritaires. Les dividendes constituent l’un des mécanismes permettant de ne pas investir les cash-flows dans des projets non rentables (Easterbrook, 1984 ; Jensen, 1986 ; La Porta et al., 1999 ; Liu, 2002).

soumettant ainsi au contrôle du marché financier. Sous l’hypothèse du « Free Cash Flow » avancée par Jensen (1986), la distribution de dividendes élevés permet de réduire les coûts d’agence des fonds en excès à la disposition des dirigeants évitant ainsi d’être employés de manière inefficiente sous forme d’investissements non rentables.

En d’autres termes, les modèles d’agence des dividendes expliquent le rôle important des dividendes dans la réduction des coûts des cash-flows (Faccio et al., 2002). Ces modèles stipulent que le versement des dividendes par les entreprises permet de contourner les problèmes d’agence par la réduction des opportunités des dirigeants d’investir les cash-flows dans des projets non rentables (Jensen, 1986). En outre, le versement des dividendes expose les entreprises à un examen supplémentaire du marché de capitaux par l’amélioration de la confiance des investisseurs sur le marché étranger dans le but de consolider leurs opportunités de croissance (Easterbrook, 1984). Les actionnaires externes peuvent donc avoir une préférence plutôt pour une politique de dividende généreuse que pour la rétention des bénéfices par les actionnaires de contrôle. Cette préférence peut varier selon le degré de protection juridique offert aux investisseurs face au risque de leur spoliation.

La Porta et al. (1999) abordent le sujet de la politique de dividende et les problèmes d’agence dans 33 pays du monde ayant des régimes de protection des investisseurs différents.

Les auteurs mettent en évidence deux modèles d’agence du dividende. Selon le premier modèle, « the outcome model of dividends », le dividende est le résultat de la pression efficace exercée par les actionnaires minoritaires pour forcer les actionnaires de contrôle à distribuer les liquidités. Ainsi, une bonne protection juridique des actionnaires minoritaires doit être poursuivie par un dividende élevé. Le deuxième modèle, « the substitute model of dividends », stipule que les actionnaires de contrôle choisissent de payer des dividendes afin d’établir la réputation d’un traitement équitable des actionnaires minoritaires. Selon ce modèle, une bonne protection juridique des actionnaires minoritaires réduit le besoin d’établissement d’une réputation et elle doit être associée à un faible versement de dividendes.

Les résultats trouvés sur un échantillon de 4 000 entreprises appartenant à 33 pays concluent en faveurs du premier modèle. Les auteurs supposent que les entreprises domiciliées dans les pays de droit commun où les investisseurs sont bien protégés établissent des ratios de dividende plus élevés que ceux des entreprises des pays de droit civil dans lesquels la protection juridique des investisseurs est inefficace. En outre, dans les pays de droit commun les entreprises à fortes opportunités de croissance affichent un ratio de dividende plus faible

que celui des entreprises à faibles opportunités de croissance. Ces résultats sont conformes aux prédictions de la théorie de l’agence selon lesquelles les investisseurs dans les pays à bonne protection juridique utilisent leur pouvoir légal pour extraire les dividendes de l’entreprise en particulier lorsque les opportunités de réinvestissement sont limitées.

Théoriquement, la cotation aux États-Unis, améliore le degré de protection des actionnaires minoritaires. Les deux modèles de distribution de dividendes (« outcome model » et « substitute model ») et particulièrement les résultats de Liu (2002) stipulent que les paiements des dividendes sont fonction des changements du degré de protection des droits des actionnaires minoritaires. L’amélioration de la protection des actionnaires minoritaires doit modifier le rôle joué par la politique de distribution de dividendes dans la réduction des coûts associés au problème de free cash-flows. D’après ces deux modèles, l’amélioration du degré de protection des actionnaires minoritaires permet :

- Soit de contraindre les entreprises à verser plus de dividendes ;

- Soit que les actionnaires vont accepter moins de dividendes puisque la cotation aux États-Unis impose des exigences qui limitent la capacité des actionnaires de contrôle d’extraire les bénéfices privés du contrôle et à exproprier les actionnaires minoritaires. Ainsi, la multicotation et la politique de dividende peuvent agir comme des substituts afin de contrôler les coûts d’agence des cash-flows.

Dans son étude de la politique de distribution de dividendes des entreprises multicotées, Liu (2002) a isolé l’impact de la cotation par ADRs à travers le régime légal. Il constate que les paiements de dividendes sont significativement élevés dans les pays qui offrent une meilleure protection aux investisseurs. Ce résultat est en cohérence avec « the outcome model of dividends ». L’auteur remarque que les entreprises qui versent moins de dividendes sont plus performantes, de plus grande taille et possèdent des opportunités de croissance plus importantes. Cette idée supporte les résultats trouvés par Pagano et al. (2002), Claessens et al. (2003) et Durand et Tarca (2005). Liu (2002) conclut aussi que dans les marchés émergents, caractérisés par des paiements de dividendes faibles, les améliorations du gouvernement d’entreprise limitent le rôle joué par la politique de distribution de dividendes dans la réduction des coûts d’agence liés au problème de free cash-flows.

Sur la base d’un échantillon comportant 3 418 entreprises établies dans 39 pays dont 496 entreprises multicotées et 2 922 entreprises non multicotées durant la période de l’année 1980 à l’année 2002, O’Connor (2004) met en évidence l’impact de la multicotation sur le paiement des dividendes par les entreprises. Il examine le changement de la politique de versement des dividendes poursuivit par les entreprises suite à la multicotation. Un versement de dividendes limité ne prouve rien si les entreprises versaient de faibles dividendes avant la multicotation. Pour cela, O’Connor estime séparément le paiement des dividendes avant et après la multicotation pour toutes les entreprises de son échantillon53. Il constate que les entreprises qui inscrivent leurs titres dans les bourses américaines (par le biais des ADRs niveau 2 et niveau 3) versent significativement moins de dividendes après la multicotation. En cohérence avec l’hypothèse de « crédibilité par association », ce résultat permet à O’Connor de conclure que les entreprises substituent leur gouvernement d’entreprise domestique par un meilleur régime de gouvernement offrant une bonne protection aux actionnaires minoritaires.

L’auteur montre que l’amélioration de la qualité du gouvernement d’entreprise suite à la multicotation limite le rôle joué par les dividendes dans la réduction des coûts d’agence.