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La totalité pratique (alinéa 2)

1. « unbedingte Totalität »

C’est dans ce second alinéa que va être introduite la dialectique de la raison dans son usage pratique. Cette introduction va être très rapide – voire relativement expéditive - ,

261 Le terme est pris ici en son sens non-technique. Au sens technique, l’idéal du souverain Bien désigne dans

C1 Dieu lui-même, en tant qu’être chez qui la perfection morale coïncide exactement avec la béatitude suprême.

262 Le parallèle est suggéré dans C2, V, 120 : « L’intérêt de l’usage spéculatif [de la raison] consiste dans la

connaissance de l’objet jusqu’aux principes suprêmes a priori, celui de l’usage pratique consiste dans la détermination de la volonté relativement à la fin dernière et complète ».

aussi avons-nous cherché, à partir de la lecture de l’alinéa précédent, à repérer certains éléments susceptibles d’annoncer ou de préparer la venue de la seconde Dialectique, à l’aide, notamment, du concept de totalité. La Dialectique transcendantale résout la dialectique de la raison pure spéculative en faisant apparaître les présupposés illégitimes ou encore les fautes logiques enveloppés dans les raisonnements de la raison pure. Au début de la seconde Dialectique, Kant a indiqué que « l’idée-mère » à la source de toutes les illusions transcendantales n’est autre que la Vernunftidee de la totalité, dont les trois chapitres du Livre II de la Dialectique transcendantale donnent à voir autant d’applications illégitimes et abusives.

Mais une fois accomplie la critique de l’usage spéculatif de la raison, il faut souligner que l’idée rationnelle de la totalité, même si elle est dénoncée, n’est pas pour autant détruite ou définitivement abolie. La Critique de la raison pure dénonce ainsi les prétentions de la raison à vouloir connaître l’inconditionné, mais l’intérêt pour cet inconditionné subsiste, de même que l’horizon de la totalité. Il n’y a aucun renoncement à l’exigence de totalité – ou de totalisation, pour évoquer les choses de manière plus dynamique – mais cette exigence, sans être purement et simplement reconduite, va être néanmoins déplacée sur le terrain de l’usage pratique et réinterprétée en termes de destination complète (höchste Bestimmung). C’est pourquoi, nous semble-t-il, le postulat philosophique fondamental qui va permettre de comprendre que la raison dans son usage pratique admette à son tour une dialectique, n’est autre, une fois encore, que le principe de l’unité de la raison que nous évoquions au commencement de cette première partie. La raison, en tant que raison, est toujours mue par un principe actif de totalisation. Or, la totalité est également toujours une source de conflits – jusqu’à présent, ces conflits ne concernaient la raison dans son usage spéculatif ; mais s’il n’y a qu’une seule et même raison, on est fondé à estimer que la raison dans son usage pratique n’échappera pas à la règle.

Après avoir indiqué de façon générale que la « dialectique naturelle » (natürliche

Dialektik) de la raison dans son usage spéculatif peut se résoudre (auflösen) grâce à la

critique de cette faculté, le texte se poursuit ainsi : « Mais la raison dans son usage pratique n’est pas mieux pourvue. Elle cherche, en tant que raison pratique pure, pour le pratique conditionné (qui repose sur des inclinations et sur le besoin naturel) également l’inconditionné, et cela, non pas, certes, en tant que fondement de détermination

(Bestimmungsgrund) de la volonté, mais, alors même que celui-ci a été donné (dans la loi morale), la totalité inconditionnée de l’objet (Gegenstand) de la raison pratique pure, sous le nom de souverain Bien »263.

2. « als reine praktische Vernunft » (nous soulignons)

Il est établi que l’Idée de totalité concerne également l’usage pratique de la raison et que cette Idée va donner naissance à une dialectique de cet usage. Mais la question peut se poser de savoir pourquoi nous devons passer d’une forme de l’inconditionné (le

Bestimmungsgrund de la loi) à une autre (la unbedingte Totalität), pourquoi nous devons

passer de la loi morale au souverain Bien et nous représenter ainsi cet objet dont Kant nous dit dès maintenant qu’il est à la fois total et inconditionné, et dont il nous dira peu après (en V, 114) que la promotion (Beförderung) est nécessaire a priori ? À vrai dire, nous touchons peut-être ici aux limites de ce qu’il est possible de justifier et de fonder par des principes plus élevés, parce que c’est la nature même de la raison qui est ici en jeu. Au § 9 de son

livre Kants Antinomie der praktischen Vernunft264, M. Albrecht remarque ainsi que le

concept de souverain Bien en tant que totalité inconditionnée n’est pas introduit par Kant, comme on aurait pu peut-être s’y attendre, par une analyse du désir universel du bonheur chez l’homme, ni même par l’idée d’un progrès de la vertu qui irait à l’infini, mais bien plutôt à partir d’une évocation de la structure de la raison pure commune à tous ses usages. Le contenu même du concept de souverain Bien demeure encore indéterminé, et au stade où nous en sommes, nous savons simplement que le souverain Bien n’est que le nom (Name) que nous donnons à l’inconditionné pratique. Le souverain Bien n’est pas introduit par des considérations psychologiques ou anthropologiques mais bien uniquement à partir d’une réflexion sur la nature de la raison et sur ce que ne peut s’empêcher de rechercher la raison. Pourquoi la raison recherche-t-elle le souverain Bien ? Avant toute évocation du problème du bonheur, il convient pour l’instant de répondre : parce qu’elle est raison.

263 C2, V, 108 : « Aber der Vernunft in ihrem praktischen Gebrauche geht es um nichts besser. Sie sucht, als reine praktische Vernunft, zu dem Praktisch-Bedingten (was auf Neigungen und Naturbedürfnis beruht) ebenfalls das Unbedingte, und zwar nicht als Bestimmungsgrund des Willens, sondern, wenn dieser auch (im moralischen Gesetze) gegeben worden, die unbedingte Totalität des Gegenstandes der reinen praktischen Vernunft, unter dem Namen des höchsten Guts ».

Aussi, écrit M. Albrecht, à la question « Pourquoi la raison pratique aspire-t-elle à l’inconditionné », Kant répond : « parce qu’elle est raison pure », et à vrai dire, on ne peut guère aller au-delà. Une fois encore, c’est l’unité fondamentale de la raison par-delà ses différents usages qui est investie par la seconde Dialectique, et qui seule peut rendre compte de l’existence de cette dernière.

Une telle explication qui se fonde ultimement sur la nature de la raison est-elle véritablement satisfaisante ? Ne pourrait-on pas reprocher à Kant de se réfugier dans « l’asile de l’ignorance » en nous mettant purement et simplement devant le fait accompli – fût-ce un fait de la raison ? Ne sommes-nous pas ici quelque peu semblables à cet Indien métaphysicien évoqué par Locke et dont l’explication du monde ne pouvait en dernier ressort que se fonder sur un énigmatique « quelque chose » ? Mais invoquer le penchant « naturel et inévitable » de la raison à s’élever jusqu’à la totalité inconditionné ne constitue peut-être rien d’autre qu’un semblable aveu d’impuissance. Arrêtons-nous un instant sur ce sujet.

3. L’inexplicabilité de la raison et de l’intérêt pratique

Probablement en demandons-nous ici trop à la philosophie kantienne qui ne peut expliquer pourquoi notre raison est ce qu’elle est. De façon plus générale, il n’est pas possible d’expliquer pourquoi nos facultés sont ce qu’elles sont, pourquoi elles s’exercent ainsi et pas autrement. À propos de l’intuition, François-Xavier Chenet répond ainsi à l’objection selon laquelle Kant n’aurait pas fait de déduction des formes de la sensibilité : « il faut répondre qu’une telle tentative de déduction supposerait selon Kant que nous disposions d’une intuition intellectuelle et qu’il n’est donc pas loisible de lui reprocher de ne pas l’avoir fournie »265 ; et Kant lui-même prévient au § 36 des Prolégomènes : « Mais comment est possible cette propriété caractéristique de notre sensibilité elle-même, ou celle de notre entendement et de l’aperception nécessaire qui se trouve au fondement de ce dernier et de toute pensée, on ne peut pas davantage résoudre cette question et y répondre, parce qu’elles nous sont toujours nécessaires pour toute réponde et pour toute pensée des

objets »266. En ce qui concerne de telles demandes, F.-X. Chenet rappelle que « Kant invoque toujours le cercle dans lequel tomberait inéluctablement toute tentative d’explication : nous ne pouvons sortir de nos concepts et de nos intuitions, les recherches sur les conditions de possibilité de notre sensibilité et de notre entendement sont donc vaines ». On ne peut donc pas expliquer pourquoi notre pouvoir d’intuition est de nature spatio-temporel ou pourquoi notre entendement est discursif et repose sur le principe de l’aperception originaire. Il existe ainsi une certaine contingence de la nature de nos facultés, ce qui ne veut pas du tout dire que nous serions condamnés à un relativisme sceptique, mais plutôt qu’on ne saurait demander une fondation absolue de ces facultés qui elles-mêmes ne sont pas absolues267.

De façon analogue ne saurions-nous chercher à expliquer la nature de la raison afin de rendre compte de la tendance de cette dernière à rechercher l’inconditionné sous la forme de la totalité, à moins peut-être d’avoir recours à une méthode « généalogique » basée sur des arguments de type psychologique, voire psychanalytique. Ce genre de procédé « épicurien » (Épicure étant en général pour Kant le symbole du penseur matérialiste) équivaut à nier le caractère intelligible de la raison ou à prétendre que celui-ci ne serait qu’une projection fantasmagorique. Il n’est pas possible ici de répondre à ces « objections » qui ne sont d’ailleurs même pas des objections « contre Kant » mais des présupposés qui nous entraînent vers une toute autre philosophie et manière de penser. Selon Kant, si nous ne pouvons expliquer la disposition de la raison à rechercher la totalité, c’est sans doute parce que cette disposition se fonde essentiellement sur un intérêt pratique, un intérêt de la liberté qui en lui-même est inexplicable par des causes naturelles. On ne

266 Prolégomènes, IV, 318 : « Wie aber diese eigentümliche Eigenschaft unsrer Sinnlichkeit selbst, oder die unseres Verstandes und der ihm und allem Denken zum Grunde liegenden notwendigen Apperzeption, möglich sei, läßt sich nicht weiter auflösen und beantworten, weil wir ihrer zu aller Beantwortung und zu allem Denken der Gegenstände immer wieder nötig haben ». Texte cité par F.-X. Chenet, ainsi qu’un extrait de la lettre à Herz du 26 Mai 1789, où Kant déclare que la réponse à ce type de question exigerait « un autre type d’intuition que celui qui nous est propre, et un autre entendement pour pouvoir comparer le nôtre ».

Kant écrit d’autre part dans C2, V, 47 : « Mais c’est là que toute pénétration humaine atteint ses limites, dès que nous parvenons aux forces fondamentales (Grundkräften) ou aux facultés fondamentales (Grundvermögen) ; car leur possibilité ne peut être conçue d’aucune manière (kann durch nichts begriffen), mais doit tout aussi peu être inventée (erdichtet) et admise de façon arbitraire ».

267 C’est ainsi qu’à propos de la faculté d’intuition, F.-X. Chenet montre au Chapitre II de son ouvrage (et de façon convaincante nous semble-t-il) que l’Esthétique transcendantale ne propose pas une théorie de la sensibilité en général, mais de la sensibilité humaine. Il ne suffit donc pas de distinguer entre intuitus derivatus à l’intuitus originarius, mais il faut en plus distinguer une forme particulière de l’intuitus derivatus, qui est l’intuitus derivatus humain.

saurait sans contradiction vouloir expliquer la nature intelligible de la raison au moyen d’un type d’explication approprié aux phénomènes de la nature sensible. Ce mélange des ordres est dénoncé dans la troisième section de la Fondation où Kant affirme l’impossibilité d’une démonstration (c’est-à-dire d’une explication par des causes) de la liberté (et donc, corrélativement, d’une démonstration qu’il n’y a pas de liberté) : « Mais là où s’arrête la détermination d’après les lois naturelles, s’arrête aussi toute explication (Erklärung), et nous ne pouvons rien faire d’autre que nous défendre, c’est-à-dire repousser les objections de ceux qui prétendent avoir une vue plus profonde dans l’essence des choses et qui pour cela déclarent hardiment que la liberté est impossible »268.

Toutefois, Kant lui-même ne répète-t-il pas inlassablement que la dialectique de la raison est naturelle269 et que la disposition de la raison à la métaphysique est aussi naturelle ainsi que l’indique l’expression de metaphysica naturalis ? On ne doit pas ici se laisser arrêter par une trop grande littéralité. La nature de la raison n’est pas à interpréter d’un point de vue « naturaliste », c’est-à-dire psychologique. La nature de la raison ne désigne rien d’autre que son essence, sa « nature propre » (en un sens spinoziste) et le terme « nature », bien loin d’appeler une quelconque explication, souligne au contraire le caractère précisément inexplicable et indépassable du conatus métaphysique de la raison.

D’autre part, l’intérêt de la raison pour l’inconditionné et à la totalité, étant de nature profondément pratique, témoigne de l’intérêt de l’homme pour les choses morales. Or, que l’homme soit réellement intéressé par la moralité, c’est ce qui est tout aussi inexplicable : « L’impossibilité subjective d’expliquer la liberté de la volonté est la même que l’impossibilité de rendre accessible et concevable que l’homme puisse prendre un intérêt aux lois morales ; et pourtant il y prend réellement intérêt (…) »270 ; et dans la Religion : « le pouvoir qu’a la raison de régner en maître au moyen de la simple Idée d’une loi, sur tous les mobiles qui s’opposent à elles, est absolument inexplicable »271. La liberté de la

268 Fondation, IV, 459 : « Wo aber Bestimmung nach Naturgesetzen aufhört, hört auch alle Erklärung auf, und es bleibt nichts übrig als Verteidigung, d. i. Abtreibung der Einwürfe derer, die tiefer in das Wesen der Dinge geschaut zu haben vorgehen und darum die Freiheit dreist für unmöglich erklären ».

269 L’insistance de Kant sur le caractère « naturel » de la démarche de la raison (où le le terme revient deux fois) est ainsi manifeste dans la première phrase du second alinéa de la seconde Dialectique.

270 Fondation, IV, 459 : « Die subjektive Unmöglichkeit, die Freiheit des Willens zu erklären, ist mit dier Unmöglichkeit, ein Interesse ausfindig und begreiflich zu machen, welches der Mensch an moralischen Gesetzen nehmen könne, einerlei ; und gleichwohl nimmt er wirklich daran ein Interesse (…) ».

271 Religion, VI, 72 : « Nun ist aber das Vermögen der Vernunft, durch die bloße Idee eines Gesetzes über alle entgegenstrebenden Triebfedern Meister zu werden, schelchterdings unerklärlich ».

volonté et l’intérêt que l’homme éprouve pour la moralité – et l’on pourrait ajouter : l’intérêt que prend l’homme pour l’inconditionné – sont également inexplicables car ils participent tous deux de cette « nature intelligible » et de cette spontanéité absolue de la raison que nous pouvons sans doute comprendre et dont nous devons défendre la possibilité, mais que nous ne pouvons pas expliquer272.

Nous pouvons donc sans doute décrire le procédé de la raison, analyser ses raisonnements, nous pouvons même justifier l’élan vers l’inconditionné à partir de considérations épistémologiques (par la nécessité de posséder un premier principe inconditionné pour expliquer le conditionné), mais d’où vient cet élan lui-même, d’où vient que l’homme ne peut se contenter de la connaissance finie de la nature et renoncer à la métaphysique ? C’est ce qui est à proprement parler sans causes : on pourra alors répliquer que l’homme ne peut renoncer à la métaphysique parce qu’il est un être moral, et que c’est l’idée de la destination morale de l’homme qui donne à la raison son sens. Assurément nous

comprenons mieux par-là ce qu’est la raison, mais nous ne l’expliquons toujours pas. Bien

plus, l’idée de la destination morale de la raison, au lieu d’expliquer quoi que ce soit, semble au contraire renforcer ce caractère « inexplicable », insondable, de la raison, puisque le caractère suprasensible de la raison est encore davantage confirmé. Tout se passe

272 Cf. D. Henrich (dans son article Die Deduktion des Sittengesetzes) explique ainsi la solidarité entre les deux formes de l’inexplicabilité : sans l’intérêt, la liberté serait irréelle, et d’un autre côté, la réalité de la liberté est nécessairement l’origine de cet intérêt. En écrivant la Fondation, estime D. Henrich, Kant a depuis longtemps renoncé à chercher à expliquer théoriquement la connexion réciproque entre la raison et la sensibilité de la conscience morale. D’autre part, ajoute D. Henrich, l’inexplicabilité de la liberté vient de ce que dans la troisième section de la Fondation, Kant cherche à établir la réalité de la liberté en montrant l’origine de cette dernière dans la capacité qu’a l’homme de se concevoir comme membre d’un monde intelligible : la liberté trouve ainsi une justification (et ainsi fait l’objet d’une « forme faible » de déduction, estime D. Henrich), mais comme cette justification repose sur le caractère intelligible de la liberté, elle entraîne immédiatement une limitation de la connaissance pratique (i. e. « l’inexplicabilité » de la liberté).

L’inexplicabilité de la liberté est une conviction solide de Kant, ainsi que l’attestent de nombreuses réflexions de la période dite pré-critique (cf. Materialen zu Kants Kritik der praktischen Vernunft, p. 36-44). La liberté est qualifiée de « notwendige praktische Vorraussetzzung » (Ref. 4436, vers 1770) ou de « notwendige praktische hypothesis » (Ref. 4724, vers 1773), mais nous ne pouvons ni la prouver a posteriori par expérience, ni même connaître sa possibilité a priori (ce qui signifie alors, au sens leibnizien : connaître par la cause et au moyen de la raison seule, cf. Ref. 4338, vers 1770). La liberté est « eine erste tempore » (Ref. 4338), un principium (Ref. 5619, vers 1778), une spontanéité absolue, un pouvoir absolu de commencer. Cette inexplicabilité de la liberté s’inscrit dans la dualité de sensibilité et de la raison, et nous voyons déjà se dessiner le thème du « parallélisme » entre nature sensible et nature intelligible : « Sinnlichkeit und Vernunft bestimmen einander nicht, sondern jedes wirkt nach seinen Gesetzen ; aber sie dirigieren einander (Harmonie) » (Ref. 5619). L’inexplicabilité de la liberté est enfin le motif de l’incompréhensibilité du « mal radical » dans la Religion : nous pouvons nous assurer de l’origine rationnelle du mal (ce n’est pas un simple penchant naturel, mais un acte de la liberté), même si nous ne parvenons pas à expliquer le mal qui demeure « insondable » : « il n’existe pas pour nous de raison compréhensible pour savoir d’où le mal moral aurait pu tout d’abord nous venir » (Rel, VI, 43).

finalement comme si la raison, comme raison pratique pure, poursuivant son propre mouvement autotélique de développement, portait en elle-même sa propre fin et justification. Au § 84 de la Critique de la faculté de juger, Kant écrit : « Mais à propos de l’homme (ainsi que de tout être raisonnable dans le monde), en tant qu’être moral, on ne peut pas à nouveau demander pourquoi (quem in finem) il existe. Son existence a en elle- même la fin la plus haute (höchsten Zweck), à laquelle, autant qu’il le peut, il peut soumettre la nature, et contre laquelle il doit encore moins aller en se considérant comme

étant soumis à l’influence de la nature »273. En tant que l’homme est susceptible de se

prendre lui-même pour fin et de faire de lui-même un « but final » (Endzweck) en se soumettant à la loi morale, on ne peut demander « pourquoi » (wozu) il existe. Ce n’est pas tant parce que l’homme est l’homme qu’il reçoit ce privilège274, mais parce qu’il est le seul être de toute la nature à avoir une raison. On ne peut demander pourquoi l’homme existe parce qu’on ne peut pas demander pourquoi la raison existe. La raison n’a d’autre cause ni d’autre fin qu’elle-même et nous en revenons à cette image du cercle achevé subsistant par lui-même, dont l’expression rationnelle n’est sans doute rien d’autre que le principe de l’autonomie.

4. Une objection

En résumé, d’où vient la dialectique de la raison pratique pure ? Elle vient de ce que