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Les deux formes de l’inconditionné

Dans la Critique de la raison pratique, la question de l’inconditionné se pose à deux niveaux. Dans l’Analytique de la raison pratique pure tout d’abord, l’inconditionné (Unbedingte) se rapporte à la loi fondamentale de la raison pratique pure. L’inconditionné désigne alors le fait que la loi morale et les lois pratiques particulières dérivant de la loi morale fondamentale (Grundgesetz) commandent l’action de façon absolue, indépendamment de toute condition sensible et de toute matière, donc a priori. « La règle pratique est donc inconditionnée (unbedingt), partant, elle est représentée a priori comme une proposition pratique catégorique par laquelle la volonté est simplement et immédiatement (par la règle pratique elle-même, qui donc ici est une loi), objectivement

déterminée »238. Une telle règle pratique, qu’il conviendrait donc en l’occurrence de

nommer une loi (Kant distingue en effet entre la loi et la simple règle pratique dont la

238 C2, V, 31 : « Die praktische Regel ist also unbedingt, mithin als kategorisch praktischer Satz a priori vorgestellt, wodurch der Wille schlechterdings und unmittelbar (durch die praktische Regel selbst, die also hier Gesetz ist), objektiv bestimmt wird ».

valeur est moindre239) dans la mesure où elle admet comme unique fondement le principe formel de l’universalisation, possède une validité inconditionnée, c’est-à-dire absolue.

Mais dans la Dialectique de la raison pratique pure surgit une autre forme de l’inconditionné. Il s’agit cette fois de « la totalité inconditionnée de l’objet de la raison pratique pure, sous le nom de souverain Bien »240. L’inconditionné prend donc cette fois la figure de la totalité en se rapportant non plus à un fondement mais à un « objet » (Gegenstand). Par conséquent, l’inconditionné dans le domaine pratique revêt deux aspects : celui de l’absolu dans l’Analytique (la loi morale) et de la totalité (le souverain Bien) dans la Dialectique. Dans la Critique de la raison pure, non seulement le concept de l’inconditionné n’apparaît qu’avec la Dialectique transcendantale où est élucidée la maxime de l’usage pur de la raison selon laquelle si le conditionné est donné, alors est donné en même temps l’inconditionné ; mais en outre, on ne saurait vraiment distinguer entre l’absolu et la totalité puisque la totalité n’est au fond qu’un nom plus précis pour désigner l’absolu, terme dont Kant semble d’ailleurs se méfier quelque peu. Le désir d’absolu qui anime la raison n’est en effet rien d’autre que le désir de s’élever jusqu’à « la totalité absolue dans la synthèse des conditions » et de ne s’arrêter qu’à « ce qui est inconditionné absolument »241.

Dans son article Kant in Synopsis, Y. Yovel estimait ainsi que la Critique de la raison

pratique disjoignait des éléments confondus dans la Critique de la raison pure : « dans la

sphère de la connaissance, l’absolu et le total étaient identifiés ; tous deux étaient associés dans un sujet singulier, comme dans l’idée de Dieu ou du cosmos. En effet, le concept de totalité servait alors d’interprétation logique pour le concept d’absolu, et traduisait le langage indistinct de la pure aspiration dans celui de structures logiques distinctes. Au contraire, dans la sphère de la praxis, une dualité apparaît : l’absolu trouve son expression dans la doctrine de l’impératif catégorique (l’absolu existe ainsi déjà au niveau de l’acte individuel) ; tandis que l’élément de la totalité ne devient fonctionnel que dans la théorie du

239 cf. Fondation, Préface, IV, 389 : « toute autre prescription qui se fonde sur des principes de la simple expérience, fût-elle à certains égards une prescription universelle, du moment que pour la moindre part…elle s’appuie sur des raisons empiriques, si elle peut être appelée une règle pratique, ne peut jamais être dite une loi morale ».

240 C2, V, 108 : « die unbedingte Totalität des Gegenstandes der reinen praktischen Vernunft, unter dem Namen des höchstens Guts ».

241 Cf. C1, A 326/B 382 : « le concept transcendantal de la raison porte toujours uniquement sur la totalité absolue dans la synthèse des conditions et ne s’arrête jamais qu’à ce qui est inconditionné absolument, c’est- à-dire sous tous les rapports ».

souverain Bien »242. Avant d’aller plus loin, il convient de préciser que la distinction n’est

pas entre la « totalité » et « l’inconditionné » mais bien entre deux formes de

l’inconditionné (le souverain Bien est en effet une « unbedingte Totalität »). Le chapitre suivant s’efforce de ressaisir le surgissement de cette seconde forme d’inconditionné (l’horizon de la totalité) dans la Critique de la raison pratique.

Ch. VI : deuxième partie de l’architectonique pratique : la fonction régulatrice du souverain Bien (étude du début de la seconde Dialectique)

L’horizon de la totalité survient donc avec la seconde Dialectique. L’étude des deux premiers paragraphes de la seconde Dialectique doit permettre d’élucider cet enchaînement décisif et de montrer comment la question de la totalité est à son tour assumée par la philosophie pratique. À partir d’une lecture suivie de ces deux premiers paragraphes, ce chapitre tente de montrer comment le concept de souverain Bien, dès sa première apparition dans la seconde Dialectique, est tout entier structuré et investi par l’idée de totalité. Or, comme cette idée n’est jamais qu’une Vernunftidee, il en résulte que le souverain Bien ne peut recevoir qu’un statut régulateur au sein de l’architectonique pratique, ce qui implique que nous ne pouvons pas considérer que le souverain Bien est susceptible de fournir un « contenu » à une volonté moralement déterminée.

Ce chapitre a notamment pour fonction de mettre au jour la « Forderung » par laquelle la raison pratique pure, en commandant l’aspiration au souverain Bien, effectue le passage de l’Analytique vers la Dialectique.

A. « la raison pure a toujours sa dialectique »

1. incipit

La façon dont Kant justifie le passage de l’Analytique de la Critique de la raison

pratique vers la Dialectique semble tenir dans la seule première phrase : « la raison pure a

toujours sa dialectique, qu’on la considère dans son usage spéculatif ou dans son usage

pratique »243. Cette déclaration qui a également la valeur d’une justification pourrait

paraître un peu sommaire : Kant ne se contente-t-il pas d’affirmer qu’ « il y a » une dialectique de la raison pratique pure ? Mais qu’est-ce qui justifie cet « il y a » ? La

243 C2, V, 107 : « Die reine Vernunft hat jederzeit ihre Dialektik, mag man sie in ihrem spekulativen oder in ihrem praktischen Gebrauche betrachten ».

dialectique se présente ici en quelque sorte comme étant un « fait de la raison », ce qui signifie que la raison en vertu de sa propre nature ne peut manquer de tomber dans la dialectique. La dialectique « naturelle et inévitable » désigne un stade nécessaire dans le développement de la raison. On pourrait dire que le moment dialectique est inscrit de manière quasi-génétique dans sa nature. La dialectique est l’horizon nécessaire du devenir de la raison, son horizon, une étape inévitable dans son évolution et dans son auto- déploiement. Aussi ne doit-on pas trouver étonnant que la raison dans son usage pratique admette à son tour une dialectique : car la raison, en tant que raison, et quel que soit son usage, a « toujours sa dialectique ». S’il y a une raison, alors il y a une dialectique.

Mais ce genre d’argumentation n’est-il pas trop formel et général, et disons-nous ici autre chose que : « il y a en effet une dialectique de la raison pratique, et c’est comme cela » ? En invoquant le caractère « naturel et inévitable » de la dialectique en général, ne commettons-nous pas une évidente pétition de principe puisque nous en sommes réduits à déclarer qu’il y a une dialectique parce qu’il y a une dialectique ? Comme nous le verrons, il est en réalité difficile d’aller au-delà de cet argument kantien qui présuppose que l’on sache ce qu’est la raison. Et peut-être ne pourrons-nous pas aller au-delà (car le tenter serait dépourvu de sens) d’une certaine « facticité » de la raison : il y a une dialectique parce qu’il

y a une raison244.

244 Sans doute ne doit-on pas sous-estimer la force de cet « il y a ». On peut juger que l’expression est triviale, mais son sens, assurément, ne l’est pas : car le il y a de la raison nous renvoie au « fait de la raison », qui signifie non seulement que la raison possède une puissance normative et législatrice, mais aussi que cette puissance existe, qu’elle a de l’influence sur nous et qu’elle possède une consistance et une valeur réelles. La réalité concrète de cette teneur législatrice de la raison était déjà soulignée au sujet de son usage théorique dans la Critique de la raison pure, où Kant estimait que la méthode de dérivation psychologique de nos connaissances, utilisée par Locke et Hume, « ne peut être conciliée avec la réalité (Wirklichkeit) des connaissances scientifiques a priori que nous avons, à savoir la mathématique pure et la science générale de la nature, et est ainsi réfutée par le fait (Faktum) » (C1, B 128). Le Fait de la raison est le fait de l’ancrage de la normativité, scientifique aussi bien que morale, dans la rationalité. Ce « fait » signifie donc deux choses : 1) toute loi est d’essence rationnelle et 2) il y a effectivement de telles lois et des connaissances a priori. On pourrait trouver assez périlleux de risquer toute une philosophie en la suspendant à un « fait », mais la Préface de la Critique de la raison pratique se veut rassurante : il serait assurément désastreux, reconnaît Kant, qu’on puisse montrer qu’il n’y a ni ne peut y avoir de connaissance a priori. « Mais il n’y a ici aucun danger. Ce serait exactement comme si quelqu’un voulait prouver par la raison qu’il n’y a pas de raison ». (Kant dénonce ainsi ce qu’on appellera plus tard une contradiction « performative ». Notons que cet argument kantien sera abondamment repris par K-O Apel : le philosophe qui refuse la raison ne peut pas philosopher « sérieusement »). Il y a donc une raison, dont la réalité s’atteste de manière positive aussi bien à travers l’existence concrète et vérifiée de sciences qu’à travers la conscience qu’a tout homme de la valeur d’obligation absolue de la loi morale.

Avec le mot « toujours » (jederzeit), Kant indique la caractéristique fondamentale et structurelle de la raison « en tant que raison », qui ne dépend donc pas de tel ou tel de ses usages. La seconde Dialectique s’ouvre ainsi sur une évocation très synthétique du procédé dialectique « en général », antérieurement à toute distinction d’usage, avant d’enchaîner par un rappel de la Dialectique transcendantale qui débouchera sur une comparaison entre les

deux premières Critiques245. Finalement, la raison dans son usage pratique ne sera pas

mieux pourvue que dans son usage théorique (pour la raison pratique « geht es um nichts

besser »). Ce genre de comparaison entre les deux usages de la raison a été fait par Kant à

plusieurs reprises dans la Critique de la raison pratique : dès l’Introduction (V, 15-16) puis à deux reprises dans l’Analytique (en V, 43 et surtout dans la kritische Beleuchtung en V, 89-91). Mais c’est en réalité toute l’Analytique qui est structurellement traversée par le parallèle avec la Critique de la raison pure, Kant s’efforçant à chaque fois de montrer que la Critique de la raison pratique procède au rebours de la Critique de la raison pure246. Aussi assistons-nous à une « inversion des valeurs » systématique, qui vient de ce que dans la seconde Critique la faculté examinée n’est pas l’entendement mais la volonté, et que le problème à résoudre n’est plus celui ce la connaissance mais de l’action. L’ordre du Sein et l’ordre du Sollen possèdent des fondements symétriquement inverses, l’inversion fondamentale qui commande toutes les autres étant que les principes de la connaissance n’ont de sens et de signification que rapportés à des intuitions sensibles tandis que le

245 M. Albrecht (Kants Antinomie der praktischen Vernunft, p. 41-42) souligne le fait que la seconde

Dialectique s’ouvre sur une description de la « raison pure », avant même (« mag man ») toute différenciation entre son usage spéculatif et pratique. Ceci montre que l’antinomie de la raison pratique n’est pas un phénomène dérivé par rapport à l’antinomie de la raison spéculative, mais se trouve en quelque sorte à égalité, en tant que nous avons affaire ici à deux usages de la raison pure.

246 Cette inversion est ainsi manifeste dès les premières lignes de la Préface, où Kant justifie le titre de l’œuvre : à la différence de ce qui a lieu dans la première Critique, c’est la raison pratique (i. e. empirique) qui a besoin d’être critiquée, et non pas la raison pratique pure. Le parallélisme critique entre les deux usages de la raison est aussi évoqué en V, 20, 30, 45-47, 65, 68). Cf. D. Henrich, dans son article « Die Deduktion des Sittengesetzes… », qui souligne le sens entièrement négatif du mot critique employé dans le titre Critique de la raison pratique, alors que dans la « critique de la raison pure pratique » annoncée dans la Fondation, le mot « critique » signifiait d’abord un examen, une appréciation, sans connotation de rejet.

Une précision toutefois : ainsi que le rappelle Victor Delbos, au-delà de l’inversion manifeste des perspectives, la situation demeure fondamentalement identique dans les deux premières Critiques. À chaque fois, il s’agit de dénoncer un certain usage transcendant de la raison, qui tantôt consiste à « poursuivre hors de l’expérience la connaissance d’objets suprasensibles », tantôt « consiste à user de déterminations empiriques pour construire un objet dont devrait dépendre l’exercice de la volonté ». Il y a donc au fond de cette double démarche une « unité essentielle d’esprit », selon laquelle « dans les deux cas, ce qu’il s’agit de sauvegarder, c’est la faculté législative de la raison, également compromise par l’ancienne métaphysique et par celui des doctrines d’hétéronomie ». (La philosophie pratique de Kant, Paris, Alcan, p. 421-422).

principe suprême de la moralité (le singulier est ici de rigueur) doit être extirpé de l’expérience et de la sensibilité. L’ordre nécessaire d’enchaînement dans la première

Critique – intuitions (espace et temps), concepts (catégories), principes (principes de

l’entendement pur) s’inverse de façon tout aussi nécessaire dans la seconde : principe (il ne peut y en avoir qu’un : la loi morale), concepts (Gut et Böse), intuition (respect).

En appliquant ce principe de l’inversion méthodique, on pourrait estimer que Kant aurait pu commencer l’Elementarlehre de la seconde Critique par la Dialectique elle-même. Ce serait là sans doute privilégier excessivement la lettre et risquer de tuer l’esprit. Toutefois, il n’aurait pas été inconcevable que la Critique de la raison pratique dont la tâche consiste à critiquer la raison pratique empiriquement conditionnée commence par exposer et dénoncer les illusions qui naissent de la concurrence exercée par les maximes de cette raison empirique afin de lui attribuer ses limites. Ainsi, la dénonciation des procédés la « dialectique naturelle » - cette expression désignant l’art sophistique d’accommoder la rigueur des prescriptions morales – aurait-elle pu par exemple constituer la première partie de la seconde Critique. Mais laissons cela. Si nous revenons à la structure réelle de l’œuvre, on remarque en réalité que la seconde Dialectique applique elle aussi le principe de l’inversion des points de vue. Dans la Critique de la raison pure en effet, la dialectique naît d’un affranchissement à l’égard des limites de l’expérience et de la sensibilité et c’est donc la sortie hors du monde sensible qui provoque la dialectique. Mais dans la Critique de la

raison pratique, la dialectique naît au contraire du retour de la raison vers la sensibilité

puisque c’est le problème de la liaison de la vertu et du bonheur qui engendre une antinomie. C’est la réintroduction de certaines conditions sensibles (le fait que l’homme aspire inévitablement au bonheur) qui provoque la seconde Dialectique247.

2. Le Grundsatz fondamental de la raison

Kant revient donc rapidement sur la provenance de tous les raisonnements dialectiques et commence par indiquer le procédé constamment suivi par la raison

pure (aussi bien spéculative que pratique) : si donc la raison a toujours sa dialectique, c’est

247 Cf. ainsi dans C1, A 318/B 375 : à l’égard de la nature, l’expérience constitue la règle et la vérité ; en matière morale en revanche, l’expérience est la « mère de l’apparence » (Mutter des Scheins).

qu’elle « exige toujours la totalité absolue des conditions pour un conditionné donné, et celle-ci ne peut être rencontrée que dans les choses en elles-mêmes »248. Cette exigence de la raison, ainsi que Kant le répète sans cesse, est « naturelle et inévitable ». Une question peut alors se poser : cette affirmation n’est-elle pas un simple dogmatisme ? Kant, en effet, ne justifie jamais véritablement cette déclaration au sujet de la « nature » de la raison249. Mais peut-être qu’aucune preuve n’est ici vraiment nécessaire parce qu’il suffit en fin de compte d’observer : le spectacle des tentatives de la métaphysique, toujours renouvelées en dépit d’un éternel échec, suffit à s’assurer que la disposition naturelle de la raison humaine à rechercher l’inconditionné est une réalité qui n’est que trop constatée.

On pourrait également évoquer un argument d’ordre « épistémologique ». Il est en

quelque sorte « logique » de vouloir parvenir jusqu’à des premiers principes

inconditionnés, ce qui veut dire qu’une raison « normalement constituée », si l’on peut parler ainsi, ne peut renoncer à un tel besoin, et c’est pourquoi la Dialectique

transcendantale aboutit à « l’idéal transcendantal » qui, en tant qu’ensemble global de

toutes les possibilités et fondement de la détermination intégrale de chaque chose, constitue le point d’achèvement le plus élevé dans ce processus d’élévation vers la totalité.

L’histoire de la philosophie de son côté nous donne un indice de cette aspiration à l’inconditionné connaturelle de la raison : le « principe anhypothétique » chez Platon, le Premier Moteur d’Aristote, Dieu créateur des vérités éternelles pour Descartes, ou encore le « principe de raison » chez Leibniz (et peut-être pourrions-nous ajouter : l’Idée spéculative chez Hegel) répondent chacun à leur manière à cette exigence de complétude sans laquelle il subsiste comme un manque ou un défaut dans la pensée. Toutes les métaphysiques traditionnelles considèrent, chacune à leur manière, que la totalité (quelle que soit la figure particulière que prend cette dernière) est le requisit principiel de tout exercice de la rationalité, la condition indispensable qui permet de fonder le raisonnement et d’achever les démonstrations. En effet, ce n’est pas seulement telle ou telle tradition que vise Kant. C’est

248 C2, V, 107 : « denn sie verlangt die absolute Totalität der Bedingungen zu einem gegebenem Bedingten, und diese kann schlechterdings nur in Dingen an sich selbst angetroffen werden ».

249 cf. l’article de J. E. Schlanger, « L’énergétique de la raison dans les préfaces de la Critique de la raison

pure », Revue de métaphysique et de morale, 1975, p. 1-11 : « qu’on accepte de lire la double préface de la Critique de la raison pure comme l’un des textes les plus fantasmatiques de toute la littérature philosophique ». L’auteur remarque que la théorie de l’impetus de la raison fait à la fois l’objet d’une « extrême surévaluation » (car c’est un argument constamment évoqué par Kant) et d’une « extrême méfiance » (car l’impetus est à la source de l’hybris métaphysique).

bien plutôt l’essence même de la métaphysique en tant que telle qui est en jeu : « Au lieu d’examiner, une à une, les démarches des philosophes, Kant prétend découvrir la structure qui les sous-tend toutes. Il reconstruit ce qu’a été, ce que peut être la métaphysique »250. L’Idée de totalité joue le rôle d’un principe « méta-métaphysique », c’est-à-dire d’un principe qui commande et structure tout questionnement métaphysique.

La philosophie kantienne en tant que philosophie critique déconstruit pour sa part le discours métaphysique et dévoile l’apparence transcendantale. Mais cette dernière, ajoute Kant aussitôt, ne saurait être pour autant supprimée car elle est inscrite dans la rationalité elle-même. Certes, le tribunal de la raison attribue à la raison des limites. Ces limites ne suppriment cependant pas la dialectique, elles la font simplement paraître comme telle. Nous pouvons nous empêcher d’être trompés par l’apparence transcendantale, certes, mais