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L’Idée pratique

La raison la plus évidente pour laquelle il n’y a pas de dialectique de la raison pratique dans la Dialectique transcendantale est peut-être la suivante : la raison se représente des Idées non seulement dans son usage théorique, mais aussi dans son usage

97 La seconde partie de la métaphysique est ainsi elle-même appelée à devenir une science, cf. C1, Introduction VI, B 22.

98 C1, 2nde Préface, B XXXI.

99 Cf. Prolégomènes, IV, 374. Il s’agit bien sûr ici de « l’ancienne métaphysique », rongée par le dogmatisme vermoulu. Même image de la tour de la métaphysique, par opposition à la « maison d’habitation » (Wohnhaus) établie dans la plaine de l’expérience, au tout début de la Théorie transcendantale de la méthode.

pratique ; mais tandis que les Idées de la raison pure (théorique) reposent sur des raisonnements dialectiques fallacieux, en revanche, les Idées de la raison dans son usage pratique ne semblent en rien illusoires. Au contraire, elles sont tout à fait utiles et bonnes.

1. Le moment dialectique

Rappelons que selon Kant, la dialectique se fonde sur la propension naturelle et inévitable de notre raison à s’élever jusqu’à l’inconditionné : « l’affaire » (Geschäft) de la raison consiste dans chacun de ses raisonnements et sur un mode « prosyllogistique » (c’est-à-dire en remontant du conditionné vers sa condition) à « s’élever, à partir de la synthèse conditionnée à laquelle l’entendement demeure toujours attaché, jusqu’à la

synthèse inconditionnée, qu’il ne peut jamais atteindre »100. La maxime générale de la

raison est que si le conditionné est donné, alors est aussi donné l’inconditionné. Toutefois, il faut préciser que l’exigence d’inconditionné qui caractérise la raison s’adresse en réalité à l’entendement et prend ce dernier pour moyen. L’activité propre à la raison consiste en effet à absolutiser les catégories et à affranchir l’entendement de toute limitation. C’est dans ce mouvement d’affranchissement des notions de l’entendement que consiste la représentation de l’Idée. L’Idée est un principe actif, transcendant, qui de façon irrésistible conduit l’entendement à faire un usage transcendantal des catégories. L’inconditionné apparaît tout d’abord comme étant une exigence. Dans une note très éclairante, A. Delamarre souligne le caractère actif et dynamique de la raison : « le rapport de la raison à ses idées n’est pas identique au rapport de l’entendement à ses notions : alors que l’entendement est pure et simple origine de la notion, la raison apparaît comme origine, non pas tant de l’idée comme concept que de la dynamique qui fait passer la notion à l’inconditionné. L’idée n’est pas une autre notion, mais la représentation qui naît de

l’application d’une exigence à la notion »101. La raison n’est pas « qu’une sorte

d’entendement d’un degré supérieur »102. Aussi la raison est-elle constamment évoquée par

100 C1, A 333/ B 390 : «…und daß in allen [Schlußarten] ihr Geschäft sei, von der bedingten Synthesis, an die der Verstand jederzeit gebunden bleibt, zur unbedingten aufzusteigen, die er niemals erreichen kann ». 101 Œuvres philosophiques (tome I), Pléiade, p. 1669.

Kant comme étant une propension, un élan, un penchant, une force – autant de termes qui viennent souligner le dynamisme propre à la raison.

Dans le domaine théorique, il s’avère qu’une telle propension de la raison n’est qu’une source funeste d’illusions et d’embarras inextricables. Comment cela ? Il faut commencer par souligner ce qui semble être un des traits constitutifs et irréductibles de l’activité de connaissance, à savoir son caractère indéfini103. Or, c’est à ce caractère relatif et indéfiniment ouvert que la raison tente d’apporter un terme, sans apercevoir le caractère illégitime et abusif d’une telle opération. On pourrait ici se souvenir des propos de Descartes dans une Lettre à Chanut : « à cause que notre connaissance semble se pouvoir accroître par degrés jusques à l’infini, et que, celle de Dieu étant infinie, elle est au but où vise la nôtre, si nous ne considérons rien davantage, nous pouvons venir à l’extravagance de souhaiter d’être dieux (…) »104.

L’opération effectuée par la raison consiste à assigner à l’entendement la « tâche » (Aufgabe : comme H. Cohen y insiste, la « tâche » est aussi un « problème » que la raison pose à l’entendement) de s’élever jusqu’à l’inconditionné. Mais une telle représentation nous fait basculer du côté de l’apparence transcendantale, aussitôt que la raison « réalise » son exigence d’inconditionné, convertissant une simple maxime logique relative à l’achèvement de la connaissance en une affirmation d’existence. Ce passage subreptice de l’usage logique de la raison vers son usage réel, par lequel elle en vient à accorder de la réalité objective à ses propres Idées, est à l’origine de l’illusion dialectique. Or, dès que l’apparence dialectique est dévoilée (mais non supprimée), on doit reconnaître qu’à l’Idée transcendantale de la raison pure théorique, il ne correspond, à proprement parler, rien. L’Idée comme concept de l’inconditionné ne peut d’aucune manière être donnée in

concreto, aussi Kant déclare-t-il dans la section Des idées transcendantale que l’on a raison

de dire à son sujet que ce n’est « qu’une idée » (nur eine Idee).

Mais c’est à ce moment que Kant propose un parallèle critique avec ce qu’il nomme « l’Idée de la raison pratique ». Kant écrit : « Au contraire, comme dans l’usage pratique de

103 Cf. Hermann Cohen, La théorie kantienne de l’expérience, Cerf, trad. Eric Dufour, p. 512 : « Les connaissances ne forment pas une série achevée, un chapitre de mainmorte ; elles ne sont qu’en produisant, tel est le caractère de tout idéal. C’est pourquoi elles ne renferment pas seulement ce qui est établi, mais aussi, en même temps, ce qui est problématique. Tel est le caractère de tous les concepts : en satisfaisant des exigences de la pensée, ils en posent de nouvelles. Il n’y a pas ici d’achèvement définitif ».

104 Lettre à Chanut (1er Février 1647), AT IV, 600-617. La phrase d’achève ainsi : « …et ainsi, par une très grande erreur, aimer seulement la divinité au lieu d’aimer Dieu ».

l’entendement il s’agit seulement d’effectuer l’opération d’après des règles, l’Idée de la raison pratique peut ainsi toujours être donnée effectivement (quoique seulement partiellement) in concreto, elle est d’ailleurs la condition indispensable de tout usage pratique de la raison »105.

On peut distinguer deux éléments dans cette dernière affirmation, et chacun d’eux donne une bonne raison de soustraire l’usage pratique de la raison à la dialectique.

2. L’Idée pratique est la condition indispensable de tout usage pratique

a. Entendement et raison pratiques

Kant considère que tout usage pratique de la raison dépend des Idées. La vérité de cette proposition est au fond de nature analytique : en effet, la raison pratique a affaire au

devoir-être, par conséquent se situe d’emblée et par définition au-delà de l’être, c’est-à-dire

au-delà de ce qui arrive dans la nature. Or, l’Idée pratique, de son côté, désigne une représentation normative qui n’est pas dérivée de l’expérience mais qui a son siège dans la raison pure elle-même, c’est-à-dire dans une spontanéité intelligible au moyen de laquelle la pensée s’affranchit de toutes les conditions et limitations empiriques. C’est pourquoi le fondement de détermination qu’admet une volonté libre ne peut être que de nature idéale et ancrée dans la représentation d’un Sollen.

L’Idée pratique signifie manifestement un inconditionné pratique, un « absolu » pratique qui ne dépend que de la capacité de la raison pure à instituer avec une entière spontanéité une législation propre. Une Idée pratique peut donc désigner un idéal moral – tel que l’idéal de la sagesse, de la vertu, ou de la perfection - qui ne serait pas tiré de l’expérience et que l’on peut donc rapporter à la causalité particulière de la raison pure. De façon analogue à l’Idée de la raison pure spéculative, l’Idée pratique se présente à son tour comme un « problème » ou comme une « tâche » pratique (selon le double sens du terme

Aufgabe) dans la mesure où elle est un idéal qui élève et guide l’action. La dimension

105 C1, A 328/B 385 : « Dagegen weil es im praktischen Gebrauch des Verstandes ganz allein um die Ausübung nach Regeln zu tun ist, so kann die Idee der praktischen Vernunft jederzeit wirklich ob zwar nur zum Teil in concreto gegeben werden, ja sie ist die unentbehrliche Bedingung jedes praktischen Gebrauchs der Vernunft ».

pratique de telles Idées a été soulignée avec force dans la section Des Idées en général : la « République proverbiale » de Platon en est en effet l’illustration. L’Idée de la plus grande coexistence harmonieuse des libertés entre elles (telle est la lecture un peu étonnante, mais qu’on pourrait dire « éclairée », que Kant fait de la République) constitue un modèle que le vulgaire peut bien juger ridicule et oiseux, mais qui, comme archétype, encourage et promeut l’action bonne.

Kant appelle ici « entendement pratique » l’aptitude à effectuer des opérations d’après des règles. Le recours à cette curieuse expression a sans doute ici pour principale fonction de créer un parallèle différencié avec ce qui se passe dans le domaine théorique. Mais de façon évidente, l’entendement s’incline ici devant la raison et ne paraît pas avoir d’autonomie en-dehors de sa subordination à l’Idée. « L’entendement pratique » n’est pas en droit d’énoncer des prétentions normatives et doit donc se contenter de prendre en charge autant qu’il le peut l’application concrète de l’Idée. Tandis que l’entendement théorique est au fondement de la légalité dans la connaissance des choses qui arrivent, l’entendement pratique est un simple exécutant, un ouvrier qui travaille selon l’Idée106. En suivant l’exemple de la République, on pourrait supposer que toutes les dispositions précises et les règlements de la vie courante énoncés par Socrate sont des explicitations concrètes et des applications particulières de l’Idée de la Cité juste : le programme d’éducation des citoyens, le régime alimentaire des gardiens ou encore la proscription des flûtes, sont autant d’aspects du conditionné-pratique placé sous la dépendance de l’inconditionné-pratique (l’idée de Justice) qui en achève l’unité.

Enfin, la fonction régulatrice de l’Idée pratique en révèle la profondeur, la justesse et la fécondité, dans la mesure où elle fait fond sur la perfectibilité humaine : telle est son insondable « vérité » pratique. En effet, estime Kant, si les Idées pratiques devaient être tirées de l’observation et de « ce qui se fait » (was getan wird), alors ce serait la liberté elle- même qui serait niée, car nous assignerions (par exemple) à notre idéal de Justice des bornes empiriques aussi arbitraires que la rivière qui borne la justice des hommes.

b. Inversion des valeurs

Par conséquent, l’Idée de la raison pratique est dans une situation au premier chef identique à celle de l’Idée transcendantale dans la mesure où toutes les Idées se situent en- dehors de toute expérience. L’Idée pratique, de même que l’Idée théorique, se présente comme étant une « tâche » (Aufgabe). Tout comme l’Idée théorique, l’Idée pratique est transcendante parce qu’elle est l’expression d’un devoir-être relevant d’un autre ordre que celui de l’être. Mais ce caractère transcendant, de façon tout à fait significative, cesse d’être une source d’illusion ou d’erreur. Dans la Dialectique transcendantale, l’illusion dialectique vient ce que la raison raisonne au moyen de principes transcendants qui sont « des principes effectifs, qui nous incitent à renverser toutes les barrières et à nous attribuer

un tout nouveau territoire qui ne reconnaît nulle part de démarcation »107. Un principe

transcendant commande activement de franchir les limites de l’expérience (par opposition au principe « immanent » qui règle l’usage empirique de l’entendement pur). À partir de là, il est aisé de concevoir comment une dialectique de l’usage théorique de la raison peut se développer parce que le franchissement des limites de l’expérience est une tentation qui n’est que trop « naturelle »108. Et si les principes transcendants exercent une influence aussi séduisante, c’est qu’ils correspondent à un intérêt puissant de la raison théorique (du moins, c’est ce qui paraît à première vue), un intérêt lié au désir d’achèvement de la connaissance et qui se manifeste par une véritable « attraction » à l’égard de l’inconditionné.

En revanche, dans le domaine pratique, on perçoit mal comment la raison pourrait contenir de tels principes qui seraient transcendants à l’égard de l’entendement pratique. On peut sans doute considérer qu’une Idée morale est transcendante dans la mesure où elle commande de ne pas s’en tenir à ce que font effectivement les hommes et nous invite à ne pas réduire ainsi la morale à une quelconque psycho-sociologie. Mais cette Idée pratique n’est pas transcendante dans la mesure où ce refus de s’en tenir à ce qui se fait est constitutif de l’usage légitime de la raison pratique. La transcendance cesse d’être transcendante (dans le sens où ce qui est transcendant détourne une faculté de son bon usage) et se charge d’une valeur positive.

C’est là un phénomène remarquable : dès que passons du problème de la

connaissance au problème de l’action, il se produit comme une « inversion des valeurs » de

107 C1, A 296/B 352 : « wirkliche Grundsätze, die uns zumuten, alle jene Grenzpfähle niederzureißen und sich einen ganz neuen Boden, der überall keine Demarkation erkennt, anzumaßen ».

sorte que le négatif se change aussitôt en positif. C’est que l’ordre de l’être et l’ordre du devoir-être possèdent des principes dont les fondements sont inversés : « car, à l’égard de la nature, c’est l’expérience qui nous donne la règle et constitue la source de la vérité ; à l’égard de la loi morale en revanche, l’expérience est (hélas !) la mère de l’apparence, et il est au plus haut point répréhensible de vouloir tirer les lois de ce que je dois faire de ce qui

se fait, ou de vouloir les limiter par ce moyen »109.

Entre l’Idée pratique et l’Idée de la raison pure spéculative, il n’y a donc pas de différence de nature : toutes les Idées sont des concepts de l’inconditionné. Mais il subsiste une irréductible différence d’usage et de valeur.

3. L’Idée pratique peut être donnée in concreto

Le deuxième élément peut paraître plus délicat : Kant estime que l’Idée pratique peut être donnée effectivement (wirklich), quoique de façon seulement partielle, in concreto. Aussi, ajoute-t-il, ne peut-on pas affirmer de la même manière à propos de l’Idée pratique qu’elle n’est « qu’une Idée » (nur eine Idee). Pourtant, une telle affirmation pose un sérieux problème : en effet, in concreto signifie « dans l’espace et le temps ». Que veut donc dire Kant ?

Vraisemblablement, il ne veut sans doute pas du tout dire ici qu’il y aurait une expérience possible de la causalité pure de la raison, autrement dit, une expérience de la liberté transcendantale. Mais la causalité originaire de la raison peut néanmoins se

manifester dans l’expérience. Kant semble ainsi vouloir dire que l’Idée pratique a de

l’influence, non seulement sur les maximes et les résolutions des hommes, mais également sur la réalité empirique et sur la façon dont les hommes vivent. Le domaine moral est en effet un domaine où « la raison humaine montre une véritable causalité et où les Idées deviennent des causes efficientes (des actions et de leurs objets) »110. L’Idée pratique se trouve donc en tant qu’Idée en rapport avec l’expérience, et c’est pour cela que l’on peut

109 C1, A 318/B 375 : « Denn in Betracht der Natur gibt uns Erfahrung die Regel an die Hand und ist der Quell der Wahrheit ; in Ansehung der sittlichen Gesetze aber ist Erfahrung (leider !) die Mutter des Scheins, und es ist höchst verwerflich, die Gesetze über das, was ich tun soll von demjenigen herzunehmen, oder dadurch einschränken zu wollen, was getan wird ».

110 C1, A 317/B 374 : « Aber nicht bloß in demjenigen, wobei die menschliche Vernunft warhafte Kausalität zeigt, und wo Ideen wirkende Ursachen (der Handlungen und ihrer Gegenstände) werden, nämlich im Sittlichen (…) ».

dire à bon droit qu’elle correspond à « quelque chose ». En effet, elle constitue un fondement d’actions possibles, tant au niveau de la résolution (maxime) qu’au niveau de l’effectuation (action), et l’on peut ainsi considérer que l’histoire ou le droit contiennent des traces111 de ce genre d’Idée : le législateur éclairé, lorsqu’il tente d’appliquer les principes d’une bonne constitution, s’efforce ainsi de mettre en œuvre la causalité de l’Idée. Aussi Kant peut-il écrire dans le Canon : « la raison pure contient donc, non pas certes dans son usage spéculatif, mais dans un certain usage pratique, à savoir l’usage moral, des principes de la possibilité de l’expérience, c’est-à-dire d’actions qui pourraient, conformément aux prescriptions morales, se rencontrer dans l’histoire des hommes. Car, comme elle ordonne que de telles actions doivent (sollen) se produire, ces actions doivent (müssen) également pouvoir se produire (…) »112.

Ce dernier passage du sollen au müssen paraît assez difficile à interpréter. Comme la raison pure dans son usage pratique exige que certaines actions « doivent » se produire (au nom d’un Sollen normatif), ces actions « doivent pouvoir » se produire. La raison pure dans son usage pratique est donc porteuse de l’exigence que ses propres commandements « doivent pouvoir » recevoir une expression, fût-elle imparfaite, dans le monde sensible. Il est moralement nécessaire que le devoir-être puisse trouver un début d’objectivation dans la nature. On pourrait estimer, peut-être, que dans ce dernier passage, Kant ne prend pas assez en compte tout ce qu’une telle exigence peut avoir d’aporétique (la solution de la troisième Antinomie, qui aborde ces questions, établira pour sa part le caractère non-contradictoire d’une telle exigence).

Admettons cependant le bien-fondé de cette exigence. Nous atteignons alors une nouvelle raison de restreindre la dialectique de la raison pure à son usage théorique. En effet, la causalité de la raison pratique pure trouve un début de traduction concrète et peut être présentée, même de façon partielle, in concreto. Or, il ne saurait y avoir de dialectique de ce qui se laisse présenter et manifester dans l’expérience car cette dernière fournit un

111 D’où le caractère seulement partiel de la manifestation in concreto de l’Idée pratique. Cette partialité est là pour souligner le caractère idéal de l’Idée, qui peut être approchée dans l’expérience, mais jamais réalisée intégralement.

112 C1, A 807/B 835 : « Die reine Vernunft enthält also, zwar nicht in ihrem spekulativen, aber doch in einem gewissen praktischen, nämlich dem moralischen Gebrauche, Prinzipien der Möglichkeit der Erfahrung, nämlich solcher Handlungen, die den sittlichen Vorschriften gemäß in der Geschichte der Menschen anzutreffen sein könnten. Denn, da sie gebietet, daß solche geschehen sollen, so müssen sie auch geschehen können (…) ».

appui, une pierre de touche, qui permet de s’assurer de la vérité de ses propres affirmations. Cette relation que la raison dans son usage pratique conserve avec l’expérience est ainsi ce qui conduit Kant à déclarer au chapitre des Antinomies que la « méthode sceptique » qui consiste à se faire le spectateur de l’antinomie afin de repérer le cause du conflit ne peut valoir en morale. Cette dernière, en effet, a l’avantage de pouvoir s’appuyer sur une

expérience (au moins possible, précise Kant)113 afin de résoudre le point litigieux. La

morale trouve ici un point commun avec la philosophie expérimentale qui pour sa part peut facilement trancher entre les théories opposées au moyen du recours à l’expérience (tel est le rôle, par exemple, de « l’expérience cruciale »). La philosophie morale parvient de cette manière à éviter le malentendu de l’abstraction (Mißverstand der Abstraktion) dans lequel tombe pour sa part la raison pure spéculative qui ne dispose d’aucune pierre de touche pour vérifier ses assertions transcendantales auxquelles aucune intuition ni synthèse empirique ne peuvent correspondre.

Il y a donc une raison à la fois simple et massive pour laquelle il n’y a pas de