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La fonction architectonique du souverain Bien

1. La Forderung de la raison pratique pure

Dans le texte de Kant, le mouvement qui conduit du pratique conditionné vers l’objet total et inconditionné (le souverain Bien) n’est qu’allusivement évoqué. Citons une

nouvelle fois le passage où cette transition a lieu : « [La raison dans son usage pratique] cherche, en tant que raison pratique pure, pour le pratique conditionné (qui repose sur des inclinations et sur le besoin naturel) également l’inconditionné (das Unbedingte), et cela, non pas, certes, comme fondement de détermination de la volonté, mais, alors même que ce dernier a été donné (dans la loi morale), comme la totalité inconditionnée (das Unbedingte

Totalität) de l’objet de la raison pratique pure, sous le nom de souverain Bien » (V, 108).

C’est la relation entre le conditionné et l’inconditionné qui est en jeu. L’intention générale de Kant est manifestement de créer un parallèle avec la Critique de la raison pure et de montrer qu’il existe dans le domaine pratique également une remontée du conditionné vers l’inconditionné. Mais dans la Dialectique transcendantale, la maxime générale de la raison, qui consiste à supposer que le conditionné ne peut être intégralement connu que par l’inconditionné, établit entre le conditionné et l’inconditionné une certaine continuité (même si celle-ci se révèlera illégitime). Et l’on pourrait dire que la meilleure preuve d’une telle continuité vient de ce que le passage du conditionné vers l’inconditionné s’effectue naturellement et de façon fluide, créant ainsi une illusion et une apparence transcendantale. L’enchaînement qui conduit d’un niveau à l’autre est, quoique fallacieux, naturel, et c’est sans doute ce qui fait que l’apparence transcendantale est quelque chose d’inévitable qui persiste même une fois qu’elle a été dénoncée275.

Il paraît plus difficile d’identifier, en ce qui concerne l’usage pratique de la raison, une semblable remontée continue du conditionné vers l’inconditionné. D’une manière générale, à l’inverse de ce qui se produit dans le cas des antinomies « dynamiques » où l’on s’élève de l’expérience vers l’Idée, dans la seconde Dialectique, l’Idée (la loi) vient en

275 Dans C2, nous ne trouvons pas véritablement d’équivalent de l’apparence transcendantale évoquée dans

C1. Ce qui s’en approche le plus est peut-être le risque de confusion entre le fondement de la détermination et l’objet entier. Ce risque est évoqué en V, 109 : dans cette « affaire si délicate » (in einem so delikate Falle), la confusion entre le principe et l’objet « produirait l’hétéronomie et refoulerait le principe moral ». On pourrait alors estimer que l’illusion transcendantale, dans C2, consisterait à penser que le souverain Bien, sous prétexte qu’il est un objet nécessaire et total, constitue le fondement de détermination de la volonté. Le souverain Bien comporte un danger de supbreption et d’illusion encore plus grand que la simple hétéronomie (l’hétéronomie « quotidienne », si l’on peut dire), puisque le souverain Bien est une représentation nécessaire et a priori. La tentation est alors grande de faire d’une telle représentation un Bestimmungsgrund.

On pourrait également penser à la « faute de subreption (vitium subreptionis) » (Fehler des Erschleichens), évoquée par Kant (V, 116) à propos de la confusion possible, dans la résolution morale, entre ce qu’on fait (tut) et ce qu’on sent (empfindet) : être (résolument) vertueux provoque un certain plaisir, mais il ne faut pas devenir la victime d’une « illusion d’optique » (einer optischen Illusion) en s’imaginant que ce plaisir alors ressenti est le véritable ressort de la moralité.

premier et c’est le mouvement de redescente vers l’expérience sensible (la volonté d’unir la loi morale et la recherche du bonheur) qui donne naissance à une totalité dialectique276.

Analysons l’extrait.

a. « en tant que raison pratique pure »

En premier lieu, on remarque que c’est « en tant que raison pratique pure » que la raison pratique se met à la recherche de l’inconditionné. C’est là indiquer la priorité absolue et principielle qui doit revenir à la loi morale. La recherche de l’inconditionné pratique s’effectue à l’initiative et sous le gouvernement de la raison pratique pure. En anticipant quelque peu, on peut alors dire que la recherche d’un objet total ne peut avoir lieu que sous la condition suprême de la vertu. C’est pourquoi la première branche de la future antinomie (selon laquelle le désir du bonheur serait la cause motrice de la vertu) sera immédiatement disqualifiée par Kant (en V, 113) car celle-ci ne remplit pas le requisit initial (et lui-même inconditionné) de la recherche de l’inconditionné. La première branche de l’antinomie de la raison pratique pure est en fait déjà virtuellement rejetée (ce qui, notons-le bien, ne résout pas pour autant la dialectique).

b. La nature du « conditionné pratique »

Ce pour quoi la raison pratique pure recherche ici l’inconditionné est ce que Kant nomme « le conditionné pratique » (Praktisch-Bedingten), i.e. ce qui repose sur des inclinations (Neigungen) et le besoin naturel (Naturbedürfnis). Que désigne l’expression de conditionné pratique ? V. Delbos estime que « c’est précisément le bonheur, dont l’idée

276 V. Delbos écrit pour sa part de façon un peu sinueuse : « Tandis que dans la Critique de la raison pure, Kant admettait que l’inconditionné est indéterminé par rapport aux objets de l’expérience déterminés par l’entendement, ici, au contraire, l’indétermination première est du côté du conditionné ; là l’inconditionné se déterminait en quelque mesure pour le conditionné de l’expérience dont il requérait la plus complète explication possible ; ici c’est le conditionné des tendances sensibles qui se détermine pour l’inconditionné de la raison pratique auquel il fournit un terme indispensable d’application » (La philosophie pratique de Kant, p. 470).

V. Delbos semble vouloir dire que la relation conditionné/inconditionné s’inverse, d’une Critique à l’autre, par rapport à l’expérience sensible. Au rebours de C1, dans C2, c’est l’expérience sensible conditionnée qui se présente comme étant le terme du questionnement, et c’est en elle que la loi morale inconditionnée (l’équivalent de l’expérience sensible dans C1) trouve son achèvement sous la forme d’un objet total inconditionné (seconde forme de l’inconditionné).

représente l’objet essentiel de nos inclinations sensibles et ne peut donc, sans apparaître comme indéterminée ou imaginaire, être portée à l’absolu, mais exprime pour nous tout de même une fin relative nécessaire »277. On pourrait supposer que Kant utilise l’expression périphrastique « ce qui repose sur les inclinations et le besoin naturel » afin de mieux souligner que la seconde composante du souverain Bien, qui ne recevra le nom de « bonheur » qu’au début du deuxième chapitre de la Dialectique, est nécessairement quelque chose de dérivé et qui s’enracine dans la nature sensible. Même s’il ne mentionne pas explicitement le bonheur, il paraît raisonnable de penser que c’est bien le bonheur qui est en jeu, Kant nous disant ici précisément ce qui dans le bonheur en fait quelque chose de « conditionné ».

M. Albrecht souligne le fait que la seconde Dialectique, en posant la question de la totalité inconditionnée de l’objet de la raison pratique pure, réintroduit de façon positive le problème de la matière du vouloir. C’est là, estime M. Albrecht, ce qui distingue le souverain Bien d’un simple « objet » de la raison pratique pure. Au chapitre II de l’Analytique, Kant ne pose pas le problème de la matière du vouloir et définit l’objet comme étant simplement l’expression d’une résolution morale reposant sur le seul principe formel. C’est uniquement le problème de la relation entre l’objet et la loi qui occupe le chapitre II et non une quelconque orientation vers un objet matériel278. Au contraire, dans la Dialectique, nous avons davantage affaire à un véritable objet parce que la recherche part d’une matière empirique que la raison cherche à élever, en tant que raison pratique pure, à l’inconditionné. Nous retrouvons dans la seconde Dialectique une théorie de l’objet plus classique, plus « téléologique », qui réunit dans le concept d’une totalité une forme et une certaine matière.

Or, cette matière ne peut concerner que le bonheur empirique et toute autre sorte de matière serait à cet endroit impensable, déclare M. Albrecht, qui s’appuie en l’occurrence sur l’affirmation de l’Analytique selon laquelle tout principe pratique matériel se rapporte en dernier lieu au principe du bonheur (le concept de souverain Bien reprend en effet la distinction entre forme et matière élaborée dans l’Analytique) et surtout sur le fait que sous

277 La philosophie pratique de Kant, p. 470.

278 Kants Antinomie, p. 58-60. M. Albrecht estime que le ch. II de l’Analytique a d’abord pour but de répondre à de possibles objections contre le caractère formel de la loi morale, en montrant que le concept d’objet de la raison pratique pure n’est pas contradictoire avec l’idée d’un principe formel suprême.

le nom de souverain Bien est recherché l’objet dernier et le plus large possible qu’on puisse soumettre à un vouloir moral, par conséquent un objet qui doit comprendre en lui la fin matérielle la plus générale possible qui n’est autre que le bonheur. Le souverain Bien est l’objet accompli : dans l’expression « das höchste Gut », « das Höchste » n’est pas « das

Oberste » (suprême), mais bien « das Vollendete »279. Que le pratique conditionné soit ici déjà le bonheur, cela résulte de la fonction de totalisation du concept de souverain Bien qui en tant que totalité doit non seulement contenir une matière (sans cela il ne serait que

oberst), mais en outre une matière qui soit elle-même totale (pour être pleinement vollendet). Or, il n’y a que le bonheur qui puisse satisfaire ce requisit. M. Albrecht écrit

ainsi : « ce n’est pas l’expérience du partage injuste du bonheur entre les vertueux et les méchants dans le monde qui fait que le concept de souverain Bien « exige » (V, 110) nécessairement le bonheur, mais une réflexion a priori sur le résultat total du vouloir moral »280. C’est la raison pratique pure qui exige et qui juge que le bonheur doit être partie intégrante de la totalité à laquelle elle aspire. Le concept de totalité est ici capital parce que c’est au nom d’une exigence de totalité (exigence, comme nous l’avons souligné, qui est le fait de la raison pratique comme raison pratique pure) que le bonheur est requis à titre de matière de l’objet total et inconditionné.

c. Une dialectique de la raison pratique pure

On peut alors répondre à l’objection (classique) selon laquelle ce serait la raison pratique impure qui serait responsable de l’introduction du bonheur dans le souverain Bien. La question, on doit le reconnaître, est assurément délicate. En effet, d’un côté, la tentation est forte d’estimer que le bonheur est exigé dans le souverain Bien uniquement en raison du caractère naturel et sensible de l’homme et de considérer ainsi que le bonheur, comme seconde composante nécessaire du souverain Bien, ne provient que d’une revendication extra-morale de la raison « humaine, trop humaine ». Il nous semble pourtant que ce ne sont pas des mobiles psychologiques ou anthropologiques qui sont à l’origine de l’assomption du bonheur au sein du souverain Bien mais bien le Grundsatz de la raison

279 C2, V, 110.

pure à la recherche d’une « totalité absolue » de conditions. Le bonheur est intégré au souverain Bien à titre de composant d’une totalité et c’est au nom de ce principe de la

totalité que le bonheur est requis et invoqué. L’exigence de la raison pratique pure de

parvenir à la totalité est le fondement de la prise en compte du bonheur. Ce n’est pas la nature sensible humaine qui décide soudain de faire valoir ses droits. C’est l’intérêt de la

raison pour la totalité et pour l’inconditionné qui sous la figure du souverain Bien

s’exprime dans son usage pratique.

Par conséquent, le souverain Bien, bien loin de signifier une quelconque régression vers l'hédonisme ou la naturalité sensible, signifie bien plutôt un approfondissement et un

élargissement de l’usage pratique pur de la raison. Dès lors, la seconde Dialectique ne

constitue pas du tout quelque chose comme un tournant ou un revirement vers la sensibilité « matérielle » par opposition avec la « pureté » formelle de l’Analytique : la morale ne devient pas matérielle281. C’est toujours de la raison pratique pure dont il s’agit, dont l’Analytique a élucidé la loi fondamentale et dont la seconde Dialectique déploie maintenant le mouvement dynamique. Le passage suivant de Théorie et pratique l’indique nettement : « le besoin d’un but final (Endzweck) proposé par la raison pure et comprenant l’ensemble de toutes les fins sous un principe (un monde comme souverain Bien et rendu également possible par notre concours) est un besoin de la volonté désintéressée et s’élargissant encore au-delà de l'observation des lois formelles jusqu’à la production d'un objet (le souverain Bien) »282. Le souverain Bien comme Endzweck est donc un besoin de la raison pure et désintéressée et l’on ajoutera qu’un tel besoin de la volonté désintéressée correspond en fait à la structure profondément intéressée de la raison pratique pure. Mais il s'agit d’un intérêt rationnel (inexplicable par des causes naturelles et des mobiles psychologiques) pour la totalité, par conséquent, d’un intérêt de la raison pour elle-même.

Certes, il est indéniable que le bonheur exprime par ailleurs l’intérêt naturel et sensible le plus élevé de l’homme. Mais encore une fois, ce n’est pas pour cette raison toute empirique que le bonheur est requis. Pour comprendre la réintroduction du bonheur au

281 C’est ce que pensait A. Fouillée (« Critique de la morale kantienne », in Revue philosophique 11 (1881), p. 337-360). Selon A. Fouillée, Kant ne parvient pas à résoudre le problème de « la continuité…entre l’idée de la moralité et celle de bonheur ». Soit la vertu se suffit à elle-même, soit l’éthique devient empirique.

282 Théorie et pratique, VIII,279 : « und das Bedürfnis eines durch reine Vernunft aufgegeben, das Ganze aller Zwecke unter einem Prinzip befassenden Endzwecks (eine Welt als das höchste auch durch unsere Mitwirkung mögliche Gut) ist ein Bedürfnis des sich noch über die Beobachtung der formalen Gesetze zu Hervorbringung eines Objekts (das höchste Gut) erweiternden uneigennützigen Willens ».

niveau de l’objet total, nous devons prendre pour fil conducteur l’idée rationnelle de la totalité et non la revendication (qui serait, pour le coup, véritablement « trop humaine »283) de la sensibilité humaine. Dans la mesure où le souverain Bien est l’Idée de la raison pratique pure à la recherche de la totalité, le bonheur, à titre de composante, est aussitôt convoqué et mobilisé. La réintégration du bonheur au sein de la totalité inconditionné du souverain Bien n’est donc pas une concession hypocrite faite par Kant à l’hédonisme le plus prosaïque mais la conséquence de l’exigence de la raison pratique en tant que raison pratique pure. L’appartenance du bonheur au concept de souverain Bien résulte de la

Forderung de totalité inhérente à la raison pratique pure et c’est pour cette raison que la

seconde Dialectique est bien, conformément à son intitulé, une Dialectique de la raison

pratique « pure ».

d. Le souverain Bien comme Idée

Rassemblons nos analyses. En premier lieu, il convient de prendre acte de la dynamique naturelle de la raison qui la porte à rechercher l’inconditionné pour un conditionné donné. Tel est le premier facteur de la totalisation dans la conception kantienne du souverain Bien. Cette dynamique étant essentielle à la raison comme telle, nous allons la retrouver à l’œuvre dans l’usage pratique de la raison. Par conséquent, la raison, dans son usage pratique, recherche (en tant que raison pure) à son tour l’inconditionné. Mais comme cet usage pratique admet déjà un inconditionné (la loi morale) à son fondement, et cela de manière constitutive, il nous faut identifier une nouvelle figure de l’inconditionné : il s’agit

283 R. Z. Friedman, in « The Importance and Function of Kant’s Highest Good » (Journal of the history of philosophy, 22, 1984, p. 325-341), estime que « l’inclusion du bonheur dans le souverain Bien ainsi que les conditions requises par celui-ci – Dieu et l’immortalité de l’âme – ne sont pas purement les besoins d’une raison trop humaine (the needs of an all-too-human reason) ». Il y a au moins deux raisons majeures pour l’attester : 1) le caractère objectif de la moralité ne disparaît pas dans le souverain Bien. La raison ne s’incline pas devant la nature sensible, mais bien plutôt se la subordonne. 2) Le thème du « bonheur proportionné à la vertu » n’est pas une revendication de la subjectivité intéressée, mais « le jugement d’une raison impartiale qui perçoit les implications de la condition humaine dans le monde, en tant que l’homme est une créature sujette à la loi morale » (p. 341). Cf. également Carl Stange (Die Ethik Kants, p. 103) : la relation entre la vertu et le bonheur étant synthétique, « damit ist dann der Beweis erbracht, daß in der Tat dies Problem in die Kritik der reinen praktischen Vernunft gehört » : en effet, le problème de la relation synthétique a priori de la vertu et du bonheur est à rattacher au problème général de la raison pure, i. e. « comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? ». C. Stange conclut cependant de manière fort critique son examen : quoi qu’en dise Kant, « Der Begriff des höchstens Gutes ist demgemäß keine apriorische Erkenntnis der praktischen Vernunftn sondern das Produkt einer minderwertigen Sittlichkeit » (p. 128).

cette fois de « l’objet total et inconditionné », i.e. le souverain Bien. Cet objet est « total », tout d’abord parce qu’il présuppose, à titre de condition suprême et nécessaire, un fondement inconditionné (la forme universelle de la loi). Ce serait là un deuxième facteur de totalisation dans la conception du souverain Bien. Mais l’objet est également « total » parce que la matière qui est visée sous la condition de la loi est le bonheur. L’universalité de la loi se projette en quelque sorte dans la matière qu’elle désire, ce qui signifie que le bonheur est la seule matière suffisamment générale et globale qui puisse répondre à l’universalité de la loi : « pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et pour tout état futur, est requis »284. Le bonheur constitue ainsi un

troisième facteur de totalisation dans la conception du souverain Bien.

L’élaboration du concept de souverain Bien paraît donc profondément et structurellement investie par l’idée de totalité. Mais dans la philosophie kantienne, la totalité est avant tout une Vernunftidee, quelque chose qui n’est jamais réalisé ou qui peut être donné in concreto que ce soit dans le domaine de la connaissance ou de l’action. Dans le domaine pratique, tandis que la première forme de l’inconditionné ne désigne rien d’autre que le principe valide de la normativité pratique, la seconde forme d’inconditionné en revanche fait problème car elle nous met aux prises avec une totalité comme telle irréalisable. Dans la seconde Dialectique, la volonté moralement déterminée veut un objet (le souverain Bien) dont elle aperçoit pourtant en même temps qu’elle ne peut pas le réaliser. La proposition pratique qui lie la volonté moralement déterminée au souverain Bien est une proposition pratique synthétique entièrement a priori parce qu’elle est d’abord et avant tout le fruit d’une Forderung de la raison pratique pure, mais en même temps, cette synthèse exigée entre la vertu et le bonheur se présente aussitôt, en tant que synthèse totalisante, comme « dialectique ».

C’est en effet ici que réside proprement la seconde Dialectique, à savoir dans cet échec de la raison pratique pure à concevoir la possibilité (pratique, réelle) d’un objet que par ailleurs elle ne peut s’empêcher de vouloir. C’est pourquoi le passage par les postulats s’avère indispensable, mais c’est pourquoi aussi – les postulats n’étant admis que sur le mode de la croyance - le souverain Bien demeure irréductiblement une Idée. Parce qu’il est

284 Fondation, IV, 418 : « daß gleichwohl zur Idee der Glückseligkeit ein absolutes Ganze, ein Maximum des Wohlbefindens, in meinem gegenwärtigen und jedem zukünftigen Zustande erforderlich ist ».

objet total et accompli (das Vollendete), le souverain Bien, même une fois que l’on s’est assuré de ses conditions d’effectivité, n’existe que comme Idée et comme objet d’une espérance285. En effet, une Idée est le concept d’une perfection qui ne se rencontre pas dans