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Chapitre 4 – Profil socioéconomique, santé et éducation

4.1 Profil socioéconomique des microentrepreneurs et de leurs ménages

4.1.3 Tontines

Il a été relevé précédemment dans la thèse, les personnes pauvres « s’appuient plus fortement sur certaines capacités » (Ballet et al., 2004 :7), certaines formes de capital se retrouvant ainsi à être plus employées que d’autres dans les stratégies de subsistance. C’est le cas du capital social qui « représente l’une des plus importantes de ces capacités et s’exprime par des transferts monétaires inter vivos ou des allocations réciproques de temps » (Ballet et al., 2004 :7). Les tontines en constituent un exemple parfait dans le contexte camerounais. Tout près de 70% des participants interviewés (69,1% de l’échantillon avec 68,4% pour les femmes et 70,0% pour les hommes) y participent eux-mêmes directement et presqu’un sur deux (44,7%) de ceux-ci cotisent dans deux tontines au plus. Cette forte popularité est typique du contexte camerounais où les estimés du taux de participation varient entre environ la moitié de la population au niveau national (Tello Rozas et Gauthier, 2012) et plus de 80% de la population en milieu urbain (Pettang et al., 1995).

116 Le locatif serait d’ailleurs encore plus commun à Yaoundé qu’à Douala, toujours selon la même source (INS,

Les tontines, aussi appelées associations ou réunions au Cameroun, correspondent aux associations rotatives (AREC) et cumulatives (ACEC) d’épargne et de crédit décrites par Rutherford (2002). Répandu dans les PED (Basu, 2011; Guérin et al., 2011; Ambec et Treich, 2007; Chiteji, 2002; Fiebig et al., 1999; Ardener et Burman, 1995), ce mécanisme d’intermédiation financière est un phénomène documenté depuis longtemps au Cameroun (Fouomene, 2013; Kemayou et al., 2011; Ngo Nyemb-Wisman, 2011; Mbouombouo Ndam, 2007; Ngueyap, 2006; Bouman et Harteveld, 1976), où sa popularité est largement reconnue, de même qu’ailleurs en Afrique (Ayimpam, 2014 en République démocratique du Congo; Lawanson et Oduwaye, 2014 au Nigéria; Gugerty, 2007 au Kenya; Mbouombouo Ndam, 2007 en Afrique centrale; Guérin, 2006 au Sénégal; Anderson et al., 2003 au Kenya; Verhoef, 2001 en Afrique du Sud; Aryeetey et Steel, 1995 au Ghana; Bouman, 1995, 1994 et 1990 en Afrique; Ardener, 1964 en Afrique). La tontine varie d’une forme relativement simple où des membres forment un groupe d’épargnants qui reçoivent l’ensemble de la cagnotte de façon rotative à date fixe117, jusqu’à des arrangements complexes qui permettent l’épargne individuelle, l’emprunt au groupe et même des polices d’assurance en cas de besoins définis, une diversité reconnue dans la littérature (au Cameroun : Fouomene, 2013; Kemayou et al., 2011; Ngo Nyemb- Wisman, 2011; Ngueyap, 2006; dans les PED : Guérin et al., 2011; Rutherford, 2002; Aryeetey et Steel, 1995). Au Cameroun, il existe par exemple des mécanismes d’épargne pour la rentrée scolaire et des assurances pour mitiger l’impact économique des funérailles (Kemayou et al., 2011; Ngo Nyemb-Wisman, 2011; Ngueyap, 2006), une forme plus souvent associée aux ACEC (Aryeetey et Steel, 1995; Bouman, 1995).

Le soutien dépasse toutefois souvent la dimension économique et comprend également un appui moral et collectif lors de tels événements, ce qui nous amène à ajouter que la tontine se veut à la fois un mécanisme d’intermédiation financière et sociale, comme l’ont aussi conclu d’autres chercheurs en Afrique (Ayimpam, 2014 en République démocratique du Congo; Lawanson et

117 Cette forme est généralement associée aux associations rotatives d’épargne et de crédit (AREC ou ROSCA, en

anglais), alors que la suivante est plutôt associée aux associations cumulatives d’épargne et de crédit (ACEC ou

ASCRA en anglais) – (Rutherford, 2002; Aryeetey et Steel, 1995; Bouman, 1995). Bouman (1995 :371) souligne

aussi qu’il existe une forme hybride qui emprunte aux deux et que la tontine est un terme uniformément employé au Cameroun peu importe la forme spécifique.

Oduwaye, 2014 au Nigéria; Fouomene, 2013 ainsi que Kemayou et al., 2011 au Cameroun; Gugerty, 2007 au Kenya; Guérin 2006 au Sénégal) et dans les PED (Guérin et al., 2011; Bouman, 1994). En effet, les membres développent des liens qui alimentent ou consolident leur capital social, ils s’entraident les uns les autres durant des périodes difficiles et certains cas sont discutés, débattus et délibérés en groupe lors de ces réunions afin de trouver des solutions pour les parties en cause. Cette dimension d’intermédiation sociale ressort aussi de nos entretiens avec les microentrepreneurs de l’échantillon et avec les informateurs clés. Le capital social donne ainsi accès à du capital financier et à des mécanismes d’épargne et de solidarité collective. Au sein de notre échantillon, les tontines étaient principalement liées à la famille, au village ou aux ressortissants du village, aux amis et aux voisins, de même qu’aux réseaux professionnels (par exemple une association de photographes pour Athanase, dont cet homme marié de 34 ans fait toujours partie même après avoir changé d’occupation pour se lancer dans la vente de brochettes de viande), des affiliations communes au Cameroun (Fouomene, 2013; Kemayou et al., 2011; Mbouombouo Ndam, 2007).

Dans notre échantillon de recherche tout comme dans le contexte camerounais, les pratiques et les taux d’intérêt pour les prêts varient d’une association à l’autre118, Francine (femme, 27 ans, non mariée, préparation et vente de « plantains-chips » et de « beignets-crevettes » les fins de semaine et couture la semaine) ayant par exemple « emprunté à la réunion à 5% par mois » pour démarrer son activité de chips de plantains et autres « beignets-crevettes » et elle a eu 4 mois pour rembourser le tout, alors qu’Aissatou (femme, 21 ans, mariée, moulin à écraser) a quant à elle obtenu un prêt de six mois sans intérêt pour acheter son moulin à écraser. Lucrèce (femme, 31 ans, mariée, petit commerce et « call-box ») a elle aussi emprunté à la tontine et continue de la faire « régulièrement » afin de renforcer son activité, un comportement qui concorde avec les observations d’autres chercheurs à ce sujet en Afrique (le Sénégal pour Guérin, 2006; le Ghana pour Aryeetey et Steel, 1995). Elle explique que pour les 20 000 FCFA qu’elle emprunte : « quand ça fait un mois, ça produit 1000FCFA », i.e. qu’elle doit payer 1000 FCFA d’intérêt par mois sur son montant de 20 000 FCFA, ou 5% par mois, comme pour Francine (femme, 27 ans, non mariée, préparation et vente de « plantains-chips » et de « beignets-crevettes » les fins

de semaine et couture la semaine). La sous-section 7.2.3 comporte aussi d’autres exemples et détails à ce sujet.

Souvent présentés comme des prêts sans garantie, le crédit obtenu dans les tontines repose en fait généralement sur la « caution solidaire » (social collateral; Kondo et Shirai, 2013 :241; Qudrat-I Elahi et Rahman, 2006 :478; Smets, 2003 :194) ou la pression sociale (« pression par les pairs », Fouomene, 2013 :44) pour assurer le remboursement. Il est souvent compris que l’exclusion que causerait un défaut sur l’emprunt constitue un risque trop important par rapport aux bénéfices retirés pour que les participants manquent à leur parole (Moubé, 2015), ce qui pourrait être comparé à un « suicide social » dans les mots de Guérin et al. (2011 :108). Cette dynamique renforce ainsi la discipline au niveau des paiements, même si Basu (2011) débat de ces analyses généralement acceptées en distinguant des raisons et des situations pour lesquelles les participants d’une tontine ne feraient pas défaut même sans sanction sociale, entre autres parce qu’ils seraient conscients que le fait d’épargner par soi-même tend à mener à une épargne trop faible en rapport aux besoins « knowing that they under-save in autarky can make them more likely to stay on in roscas » (Basu, 2011 :144).