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Chapitre 4 – Profil socioéconomique, santé et éducation

4.2 Santé

4.2.4 Préoccupations liées aux enfants et soins médicaux

Les enfants constituent une source de préoccupation évidente chez les microentrepreneurs de l’échantillon qui les décrivent souvent comme plus vulnérables et plus sensibles. C’est entre autres le cas d’Aline (femme, 43 ans, non mariée, coiffure) qui insiste sur le besoin de renforcer leur santé au moyen d’une nutrition appropriée121 et de Flavie (femme, 40 ans, non mariée,

préparation de nourriture) qui déclare que les enfants sont « trop maladifs ». Flavie clame d’ailleurs que c’est la raison pour laquelle « On ne se déplace plus de peur que quelqu’un tombe malade », faisant référence aux séjours au village qui étaient jadis relativement courants et qui ont pratiquement été éliminés des habitudes du ménage. Le dernier des enfants de Flavie qui a été malade a engendré des dépenses s’élevant à 100 000 FCFA (approximativement 217$USD). Sachant l’importance des liens ruraux et avec le village au Cameroun, entre autres au niveau du capital social, de l’accès aux tontines et du soutien en nature au niveau des denrées, cette contrainte à la mobilité implique davantage de conséquences négatives sur les options et sur les moyens de subsistance du ménage.

Cette préoccupation accrue est aussi évidente dans le cas de Thérèse (femme, 35 ans, non mariée, préparation et vente de beignets) qui déclare amener les enfants à l’hôpital lorsqu’ils sont malades, alors que ce n’est pas toujours le cas lorsque ce sont les adultes qui sont en cause. En effet, le report des visites à l’hôpital ou des soins médicaux a été mentionné explicitement à quelques reprises par les microentrepreneurs de l’échantillon, certains, comme Evelyne (femme, 31 ans, mariée, préparation et vente d’« okok » et petit commerce) et Patrick (homme, 33 ans, non marié, coiffure), soutenant même explicitement qu’ils continuent de travailler lorsqu’ils sont malades.

Ce comportement avait également été rapporté par Rakodi (1999 et 1995). L’absence d’assurance, de soins de santé abordables ou de protection sociale durant ces périodes ont ainsi un impact sur les coûts directs et sur les coûts d’option à la fois pour couvrir les dépenses liées aux soins de santé ainsi qu’aux pertes de revenus qui découlent de ces incidents. Cette dynamique crée un effet pervers et devient un incitatif qui encourage des comportements qui peuvent accroître les conséquences négatives de ces chocs, comme il peut en résulter en remettant les traitements et en travaillant même malade. Les propos de Justine sont révélateurs à ce sujet.

Justine (femme, 33 ans, mariée), une infirmière de formation qui tient une clinique dans les quartiers, insiste sur le fait que cette dynamique et ce report des soins créent des problèmes plus graves. Le manque d’argent en serait une des causes. Comme elle le déclare explicitement, pour

les gens des quartiers, « Ils se disent dans la tête : hôpital égale argent ». Selon Justine, cette association amènera aussi des gens à « tripoter », i.e. à essayer différentes alternatives comme le recours aux médecines traditionnelles avant d’aller chercher des soins de santé dans une clinique ou un hôpital :

« J’ai constaté, il y a une recrudescence de, les gens aiment beaucoup l’automédication. Parce que sur dix malades qui vont arriver ici, tu vas entendre huit qui ont d’abord commencé par (…) les potions traditionnelles. Ça n’a pas donné. (…) C’est quand ça ne va vraiment pas que tu vas le retrouver ici. (…) La plupart du temps, ceux qui arrivent ici, la majorité arrive dans des cas d’urgence. »

L’encadré 3 dans la sous-section subséquente présente le cas de Josiane (femme, 52 ans, veuve, bois de chauffage) et met en relief cette dynamique de façon concrète. À noter que le recours croissant à l’automédication auquel Justine fait référence a également été relevé par Moubé (2015) et Fouomene (2013) au Cameroun.

Quant à la médecine traditionnelle, ancrée dans les pratiques et la culture camerounaises (Mbaku, 2005), la qualité et l’efficacité ne sont ni vérifiées ni débattues ici, mais elle fait effectivement partie de l’arsenal des microentrepreneurs pour faire face à la maladie, comme dans le cas de Serange (femme, 34 ans, non mariée, petit commerce et médecine traditionnelle) qui confirme soigner avec des herbes et Honoré (homme, 46 ans, non marié, moulin à écraser et petit commerce) qui se proclame « naturopathe » pour les besoins de la famille, expliquant qu’il fait « la médecine à base des plantes naturelles ». Les propos d’Honoré soutiennent également les dires de Justine (femme, 33 ans, mariée, clinique santé), lui qui admet que la médecine naturelle ou traditionnelle est employée en première ligne, suivie de la médecine formelle lorsque les cas ne peuvent être contrôlés : « sauf si ça me dépasse, (…) j’y vais et je demande secours à l’hôpital ». Compte tenu des moyens financiers limités de la population des quartiers, une meilleure couverture publique pourrait ainsi avoir comme effet de limiter ces comportements aux conséquences potentiellement dégénératives.

Cette situation engendre aussi une internalisation des coûts et du risque, par exemple lorsque des microentrepreneurs refusent ou retardent des investissements dans leurs options de croissance afin de limiter leur vulnérabilité en cas d’incidents. Ce phénomène d’internalisation contribuerait à expliquer les choix et les stratégies des microentrepreneurs, par exemple dans le

cas du petit commerce de denrées comestibles, tel que suggéré au chapitre 5, qui permet de consommer les stocks lorsque le besoin se présente, malgré la très faible rentabilité de l’activité.

Lors d’une discussion sur le sujet, Francis, un des informateurs clés qui a travaillé dans les quartiers et auprès de cette population durant des années, mentionnait d’ailleurs que cette situation lui avait été exposée en d’autres termes par les microentrepreneurs qui préféraient repousser des investissements afin de mieux pouvoir gérer le risque, malgré la rentabilité potentielle quasi immédiate des activités et des projets proposés. Dans notre contexte de recherche, Francis mentionnait aussi que les projets de développement des AGR de même que les IMF insistaient généralement sur la mise en branle des démarches le plus tôt possible en raison des gains financiers espérés et qu’il lui avait été parfois difficile de justifier et d’expliquer le choix des candidats potentiels qui déclaraient avoir besoin de temps avant de pouvoir contracter un crédit productif, par exemple. Francis se rendait bien compte qu’il était moins question de compréhension du potentiel et du marché, comme certains voulaient le penser, que de la gestion nécessaire de l’impact de contraintes structurelles. C’est pourquoi il a trouvé fort utiles les concepts de compromis entre vulnérabilité et pauvreté, ou encore entre sécurité et revenu (Chambers 2006/1989; voir chapitre 2 pour plus de détails), puisqu’ils permettent de mieux comprendre et exprimer les décisions des microentrepreneurs lorsque vient le temps de développer leurs activités commerciales, comme dans le cas présent où il y a internalisation des coûts du risque en l’absence de protection sociale publique ou externe qui elle, permettrait d’engager plus de ressources personnelles dans l’aventure.