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Chapitre 3 – Méthodologie

3.3 Collecte de données

3.3.2 Sélection et description des quartiers

Les études de cas des recherches dirigées par Caroline Moser ont porté sur des communautés considérées comme pauvres dans quatre pays différents : trois PED (Équateur, Philippines, Zambie) et un pays « en transition » (la Hongrie). Une communauté par pays a été identifiée. Moser et al. (1996a) rappellent que l’approche pourrait être prise autrement, par exemple en observant plusieurs communautés au sein d’une même ville, tant que les critères de sélection sont présentés de façon explicite.

Au sein de chaque pays, la communauté sélectionnée était « reconnue comme typiquement pauvre »78 (Moser, 1998 :6). Bagchi et al. (1998) soutiennent que les jugements sont naturels et font partie de la démarche, mais que les contraintes, les jugements et les décisions doivent être explicites. Les critères de sélection pourraient être définis comme suit (Moser et al., 1996a :22) :

« a single community was selected for its location “in a known marginal low-income area, inhabited by squatters, both rural and urban born, and involved during the past decade in city-level consolidation.” A major determinant of selection was whether previous household surveys existed, from which longitudinal data could be derived. »

77 Voir la section 3.2.4.

78« Other than Budapest, they were located in known "marginal" low-income areas, inhabited by squatters, both

rural and urban born, and involved during the past decade in city-level consolidation. All areas had experienced upgrading and infrastructure improvements, as a consequence of government policy or community-based mobilization. In socioeconomic terms, the population mainly consisted of young, upwardly aspiring families. In the case of Budapest, a traditional "working-class" area was identified. » (Moser et al., 1996a :16)

Les communautés ont donc également été choisies en fonction de l’existence et de la disponibilité de données antérieures, résultats de recherches précédentes menées entre autres par Moser elle-même, afin de pouvoir créer des bases de données longitudinales. C’est pourquoi Moser (1998) considère que les cas sélectionnés ne sont pas représentatifs en soi des différentes régions du monde faisant partie de l’étude (Asie, Afrique, Amérique latine et Europe de l’est). À noter que ce type de données n’étaient pas disponibles pour la Hongrie, ce qui fait que l’analyse spécifique des tendances (trends) comme telles a été exclue de l’analyse.

Comme pour les recherches d’envergure dirigées par Moser dans les années 1990 ou celles de Bagchi et al. (1998), le choix des quartiers est finalement marqué par des considérations pratiques en plus des considérations théoriques et conceptuelles. Dans ces cas, la portion quantitative dominait les recherches et l’existence de données antérieures similaires (panels) s’avérait essentielle pour réaliser leurs objectifs de mesure de la pauvreté et d’évaluation des tendances et formait ainsi le critère discriminatoire principal pour la sélection des communautés à l’étude. Dans le cas de notre recherche, les critères qui ont primé sont à la fois l’existence de données secondaires sur les quartiers en question (importantes pour la contextualisation sans toutefois constituées de données de panel comme dans le cas de Moser), de même que la présence de contacts établis pour appuyer la crédibilité de la démarche et pour donner confiance aux participants à l’étude afin d’assurer des résultats francs et de qualité. L’absence de données de panels pour comparer l’évaluation quantitative de la situation à des points différents dans le temps est en partie compensée par les entretiens approfondis et les récits et témoignages des participants, ce qui se justifie en regard des objectifs poursuivis et de l’approche qualitative retenue en raison de la nature des phénomènes étudiés (voir la sous-section 3.2.4).

Les quartiers identifiés comme « pauvres » par notre partenaire local sont aussi qualifiés de « quartiers populaires » ou de « quartiers enclavés » par les instances locales. Les quartiers en

question, Elig-Effa I à VII79, Melen I, III, IV et V80, ainsi que Messa Mezala81, sont établis à l’ouest du centre administratif et commercial de la ville de Yaoundé. La carte suivante donne une idée de l’emplacement des quartiers dans la ville :

Figure 13. Carte situant l’emplacement des quartiers dans la ville (Source : Carte découpée et adaptée de Yaoundé 2020 : Plan directeur d’urbanisme de la Communauté

urbaine de Yaoundé, 2008 :106)

Prière de noter que l’ensemble des informations qui suivent à propos des quartiers proviennent essentiellement des douze monographies réalisées par ERA-Cameroun (Kezembou, 2008a et b;

79 Le nom Elig-Effa signifie « patrimoine d’Effa » est en l’honneur d’Alphonse Effa, « autochtone et chef

catéchiste » qui a œuvré dans la zone et qui a aussi baptisé nombre de résidents des villages voisins. La partie sud de Messa 2 reçoit ainsi cette appellation après la mort d’Alphonse Effa en 1939 et un monument à sa mémoire sera aussi érigé à Messa Mezala.

80 Le nom Melen a été donné à la zone par les Allemands durant la période coloniale et signifie « palmiers » en

ewondo, de l’expression « Djong Melen » ou route des palmiers.

81 Le nom Messa Mezala réfère aux pruniers de la zone (« Messa » en ewondo) et au ruisseau à plusieurs branches

(« Mezala » toujours en ewondo). En 1972, l’arrondissement de Yaoundé suburbain est divisé en deux et la partie nord du grand Messa devient Messa Mezala au sein de Yaoundé 2e, une zone aussi connue sous le nom de « Mokolo ».

Nono, 2008a et b; Talom, 2008a, b et c; Talom et Kezembou, 2008; Yiah, 2008a, b, c et d) dans le cadre d’un projet en partenariat avec Ingénieurs sans frontières Catalogne (ISF-Catalan) et appuyé par l’Union européenne. Ces informations sont ici présentées sous forme de synthèse et elles sont complétées dans quelques cas par nos observations et nos entretiens avec des informateurs clés sur le terrain, comme les animateurs sociaux d’ERA-Cameroun et les chercheurs du LESEAU (maintenant L3E), par exemple. Les références sont ajoutées lors de citations spécifiques ou lorsque ces informations sont agrémentées d’autres sources.

Les quartiers sont situés sur des versants de collines et dans des bas-fonds marécageux, certaines portions couvrant des aires protégées (« zones vertes ») ou considérées impropres à la construction (zones non aedificandi). En effet, nombreuses sont les demeures bâties sur des pentes abruptes (« à pente forte », soit entre 10-20%) et dans les bas-fonds inondables, surtout durant les saisons des pluies de mars à juin et de septembre à novembre. Seules les zones à pente faible (entre 3-10%) retrouvées dans certains quartiers sont considérées suffisamment stables pour permettre la construction, celles à pente forte étant victimes d’érosion durant les pluies.

Le niveau de consolidation varie à l’intérieur des quartiers de même que le niveau socioéconomique des résidents tel qu’il sera exposé plus en détails au chapitre 4, mais de façon générale ces quartiers sont considérés comme affichant une forte vulnérabilité physique et environnementale doublée d’une vulnérabilité socioéconomique des résidents, comme il est souvent observé pour ce type d’habitat dans les PED (Ombati et Ombati, 2016; Ebert et al., 2009; Berner et al., 2008; Laquian, 2007; Mooya et Cloete, 2007a; Tannerfeldt et Ljung, 2006; Davis, 2006; Dercon, 2006; Wood, 2003).

La rivière Mingoa traverse les quartiers Melen et forment « la limite naturelle avec les quartiers Elig-Effa et Messa » (Talom, 2008c :9). Des artères commerciales affluentes bordent aussi certains quartiers et séparent ces zones résidentielles des zones plus fortement commerciales qui les entourent, dont le marché Melen et le grand marché de Mokolo. La carte suivante vient donner un aperçu plus précis de la configuration des quartiers comme tels :

Figure 14. Carte des quartiers étudiés (Source : Tabué et al., 2009 :75)

Yaoundé était un regroupement de villages avant l’indépendance du Cameroun en 1960. Dans les quartiers étudiés, les populations locales réfèrent ainsi aux « autochtones » pour désigner les membres des groupes établis de longue date sur ces terres du centre de Yaoundé, auxquels sont opposés les « allogènes », soit les populations venues d’autres régions et villages pour s’établir dans les quartiers.82 Ce sont les autochtones qui tendent à être les propriétaires terriens alors que les allogènes sont surtout locataires, même si certains ont acheté des parcelles. Ngnikam et al. (2014) estiment à 75% la proportion de logements en location. Un programme de « désenclavement » des quartiers d’habitat spontané visait la zone étudiée, certains espaces étant menacés de « déguerpissement » par la Communauté urbaine de Yaoundé (CUY) durant nos recherches.

82 À Yaoundé, Morelle (2016 :355) souligne que les autochtones réfèrent généralement à l’« appartenance clanique

au sein du groupe ewondo » et que les allogènes réfèrent à « leur origine ethnique respective » indépendamment de leur lieu de naisance qui peut incidemment être Yaoundé pour plusieurs.

Les quartiers comptent maintenant sur une population hétérogène, provenant de toutes les provinces et régions du pays et comptant même des ressortissants de l’extérieur du Cameroun. Elle se chiffrerait approximativement à 21 000 habitants répartis en 4500 ménages (Ngnikam et al., 2014). La population est jeune et la majorité serait en-dessous de 30 ans. La composition des ménages varie beaucoup, les quartiers comptant surtout des familles au sein de ménages nucléaires et « larges », soit des ménages qui incluent par exemple de la parenté ou des petits- enfants, mais les quartiers comptent aussi des personnes seules (étudiants, « filles libres »83, jeunes commerçants ou qui débutent dans l’armée, la gendarmerie ou la police). En effet, la proximité relative de casernes militaires (par exemple le camp de la gendarmerie et le camp de la garde présidentielle et du quartier général de l’armée), de grandes écoles (par exemple l’École nationale supérieure polytechnique ou l’École nationale supérieure des travaux publics) et de l’Université de Yaoundé I sont autant de facteurs d’attraction dans les quartiers et expliquent la présence des étudiants, mais aussi de fonctionnaires et de cadres de l’administration et de l’armée. Certains ne sont ainsi établis dans les quartiers que temporairement, par exemple durant les études ou pendant la période d’affectation à Yaoundé. Parmi les autres occupations courantes, s’ajoutent à ces groupes des commerçants, des travailleurs qualifiés sans emploi formel et opérant à leur compte (par exemple des infirmiers offrant des soins de santé ou des techniciens et autres « dépanneurs » qui font des réparations), des travailleurs peu qualifiés, ainsi que des gens sans-emploi (« chômeurs » et « ménagères »).

Au niveau des activités économiques dans les quartiers, le petit commerce, du simple étal à la boutique, est l’activité la plus répandue, surtout au niveau de la vente de produits de consommation courante et de vivres, allant des tomates, des piments, des oignons et des fruits, au savon, à l’huile, aux cigarettes, à la quincaillerie et aux produits pharmaceutiques. Parmi les autres activités courantes, notons les bars et autres « débits de boisson »84 de même que la restauration. Cette dernière comprend les beignets, la bouillie, les haricots, les plantains frits, le

83 Ce terme est souvent associé aux femmes vivant de la prostitution, cette dernière étant particulièrement répandue

dans les quartiers Melen et à Melen IV.

84 Vente de bières et de boissons embouteillées, alcoolisées ou non (aussi appelées localement « boissons

bouillon de bœuf, le riz, le ndolé85, de même que le poisson braisé pour les femmes et la viande braisée pour les hommes (aussi appelée localement « le soya »). Les quartiers reçoivent aussi occasionnellement la visite de vendeurs ambulants, de la friperie à la vente de chaussures usagées provenant de l’étranger86. Les quartiers comptent également des coiffeurs, des tailleurs, des menuisiers, des téléboutiques (« call-box »)87, des mécaniciens, des plombiers, des cordonniers et des réparateurs d’appareils électro-ménagers. Si les activités sont plus fréquentes à proximité des grands axes bitumés et des artères commerciales qui bordent les quartiers, elles sont moins présentes à l’intérieur même des quartiers.

Les quartiers comptent peu de voies carrossables et seules quelques-unes sont bitumées. C’est plutôt un dédale de chemins piétonniers en terre qui permet la circulation au sein des quartiers, Elig-Effa 7 ne comptant d’ailleurs aucune rue. La saison des pluies les transforme en boue et rend les déplacements particulièrement difficiles, alors que les fortes pentes par endroits ajoutent au défi et provoquent des chutes et des accidents.

La plupart des quartiers sont exempts d’infrastructures de santé et d’écoles, mais comptent quand même une poignée d’écoles et de cliniques privées, ces dernières étant l’affaire de professionnels de la santé à leur propre compte offrant des soins de base contre rémunération.

Très peu de résidents sont connectés à la Société nationale des eaux du Cameroun (SNEC). La grande majorité achète l’eau de consommation de voisins ou de bornes fontaines, alors que l’eau de puits et des sources, jugée polluée (Ngnikam et al., 2014) et de piètre qualité microbiologique (Tabué et al., 2009), est généralement utilisée pour les usages domestiques. Même son de cloche pour l’électricité, où la majorité des résidents sont connectés à un voisin qui leur vend généralement à un taux mensuel fixe. L’éclairage public est largement absent des quartiers à quelques exceptions près et les questions de vols, d’agressions et de sécurité font partie des

85 Plante dont les feuilles sont consommées dans un mets local.

86 Le commerce de la « friperie » concerne la « vente de vêtements et de chaussures d’occasion importés des pays

occidentaux » (Essengue Nkodo et Etouna, 2008 :145).

87 Activité qui consiste, pour les Camerounais, à « ‘vendre en détail’ les crédits de communication contenus dans

préoccupations du quartier, une problématique aussi soulevée par Ngueyap (2006) pour Yaoundé.

La vaste majorité des demeures sont bâties en matériaux provisoires dont les planches, mais surtout le « poto-poto »88, et plusieurs structures sont dégradées ou en mauvais état. Les latrines les plus répandues sont les « latrines traditionnelles à fond perdu », souvent à ciel ouvert et qui communiquent avec le sol et les eaux environnantes. Ces infrastructures posent de sérieux problèmes d’assainissement et des risques pour la santé des habitants. Quelques « latrines à canon » déversent même les excréments dans les rigoles et les cours d’eau. Les eaux usées sont aussi déversées directement dans la cour, sur le sol ou sur la chaussée, faute de canalisations.

Les camions d’HYSACAM (Hygiène et Salubrité du Cameroun) ne peuvent accéder à l’intérieur des quartiers en raison de l’état des routes, ce qui fait que les déchets doivent être transportés jusqu’à des bacs à ordure ou à des points de collecte. En pratique, les déchets sont également jetés dans les rigoles et les bas-fonds, ce qui contribue aux inondations des eaux de la rivière Mingoa et des eaux de ruissellement durant la saison des pluies en obstruant le lit d’eau et les rigoles.