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Chapitre 4 – Profil socioéconomique, santé et éducation

4.3 Éducation

4.3.3 Formation et apprentis

L’étude des moyens de subsistance des microentrepreneurs de notre échantillon de recherche fait ressortir l’importance des mécanismes informels de formation professionnelle dans le développement du capital humain et ce, à deux niveaux : 1) au plan de l’apprentissage des microentrepreneurs eux-mêmes et 2) au plan de la formation et de la transmission de connaissances à des tiers. À notre connaissance, ce processus n’est pas vraiment décrit ou abordé de façon détaillée et explicite dans la littérature scientifique sur le sujet ou, à tout le moins, dans celle qui porte sur les champs couverts par notre recherche. Nous soulignons ici trois points en particulier : le processus par lequel les microentrepreneurs apprennent le métier et le transmettent à d’autres, le rôle de la réciprocité et de l’entraide dans le processus, de même que les modalités et les arrangements au niveau de la formation.

Lorsque vient le temps d’apprendre un métier ou de développer des compétences professionnelles, l’importance de ce phénomène ressort clairement chez les microentrepreneurs

de l’échantillon, surtout dans le domaine des services. Si quelques-uns mentionnent avoir appris de façon autodidacte ou auprès de membres de la famille, plusieurs stipulent avoir été formés par des tiers. Par exemple, c’est une voisine qui a enseigné la couture à Constance (femme, 29 ans, non mariée, couture, petit commerce et « call-box »). Certains ont été formés en travaillant pour d’autres, comme la conjointe de Romain (homme, 24 ans, non marié, boutique et bar), qui fait de la couture à Mokolo et apprend le métier en même temps. Nadège (femme, 29 ans, non mariée), en plus de son petit commerce et de la préparation de nourriture, pratique elle aussi la couture dans un atelier avec d’autres apprenties où elle se perfectionne, mais elle a d’abord appris les bases du métier à ses frais en utilisant les revenus du petit commerce légué par sa sœur pour se faire former. C’est également le cas de Paulin (homme, 34 ans, non marié, bar) qui, lasse de son labeur comme vendeur ambulant, a abandonné les arachides, les prunes et les cerises pour devenir électricien, puis câbleur, rémunérant quelqu’un pour lui enseigner le métier.

Il y a ici un investissement explicite dans le développement des compétences et des habiletés professionnelles, alors que des ressources financières sont converties du capital financier au capital humain pour améliorer les perspectives d’emploi et le niveau de revenus. Les ressources engagées dans ce processus qui vise à changer de façon permanente les options et les moyens de subsistance d’un individu ou d’un ménage, comportent un certain niveau de risque à court terme en limitant les stocks et les options disponibles en cas de chocs ou de besoins soudains et imprévus129. Ce compromis entre vulnérabilité accrue de façon temporaire afin d’investir dans une transformation profonde des moyens de subsistance dans l’espoir d’accroître le niveau de revenus et le volume des activités rémunératrices, témoigne une fois de plus de la distinction significative que nous tâchons de réhabiliter130, de définir et de mettre en exercice, soit la différence entre une stratégie de croissance et une stratégie d’assurance au sein du processus général d’adaptation. Dans le cas présent, cet investissement représente ainsi un investissement direct dans une stratégie de croissance. Cette distinction se veut importante, puisque ses implications, les motivations, les besoins, les ressources mobilisées et l’impact sur la

129 Voir le chapitre 7 sur le crédit, les préférences et les comportements des microentrepreneurs et de leurs ménages

pour en savoir davantage sur l’épargne de « requête » ainsi que l’intérêt et l’importance de conserver des options de crédit pour faire face aux imprévus et aux périodes de difficultés économiques.

vulnérabilité et sur les moyens de subsistance diffèrent de ceux liés à une stratégie d’assurance durant cette période. Nous y revenons à quelques reprises dans la thèse afin d’illustrer ce phénomène et nous discutons des conséquences, des leçons et des implications au niveau théorique et pratique en conclusion de la thèse au chapitre 8.

Cette pratique de formation professionnelle est relayée par les microentrepreneurs de l’échantillon, dont au moins une douzaine racontent former des apprentis selon diverses modalités, surtout dans le domaine des services ou dans des champs plus spécialisés ou techniques que le commerce, comme la coiffure, la menuiserie, la soudure ou le « soya », i.e. la vente de viande en « brousse » (route).

Athanase (homme, 34 ans, marié) vend du « soya » (brochettes de viande) qu’il prépare à domicile et vend surtout en route à Mini-Ferme. Il a été formé par un ami photographe qui, comme lui, n’arrivait pas à vivre de ce métier et qui s’est alors recyclé dans ce commerce. Depuis, Athanase forme des apprentis et des amis photographes dans la même situation. Cinq personnes qu’il a formées tiennent maintenant leur propre kiosque et vivent de ce négoce. Athanase philosophe en ces termes à propos de ce phénomène :

« You would not just say you would stay alone then, because you want to eat alone. No! You also form people that tomorrow if you are not there they would also satisfy their population. That’s it. That’s what make life. You not be stingy, then you eat alone. Then you forget about your brother ».

Pour Athanase, il juge important de se soutenir les uns les autres et l’idée de redonner, la solidarité et la réciprocité lui apparaissent comme des comportements responsables et essentiels. C’est pourquoi il forme d’autres personnes, malgré la concurrence que cela peut occasionner, refusant d’être seul à en tirer profit (« manger seul » / « eat alone »).

Cette solidarité ou cette entraide correspond au profil de Germain (homme, 32 ans, non marié), qui a formé des « petits frères »131 en photographie, à Patrick (homme, 33 ans, non marié), qui enseigne la coiffure à un frère à sa charge, ou encore à Sylvestre (homme, 27 ans, non marié),

131 Il est à noter qu’au Cameroun, les termes de parenté comme « frère » sont souvent employés dans un sens

lui aussi coiffeur, qui a d’abord formé deux employés, puis les a embauchés par la suite. Il les décrit comme des « jeunes sans emploi qui ne faisaient rien. Je les ai récupérés pour qu’ils ne soient pas dans la perdition ». Il les paie maintenant de 45 000 à 50 000 FCFA par mois comme employés.

Les modalités en matière de formation, de coûts et de rémunération varient surtout entre le fait de :

1) Payer pour être formé, comme dans le cas de Véronique (femme, 45 ans, mariée, moulin à écraser et couture), une couturière qui a eu de 4 à 5 apprenties qui payaient 5000FCFA/mois. Comme le dit Aline (femme, 43 ans, non mariée, coiffure) qui forme en coiffure et en esthétique et qui explique pourquoi elle charge ses apprenties plutôt que de les payer : « Elle est en train de se former. Tout au contraire, ce sont elles (…) qui doivent me payer. »;

2) Travailler gratuitement en échange de la formation : Francine (femme, 27 ans, non mariée, préparation et vente de « plantains-chips » et de « beignets-crevettes » les fins de semaine et couture la semaine) possède un atelier de couture à l’extérieur des quartiers où elle forme une apprentie qui apporte ses propres appareils et travaille pour elle et Anne-Merveille (femme, 20 ans, non mariée, coiffure) forment toutes deux des « filles » qui troquent leur travail pour de la formation, une situation temporaire : « Quand elle aura les moyens d’ouvrir, elle part ».

3) Recevoir une compensation matérielle, par exemple être nourri et/ou logé : si les trois apprenties d’Aline (femme, 43 ans, non mariée, coiffure) payent et aident en échange de leur formation, elle affirme aussi récompenser leurs labeurs lorsque les résultats le justifient : « Quand peut-être une est vraiment apte. (…) Qu’est-ce que je fais? Quand tu rentres le soir et qu’on a bien travaillé, je vous paie le taxi. Je vous fais à manger. » Jonas (homme, 32 ans, marié, garage automobile) nourrit systématiquement les apprentis durant leur formation. Ses employés, eux, reçoivent un salaire (1000FCFA/jour).

4) Obtenir un certain pécune fixe ou variable : dans les deux ateliers de soudure métallique, les apprentis reçoivent de l’argent durant leur formation en contrepartie de leur contribution aux activités de la part des microentrepreneurs interviewés. Maximin

(homme, 44 ans, non marié, soudure) offre une rémunération fixe de 500 FCFA/jour à chacun des deux apprentis, alors que Léandre (homme, 24 ans, non marié, soudure), qui compte aussi deux apprentis, partage l’argent en soirée selon les revenus générés.

Que ce soit en échangeant du capital financier comme de l’argent ou encore directement moyennant leur propre travail et labeur, l’investissement dans le capital humain est à nouveau manifeste, comme discuté au tout début de ce point du chapitre sur la formation, et ce, non seulement pour les microentrepreneurs de l’échantillon, mais pour leurs apprentis qui évoluent dans ces mécanismes et ces arrangements informels de développement professionnel. Il semblerait aussi qu’il y ait un marché pour ce créneau, de même que des occasions d’affaires et une valeur ajoutée. Cette dernière se veut un bénéfice lié aux activités des microentrepreneurs, surtout dans le domaine des services, consolidant le capital humain et contribuant à développer de nouvelles occasions d’affaires (« opportunités »).