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Chapitre 1 – Problématique et cadre conceptuel

1.2 Contexte

1.2.3 Évolution économique et perspectives d’avenir

Colonie allemande en 1884, le Cameroun est ensuite réparti entre Français et Britanniques à la fin de la première guerre mondiale. Le Cameroun français devient indépendant en 1960 pour être rejoint par le Cameroun britannique l’année suivante. La République fédérale du Cameroun ainsi créée deviendra la République unie du Cameroun en 1972. Le pays unifié connaîtra des années plutôt prospères dans les années 1970 avec d’abord, le développement de l’agriculture, puis avec l’avènement du pétrole de la fin de la décennie jusqu’en 1986/1987 (Amin, 2008a). Gauthier et Zeufack (2009) qualifieront le pétrole de « malédiction » (curse), alors que malgré des rentes importantes, moins de la moitié auront alimenté les finances publiques contre plus de la moitié qui ne pouvaient être retracées. L’avènement du pétrole a aussi contribué à l’exode rural au profit des zones urbaines (Mbaku, 2005).

Le Cameroun sera affecté par une crise économique doublée d’une crise financière dans la deuxième moitié des années 1980. La crise économique a été causée par une combinaison de facteurs, dont la chute des prix des produits d’exportation et la dépréciation du dollar américain qui affecté les termes d’échange (Ngo Tong, 2016; Chameni Nembua et Miamo Wendji, 2010; Amin, 2008a; Cogneau et al., 1996). La croissance d’alors reposait essentiellement sur les ressources plutôt que sur la productivité ou l’efficacité (Sosale et Majgaard, 2016), surtout le secteur agricole et le pétrole (Amin, 2008a). Les exportations non pétrolières sont maintenant

« les moteurs de la croissance économique du pays, même si l’activité dans l’industrie pétrolière a repris en 2012 » (Sosale et Majgaard, 2016 :13).

Cette période de difficultés économiques s’accompagne d’une crise bancaire dans les pays de l’ancienne zone franc (aujourd’hui zone CFA) en raison de facteurs exogènes et endogènes comme les déficits et les arriérés du trésor public, la mauvaise gestion et la corruption, des facteurs explorés plus en détails le chercheur camerounais Joseph Mbououmbouo Ndam (2007) dans ses travaux sur l’intermédiation financière dans la zone CEMAC et plus particulièrement sur le Cameroun. S’en suivra une restructuration du secteur dans les années 1990 qui visera, entre autres, à « libéraliser le secteur bancaire » et à « renforcer les structures de contrôle et de supervision » (Mbououmbouo Ndam, 2007 :35).

Le Cameroun adopte alors des mesures d’ajustement structurel exigées par les bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque mondiale et pays donateurs) : privatisation des entreprises publiques, réduction des dépenses de l’État entre autres dans des secteurs ayant un impact social majeur comme la santé et l’éducation et coupes majeures dans la fonction publique, des coupures à la fois dans les salaires et dans les emplois (Ngo Tong, 2016; Moubé, 2015; Simen Njugnia et Koukam Fozeu, 2014; Fouomene, 2013; Kemayou et al., 2011; Chameni Nembua et Miamo Wendji, 2010; DeLancey et al., 2010; Mbouombouo Ndam, 2007; Guétat-Bernard, 2006; Ngueyap, 2006; Mbaku, 2005; Cogneau et al., 1996). S’en suivent des années d’austérité et de ralentissement économique qui contribueront à augmenter la pauvreté et la vulnérabilité des populations urbaines et rurales (Moubé, 2015; Fouomene, 2013; Chameni Nembua et Miamo Wendji, 2010; Amin, 2008a; Mbaku, 2005), de même qu’à entraîner un accroissement du secteur informel qui se retrouve alors au cœur des solutions de rechange pour nombre de Camerounais (Simen Njugnia et Koukam Fozeu, 2014; Amin, 2008a; Xaba et al., 2002; Cogneau et al., 1996). Par exemple, Xaba et al. (2002) estiment que l’informel comptait pour 80% des nouveaux emplois au Cameroun en 1992. Ces chercheurs attribuent aussi au ralentissement économique l’augmentation du travail des enfants au pays à partir du milieu des années 1990.

À noter que l’impact des programmes d’ajustement structurel (PAS) sur la croissance du secteur informel a été maintes fois rapporté en Afrique (Wautelet, 2014; Chen, 2012; Heintz et Valodia, 2008; Muraya, 2006). Heintz et Valodia (2008) soulignent en effet le fait que l’emploi dans le secteur public occupe une place importante dans les économies africaines et qu’il n’a pas été compensé par le secteur privé, contribuant à la croissance du secteur informel, un secteur « qui tend à absorber la majorité de la population active en situation de chômage ou de sous-emploi » (« which tends to absorb most of the unemployed and underemployed labour » comme le rapporte Amin (2008 :5) dans son ouvrage sur le développement économique du Cameroun.

Chameni Nembua et Miamo Wendji (2010 :12-13) concluent que « la crise économique qui a frappé ce pays durant les années 80 et 90, a eu de graves répercussions sur le niveau de vie de la population », ce que secondent Moubé (2015) et Fouomene (2013). En faisant référence à la crise et aux politiques d’ajustement structurel qui ont suivi, les chercheurs enchaînent : « Tout ceci contribua à amplifier les écarts bien-être au sein de la population, plongeant le pays dans un état de pauvreté sans précédent de telle sorte que même le retour à la croissance économique soutenu en 1998 n’a pas suffi à enrayer le phénomène. »

Au début des années 2000, le Cameroun bénéficiera d’un allégement de la dette grâce à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) qui devait aider le pays à retrouver le chemin de la croissance (Ngo Tong, 2016; Moubé, 2015; DeLancey et al., 2010). Alors que l’économie reprenait des forces, la crise économique mondiale de 2007-2008, les fluctuations dans le prix du pétrole et les « risques sécuritaires aux frontières du pays » (entre autres avec Boko Haram dans les régions du nord) auront aussi affecté négativement l’économie camerounaise durant la période qui a suivi (Doffonsou et Andrianarison, 2017; Fouomene, 2013; DeLancey et al., 2010). Ainsi, malgré une reprise de l’économie à partir de 2010 (Ngo Tong, 2016; Sosale et Majgaard, 2016; Fouomene, 2013), un recul de la croissance du PIB réel par habitant était estimé pour 2016, une tendance qui devait continuer en 2017 et 2018 (Doffonsou et Andrianarison, 2017).

En lien avec ce propos, Chantal Marie Ngo Tong (2016 :114) décrie « une stagnation du taux de pauvreté et une aggravation des situations de précarité qui conduisent aux ‘émeutes de la

faim de 2008’ », stagnation qui persiste autour de 40% (de 40,2% à 37,5% entre 2001 et 2014) comme le déplorent également Sosale et Majgaard (2016) ainsi que Moubé (2015). Comme l’explique la chercheure camerounaise, le Document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP) adopté en 2003 et qui découle de l’initiative PPTE « sera révisé et le gouvernement va adopter en 2009, le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE) qui a pour objectif d’assurer à terme une bonne redistribution des fruits de la croissance » (Ngo Tong, 2016 :114), en réponse à la grogne populaire. Ngo Tong (2016 :114) renchérit et ajoute que :

« 7 ans après sa mise en oeuvre et à 3 ans de la fin de son premier cycle, constat est fait que la croissance du PIB qui est passé de 3,3% en 2007, à 4 % en 2011 et 6,2 % en 2015 n’a pas entraîné une réduction équitable de la pauvreté, dont le taux de prévalence stagne aux alentours de 40 % ».

Ngo Tong (2016) conclut ainsi à une croissance non inclusive comme le secondent Doffonsou et Andrianarison (2017 :13) qui rapportent qu’elle s’est accompagnée d’une hausse du sous- emploi et des inégalités :

« les inégalités se sont développées. Le coefficient de Gini pour l’ensemble du pays atteint 0.44 en 2014 contre 0.39 en 2007 et 0.40 en 2001. Le taux de sous-emploi global chez les personnes âgées de 10 ans et plus s’est dégradé, atteignant 79 % en 2014, contre 71.1 % en 2007, s’écartant de la cible de 50 % en 2020 fixée par le DSCE ».

Présentement, le plan intitulé « Cameroun émergent à l’horizon 2035 », aussi contracté sous la forme « Vision 2035 », cherche à faire du Cameroun une économie émergente (Doffonsou et Andrianarison, 2017) en atteignant le statut de pays à revenu intermédiaire à part entière (Sosale et Majgaard, 2016) sur une période de 20 ans (2015-2035). Si les meilleures performances économiques des dernières années peuvent donner espoir (près de 6% en 2014 et 2015 et 4,7% en 2016, selon les estimations de Doffonsou et Andrianarison (2017), elles suivent une décennie de ralentissement (Sosale et Majgaard, 2016) et elles demeurent modérées alors que le niveau de croissance soutenue requis pour y parvenir est ambitieux pour une période aussi longue. La Banque mondiale (2016) évalue en effet que le PIB réel doit croître à un taux d’environ 8% par an jusqu’à la date visée en tenant compte d’un taux de croissance de la population estimé à 2,3% par an pour la période en question, un fait d’armes que seule une poignée de pays dans le monde est parvenue à maintenir sur une aussi longue période et que le Cameroun n’a jamais soutenu

sur une période aussi prolongée même dans les années fastes (voir la figure 2). Doffonsou et Andrianarison (2017) mentionnent que les perspectives de croissance à moyen terme se situent plutôt entre 4 et 5%.

Figure 2. Croissance historique du PIB par habitant au Cameroun et croissance requise pour atteindre avec succès le statut de pays à revenu intermédiaire de la Vision 2035

(Source : Banque mondiale, 2016 :2)

Le plan mise principalement sur une diversification de l’économie et cherche à attirer et à encourager l’investissement en améliorant l’environnement d’affaires (Doffonsou et Andrianarison, 2017; Sosale et Majgaard, 2016). Parmi les axes prioritaires, notons (à partir de Doffonsou et Andrianarison, 2017; Ngo Tong, 2016; Sosale et Majgaard, 2016) :

• Les grands projets d’infrastructure (énergie, routes, port, eau, Coupe d’Afrique des Nations 2019);

• La modernisation de l’agriculture et le développement de l’agroalimentaire; • Le développement des secteurs minier et forestier ainsi que du tourisme;

• La création d’entreprises et le développement des PME, du travail autonome et des activités génératrices de revenus (AGR).

Doffonsou et Andrianarison (2017 :10) relèvent aussi la modernisation du cadastre pour accroître l’octroi « de titres fonciers servant de collatéraux dans les transactions » afin de « favoriser l’éclosion d’un marché hypothécaire ». Notons aussi la volonté du Cameroun d’être une économie axée sur l’exportation (Sosale et Majgaard, 2016). Doffonsou et Andrianarison (2017 :10) dénombrent aussi les défis et obstacles suivants (malgré des progrès réalisés pour certains de ceux-ci) : un déficit énergétique, un coût élevé des télécommunications, la compétitivité du port autonome de Douala et le manque de main-d’œuvre de qualité dans divers secteurs.

Des efforts ont été mis en place pour accroître la productivité et pour renforcer les capacités, dont une politique sociale d’investissement dans le capital humain au niveau de la santé (« programmes portant sur la santé de la mère, de l’enfant et de l’adolescent; de la lutte contre la maladie et la promotion de la santé; de la viabilisation du district de santé »; Doffonsou et Andrianarison, 2017 :13) et au niveau de l’éducation, incluant la formation technique et professionnelle et une réforme de l’éducation de base (Sosale et Majgaard, 2016).

La baisse du sous-emploi devait être réalisée grâce à la création de dizaines de milliers d’emplois formels, mais « les résultats obtenus au cours des deux premières années de mise en œuvre du DSCE laissent penser que l’objectif est loin d’être atteint » (Sosale et Majgaard, 2016 :47). Cet objectif représente un défi de taille surtout que « la croissance enregistrée au Cameroun depuis 1995 ‘s’est avérée être très peu créatrice d’emplois’ » aux dires mêmes du DSCE (Ngo Tong, 2016 :118), une tendance aussi relevée ailleurs en Afrique (Heintz et Valodia, 2008). C’est plutôt l’inverse qui s’observe en Afrique et à l’échelle mondiale avec une hausse de l’entreprenariat et du travail autonome (Adeokun et Ibem, 2016; Falco et Haywood, 2016; Simen Njugnia et Koukam Fozeu, 2014; Ghani et Kanbur, 2013; Lawanson et Olanrewaju, 2012). Le DSCE reconnaît d’ailleurs la nécessité de développer des « opportunités d’emploi » à la fois « formelles et informelles » (Sosale et Majgaard, 2016 :47).

L’accent mis sur la promotion des PME, du travail autonome et des AGR vise ainsi principalement l’« insertion des pauvres », comme le souligne Ngo Tong (2016 :118). La chercheure en question insiste sur l’augmentation du chômage en milieu urbain (un phénomène aussi rapporté par Simen Njugnia et Koukam Fozeu, 2014, ainsi que Mfombang, 2011) de même que sur les limites évidentes du secteur formel et de l’État au niveau de la création d’emplois pour conclure que l’entreprenariat dans les formes précédentes a un rôle substantiel à jouer au Cameroun dans les années à venir, justifiant d’autant plus l’intérêt de la présente thèse.

1.3 Origines, fondements et objectifs du cadre théorique et