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Chapitre 4 – Profil socioéconomique, santé et éducation

4.2 Santé

4.2.5 Environnement et services publics et urbains limités ou déficients

En plus des externalités liées à l’activité commerciale comme telle et qui peut occasionner des troubles de santé, par exemple dans le cas de Sabine (femme, 51 ans, mariée, préparation et vente de nourriture) qui prépare le « eru »122 et qui déclare que « les effets du feu sur la santé me perturbent parfois » ou encore Estelle (femme, 49 ans, veuve, préparation et vente de nourriture), dans une situation similaire, qui cuisine aussi l’« okok » et qui dit : « Je suis souvent malade. (…) Le feu bousille quelqu’un. », l’environnement de vie et de travail est aussi affecté

par la déficience des services urbains comme l’eau, l’assainissement et la gestion des déchets. Comme il a été décrit à la sous-section 4.1.2 sur les conditions de logement, il est possible de souligner que le caractère rudimentaire de plusieurs infrastructures et installations en matière d’hygiène, comme les latrines et les points d’eau par exemple, contribue à la vulnérabilité des microentrepreneurs et de leurs ménages en matière de santé en accroissant le risque de contracter des maladies ou de développer des symptômes.

Comme vu auparavant, généralement seule l’eau de consommation est achetée et officiellement traitée. Pour la vaste majorité des ménages de l’échantillon, l’eau pour les usages domestiques et hygiéniques provient surtout de puits, ou encore de rigoles ou d’eau de pluie. Quelques ménages ont toutefois accès à des sources améliorées, que ce soit les sources aménagées par ERA dans certains quartiers (comme la source « tap tap » ou « commando ») ou encore, dans des cas privilégiés, directement au camp de la gendarmerie en raison de liens sociaux et de proximité. Les déchets sont souvent éliminés sur place, abandonnés au fond du bassin ou en route, ou emportés par les rigoles et les caniveaux toujours vers les « bas fonds ». Des latrines déversent parfois leur contenu directement dans les cours d’eau avoisinant. Ces divers facteurs contribuent à la mauvaise qualité de l’eau dans les quartiers étudiés, comme Tabué et al. (2009) le rapportaient également.

Ces divers éléments correspondent à l’environnement « à risque » décrié par Rousseau (2003 :9) et cité en début de section (voir aussi Ombati et Ombati, 2016) qui soutient que les pauvres vivent et travaillent souvent dans un environnement à risque doublé d’un accès souvent limité aux services de santé, créant une sorte de cercle vicieux. Le cas de Josiane (femme, 52 ans, veuve, bois de chauffage; encadré 3) exemplifie l’impact de ce cercle vicieux qui combine les éléments de la présente sous-section (4.2.5) sur l’environnement à risque et ceux de la sous- section précédente sur les comportements observés en matière de soins de santé (4.2.4), où la déficience et l’absence de services publics urbains et en termes de soins de santé entraîne une spirale de dégradation des actifs et plus particulièrement du capital humain.

Josiane (femme, 52 ans) est veuve. Elle vend du bois de chauffage depuis son domicile et elle travaille aussi comme institutrice dans une école à proximité. En juin, elle est tombée malade et elle a tenté de se soigner elle-même pour épargner des sous « parce que j’en n’avais pas ». Elle a ainsi eu recours à l’automédication sans succès, comme elle l’affirme en ces termes : « J’ai essayé de prendre des comprimés sans être suivie. Bon, quand ça s’est aggravé, je suis allée à l’hôpital et on m’a mis sur un traitement. Donc il fallait les antibiotiques. » Sa situation s’étant détériorée, elle n’a eu d’autre choix que d’effectuer une collecte ou « quête » auprès de la famille et des amis « pour pouvoir m’envoyer à l’hôpital ». Elle dit ainsi avoir eu besoin de 70 000 FCFA (approximativement 152$USD) pour venir à bout de ce « palu mal traité ».

Au niveau de la question de l’eau, Josiane est catégorique : « Nous achetons l’eau et c’est vraiment pénible! (…) J’ai été secouée les premiers jours que je suis arrivée ici, parce que c’est l’eau de puits que nous utilisons pour nous laver, pour l’eau de vaisselle, pour la lessive, pour les usages domestiques. » Elle se plaint de la séparation difficile entre eau de consommation et eau pour les autres usages domestiques, surtout au niveau des enfants qui font moins attention et ont plus de difficulté à respecter cette distinction. L’exemple qu’elle donne est celui des enfants qui trempent « les mêmes gobelets » ou les assiettes dans les deux eaux, risquant ainsi de contaminer celle achetée à des fins de consommation orale. C’est ce qui lui fait dire que « l’eau de boisson, nous achetons, et ce n’est pas très propre ». Elle insiste sur le fait que cette situation a occasionné « beaucoup de problèmes de santé », elle qui a souffert d’« amibiase », une maladie parasitaire dont elle estime ne pas avoir récupéré complètement, de même que de problèmes cutanés. Elle raconte toutefois avec fierté avoir trouvé une façon de diminuer le risque d’infection et de contamination : « J’ai pris une stratégie : c’est mettre quelques javel dans l’eau de puits, dans les récipients ».

Encadré 3 – D’impact et de cercles vicieux : Josiane, l’automédication, le report des soins médicaux et la déficience des services publics

Dans le cas précédent, des facteurs internes et externes se combinent pour limiter les options disponibles et affecter les actifs de Josiane de plusieurs façons. Ainsi, le capital financier limité (facteur interne) et l’absence de soins de santé abordables (facteur externe) la poussent vers

l’automédication (une pratique croissante au Cameroun aussi rapportée par Moubé, 2015 et Fouomene, 2013) qui s’avère infructueuse, engendrant des coûts supplémentaires de même qu’un impact prolongé de la maladie sur sa santé, alimentant le cercle vicieux décrit précédemment et invoqué par Rousseau (2003). C’est une fois de plus le capital social fondé sur les « liens d’attachement » (bonding capital; Willis, 2005 :111 à partir de McAslan, 2002) et que nous pourrions qualifier de capital social « affectif » ou « de proximité », ou encore de capital social « horizontal » selon Ballet et al. (« liens sociaux horizontaux »; 2004 :7) qui viendra jouer un rôle clé pour faire face aux difficultés socioéconomiques vécues par Josiane en temps de crise. Willis (2005 :111) souligne ainsi une distinction entre le capital social fondé sur les « liens d’attachement » (bonding capital) qui inclut les liens entre individus qui partagent des profils similaires ou font partie de la même communauté et celui qui repose sur les « liens qui créent des ponts » (bridging capital) à l’extérieur d’un groupe ou d’une communauté : « Social capital is usually identified as being either ‘bonding capital’, describing links between individuals and groups of similar backgrounds or from the local community, and ‘bridging capital’, which are links outside the immediate group or locality » (McAslan 2002). »

Les services publics et urbains déficients ou même absents, quant à eux, ont ici un impact important sur la qualité de l’eau qui se retrouve à être disponible pour les microentrepreneurs et leurs ménages dans les quartiers, de même qu’au niveau de l’internalisation des coûts de cette qualité déficiente. Les microentrepreneurs se retrouvent ainsi à devoir acheter de l’eau de consommation parfois à fort prix, malgré des risques subséquents de contamination en raison du stockage et des usages, ce que tente de prévenir ici Josiane en ajoutant des gouttes d’eau de javel, une solution chlorique, dans l’eau de puits. Les maladies qui découlent de cette qualité déficiente escomptent aussi la santé et le capital humain qui en subit les contrecoups. L’ensemble des coûts directs et indirects liés aux conséquences des services déficients ou absents dans les quartiers s’avèrent souvent substantiels en termes d’impact sur le portefeuille d’actifs des microentrepreneurs et de leurs ménages, de même que sur leur productivité. C’est donc un secteur d’intervention ou de soutien potentiellement névralgique et stratégique pour limiter la dégradation d’actifs clés de nature humaine et financière, de même que pour soutenir la consolidation d’actifs en général en tempérant les coûts liés à l’internalisation du risque et les coûts d’option.