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Chapitre 3 – Méthodologie

3.2 Considérations théoriques

3.2.2 L’approche en termes de niveau de vie soutenable

Gondard-Delcroix (2001 :12) rappelle que l’approche en termes de niveau de vie soutenable (sustainable livelihoods approach) et l’approche par les capacités (capabilities approach) sont « voisines dans leur cadre théorique » et que c’est plutôt l’objet de recherche qui diffère quelque peu et par conséquent, les méthodes pour l’aborder, comme exposé dans le tableau suivant :

L’approche en termes de niveau de vie soutenable se concentre ainsi davantage sur les processus de pauvreté et de vulnérabilité que sur l’identification des dimensions de la pauvreté, plus directement associée à l’approche par les capacités. Au plan analytique, cela n’empêche toutefois pas le cadre des capacités d’être approprié pour lier la vulnérabilité et les risques aux « stratégies d’acteurs »67 et pour comprendre les motifs et les conséquences de leurs actions (Gondard-Delcroix et Rousseau, 2005 :117). Krantz (2001) s’appuie sur le document du DFID (1999) pour conclure que l’approche en termes de niveau de vie soutenable permet de faire ressortir les causes de la pauvreté et les relations entre celles-ci, qu’elles soient liées aux chocs et aux conditions négatives dans l’environnement, aux institutions et aux politiques, ou encore au manque ou à la faiblesse des actifs.

Plutôt que d’imposer un agenda externe aux individus et aux ménages, l’approche en termes de niveau de vie soutenable cherche à mettre en évidence et à comprendre les objectifs qu’ils poursuivent et la façon de les atteindre (« The aim is to do away with pre-conceptions about what exactly people seek and how they are most likely to achieve their goals »; Krantz, 2001 :19). En effet, selon l’approche économique traditionnelle, les ménages basent leurs décisions et leurs comportements sur la recherche du rendement monétaire le plus élevé pour leurs activités (Bagchi, et al., 1998). Les chapitres 1 et 2 ont toutefois exposé les limites de ce modèle qui simplifie à outrance les éléments, les besoins et les priorités dont les individus et les ménages tiennent compte dans leurs stratégies. De plus, cette approche purement économique a peu exploré les différences en termes d’accès aux ressources (Bagchi et al., 1998), par exemple dans le cas des pauvres ou des gens évoluant dans l’informel qui peuvent faire face à des défis ou à des obstacles particuliers. C’est là que réside une autre force et particularité de l’approche en termes de niveau de vie soutenable : comme mentionné auparavant et au cœur de la démarche, cette approche est particulièrement adaptée pour exposer les actifs dont les individus et les ménages disposent et auxquels ils ont accès, de même que leur capacité à les utiliser de façon productive, soit un des objectifs les plus explicites et fondamentaux du cadre (de Haan et al., 2002; Krantz, 2001).

Deux autres aspects caractérisent particulièrement l’approche en termes de niveau de vie soutenable, soit le degré de contextualité élevé et l’accent mis sur le qualitatif :

Figure 12. Cartes des approches de la pauvreté (source : Gondard-Delcroix, 2001 :12 à partir de Hentschel, 1999)

Abordons tout d’abord le degré de contextualité. L’approche en termes de niveau de vie soutenable accorde une importance majeure au contexte local (de Haan et al., 2002; Bachi et al., 1998), ce qui constitue sans l’ombre d’un doute l’un de ses principaux points d’intérêt, tâchant d’éviter une simplification et une standardisation à outrance décriées entre autres par Fisette et Raffinot (2010) dans le contexte du développement et plus particulièrement dans le cas des grandes agences internationales. Cet accent mis sur le contexte local découle essentiellement de la dimension holistique de l’approche en termes de niveau de vie soutenable. Pour de Haan et al. (2002), cette perspective implique de : 1) tenir compte des aspects socioéconomiques, politiques et culturels du contexte particulier; 2) montrer une compréhension des distinctions entre les caractéristiques socioéconomiques des ménages; 3) désagréger l’analyse, par exemple au niveau du sexe, pour faire ressortir des situations ou dynamiques spécifiques. Au niveau du contexte de vulnérabilité, il est également important de connaître l’environnement dans lequel

les individus, les ménages et les communautés évoluent, les chocs et les tensions auxquels ils font face ainsi que les tendances majeures qui prévalent, afin de comprendre leurs comportements, stratégies et réponses (de Haan et al., 2002).

L’approche en termes de niveau de vie soutenable met également l’accent sur le qualitatif. En effet, l’approche par les capacités ayant davantage pour objectif d’identifier les dimensions de la pauvreté, elle se base sur une démarche plus quantitative, alors que l’approche en termes de niveau de vie soutenable cherche plus particulièrement à comprendre les processus d’exclusion économique et sociale et repose ainsi sur une démarche plus qualitative. De façon générale, le quantitatif recherche essentiellement la représentativité à des fins de mesure et de généralisation alors que le qualitatif est plus porté sur la compréhension des processus et l’interprétation des résultats (de Haan et al., 2002; Gondard-Delcroix, 2001; Bagchi et al., 1998).

L’accent mis par les approches plus participatives comme l’approche en termes de niveau de vie soutenable sur la dimension qualitative et plus inductive les distingue également des enquêtes standards du type LSMS (« Living Standards Measurement Study ») qui recherchent davantage la mesure et l’évaluation de la pauvreté à partir d’indicateurs développés par une agence externe que la compréhension des processus ou des dimensions de la pauvreté telle que vécue ou perçue par les populations locales (Gondard-Delcroix, 2001). De surcroît, les enquêtes quantitatives servent principalement à décrire la pauvreté, sans nécessairement exposer les stratégies et les moyens de subsistance déployés par les individus et les ménages : « The data themselves do not ‘explain’ poverty, they merely record it. They do not describe livelihoods, but for the most part provide indicators of the outcomes of livelihood strategies » (de Haan et al., 2002 :14). C’est pourquoi il apparaît impératif d’avoir recours aux méthodes qualitatives afin de comprendre les causes de la pauvreté ainsi qu’afin d’explorer et d’analyser des thèmes tels que la vulnérabilité et les stratégies de survie :

« Although analysis of the data generated can provide some understanding of the causes of poverty, for a full understanding and to assess the effects of policies, qualitative information is essential, to shed light where survey data has not (regarding, for example, vulnerability, reasons for asset depletion, or survival strategies adopted » (de Haan et al., 2002 :15).

Moser et al. (1996a) tiennent le même discours en insistant sur l’importance des méthodes « informelles »68 pour explorer les processus complexes et les interactions entre différents facteurs ou dimensions, de même que pour fournir des explications dynamiques, causales ou sociales aux relations observées.

Il convient toutefois de souligner que les approches quantitatives et qualitatives sont complémentaires et peuvent s’enrichir l’une et l’autre (Bird, 2011; Ojermark, 2007; Shepherd, 2007; Baulch et Scott, 2006; Lawson, 2006; Bagchi et al., 1998), une combinaison souvent nécessaire « à l’analyse et à la compréhension de la pauvreté en tant que phénomène complexe » (Gondard-Delcroix, 2001 :10) alors que toutes deux apportent des éclairages importants et différents. L’approche en termes de niveau de vie soutenable fait fréquemment usage de méthodes et de techniques de recherche multiples et variées (Bagchi et al., 1998; Scoones, 1998; Moser et al., 1996a), les enquêtes auprès des ménages et les entretiens approfondis étant les deux composantes les plus courantes. Idéalement, lorsque l’objectif ultime est directement opérationnel, soit de mettre en place des recommandations pratiques et d’établir des politiques et des stratégies, une approche mixte est considérée préférable (de Haan et al., 2002; Bagchi et al., 1998). Toutefois, c’est véritablement la portion plus qualitative qui se rapporte directement à l’analyse des processus de pauvreté de même que des comportements, stratégies et décisions des ménages. Vu nos questions et nos intérêts de recherche, c’est cette portion qui prime et qui se trouve essentiellement au cœur de la démarche et de la thèse.

3.2.3 Forces et faiblesses de l’approche en termes de niveau de vie