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Chapitre 1 – Problématique et cadre conceptuel

1.5 Pauvreté, vulnérabilité, risque et résilience

1.5.2 Définitions des concepts de vulnérabilité et de résilience

Comme nous avons commencé à l’exposer précédemment, la vulnérabilité n’est pas la même chose que la pauvreté : alors que la dernière marque une privation ou un manque, la première fait référence au sentiment d’impuissance, d’insécurité et d’exposition aux risques, aux chocs et aux tensions (Chambers, 2006/1989 :33). La définition de Chambers (2006/1989), l’une des plus connues et des plus utilisées, est ainsi traduite dans l’article de Dercon (2006 :80) : « la vulnérabilité désigne l’exposition aux imprévus et au stress, (…) situation contre laquelle on ne peut se protéger, signifiant un manque de moyens pour y faire face sans pertes considérables ». La vulnérabilité comprend donc une dimension externe, soit les risques, les chocs et les tensions auxquels les individus et les ménages sont confrontés, puis une dimension interne, soit l’impuissance traduite par le manque de moyens pour passer au travers des difficultés dans subir de pertes importantes (Chambers, 2006/1989 et 1995; Ellis, 2000; Sebstad et Cohen, 2000).

Ainsi, « la vulnérabilité rend compte des pressions extérieures auxquelles les personnes sont soumises » (Rousseau, 2007 :25). C’est donc la difficulté de faire face aux effets négatifs du changement qui est en cause (Rousseau, 2003; Ellis, 2000; Moser, 1998). Ces changements dans l’environnement peuvent être de nature économique, sociale, politique ou écologique (Sirven, 2007; Moser, 1998) et peuvent prendre la forme de chocs soudains, de tendances à long terme ou encore de cycles saisonniers (Moser, 1998). Les risques comme tels sont associés aux facteurs structurels, aux crises et aux chocs, de même qu’aux événements liés au cycle de vie (Sebstad et Cohen, 2000). Il donc possible de conclure qu’« un ménage, un individu ou une communauté est vulnérable s’il n’a pas la capacité de réaliser les ajustements nécessaires pour protéger son bien-être lorsqu’il est exposé à des événements externes défavorables » (Rousseau, 2003 :2).

« Pour analyser la vulnérabilité, il faut non seulement identifier les risques encourus par les ménages, mais aussi l’ensemble des capabilités possédé par les ménages qui permet de tirer profit des possibilités qui s’offrent de résister aux chocs négatifs et de remonter la pente » (Gondard-Delcroix et Rousseau, 2005 :111).

Comme énoncé à la section 1.2 au niveau des prémisses de l’approche, les individus, les ménages et les communautés ne sont en effet pas des victimes passives : non seulement réagissent-ils aux changements dans leur environnement, ce qui réfère à la notion de résilience, mais ils sont également proactifs dans la mise en place de stratégies qui feront l’objet de la section suivante (1.5). Commençons par aborder la capacité de réaction que l’on peut lier au concept de résilience (Rousseau, 2007).

Même si toute personne est en quelque sorte vulnérable (Rousseau, 2007; Handmer, 2003), la capacité de chacun pour faire face à la vulnérabilité n’est pas la même, de là l’idée de résilience (Handmer, 2003). La résilience est intimement liée aux actifs, alors qu’il est généralement entendu que plus un individu ou un ménage dispose d’actifs, plus sa capacité de réaction est grande (Moser, 2008; Moser et Felton, 2007; Sirven, 2007; Sebstad et Cohen, 2000; Moser, 1998). Toutefois, la résilience dépend non seulement des actifs et des ressources à la disposition des pauvres, mais de leur capacité à les mobiliser pour faire face aux chocs et aux crises (Gondard-Delcroix et Rousseau, 2005; Ballet et al., 2004; Moser, 1998). Il est donc question de résilience lorsque les individus sont capables de « compenser totalement les dommages qu’occasionnerait la réalisation d’un aléa » Sirven (2007 :18) ou encore de passer avec succès au travers des chocs et de surmonter les effets négatifs du risque (Ombati et Ombati, 2016), alors qu’il est question de vulnérabilité lorsqu’un « individu n’a pas les capabilités nécessaires pour faire face aux risques et "remonter la pente" » (Rousseau, 2007 :29).

Sirven (2007 :17) se base sur Villagrán de León (2006) pour exposer les deux caractéristiques suivantes de la vulnérabilité : 1) « une prédisposition des populations à être affectées par un évènement préjudiciable externe » et 2) « une incapacité de leur part à faire face aux désastres qui pourraient survenir ». La première peut être liée à la dimension définie par Chambers (2006/1989) et la seconde, à la dimension interne. Cela donne la fonction suivante où la capacité de réaction correspond aux « ressources que les populations peuvent mobiliser et les stratégies

qu’elles mettent en œuvre pour limiter les dommages que causerait un aléa spécifique » (Sirven, 2007 :18) : Vulnérabilité = Capacité de réaction/Exposition.

Une autre façon de concevoir la fonction de vulnérabilité est la suivante : Vulnérabilité =

Risque/Capabilités (Rousseau, 2007; Gondard-Delcroix et Rousseau, 2005; Rousseau, 2003).

Dans cette fonction, « plus un individu est soumis à un degré de risque important, plus il est vulnérable; inversement, plus un individu a un niveau élevé de capabilités, moins il est vulnérable » (Gondard-Delcroix, 2005 :111). Nous reviendrons de manière plus approfondie sur la notion spécifique de risque à la section suivante (1.5.3), mais nous retenons pour l’instant cette fonction en raison de sa lecture plus intuitive, en ce sens qu’un coefficient élevé témoignera d’une vulnérabilité plus grande (Gondard-Delcroix, 2005 :111) :

« Un individu ou un ménage aura un coefficient de vulnérabilité plus faible si, face aux mêmes risques, son stock de capabilités lui permet de résister ou de remonter la pente. Par contre, son coefficient de vulnérabilité sera élevé si son stock de capabilités est trop faible pour lui permettre de réaliser les ajustements nécessaires qui protégeraient son bien-être. »

En somme, il est possible d’associer les capabilités à la résilience ou à la capacité de réaction, qui dépend des capacités (caractéristiques personnelles et opportunités sociales) et des potentialités (dotations en capital) pour référer aux concepts du cadre exposés à la section 1.3. De façon générale, un revenu plus élevé devrait permettre une accumulation de capital et engendrer un niveau de vulnérabilité plus faible, alors que la pauvreté de revenus devrait réduire les possibilités de constituer un capital des individus, entraînant un niveau de vulnérabilité plus fort27 (Gondard-Delcroix, 2005 :111). En effet, il est possible de paraphraser Corbett (1988 :1102) et dire que les mêmes facteurs qui causent de l’insécurité à long terme auprès de

27 Si cette relation peut s’avérer souvent représentative ceteris paribus, certains mécanismes, comme les

associations de réciprocité comprises dans le capital social, peuvent venir modifier la donne en assurant une protection sociale qui peut s’avérer de première importance pour faire face aux chocs, surtout pour les gens évoluant dans le secteur informel ou lorsqu’il y a simplement absence d’instances publiques pour soutenir les gens dans ces situations, venant ainsi mitiger les effets négatifs des périodes de difficulté et réduire tout autant le niveau de vulnérabilité. Nous y reviendrons davantage dans la thèse à partir de notre échantillon et de nos résultats.

certains groupes, par exemple la pauvreté et des actifs limités, peuvent prédisposer les mêmes ménages à faire face à une vulnérabilité accrue en période de crise28.

La capacité de survivre ou de passer au travers des crises (coping (in)capacity) est également intimement liée à la nature et à l’intensité de la vulnérabilité, cette dernière atteignant son paroxysme lorsque la vulnérabilité conjoncturelle et structurelle coïncident (Davies, 1993 :62- 63). Davies (1993 :62) se base ainsi sur Bayliss-Smith (1991) pour exposer une autre dimension de la vulnérabilité, soit la sensibilité qui fait référence à l’intensité à laquelle le choc est vécu. Il est alors compris que les systèmes qui affichent une forte résilience ont la capacité de revenir à leur niveau initial après les crises, alors que les systèmes hautement sensibles ne comptent aucune protection face aux chocs. En somme, plus la sensibilité est élevée, plus il sera difficile pour le système de rebondir (Davies, 1993 :62).

Afin de mettre en relation vulnérabilité, pauvreté et résilience dans le cadre de notre recherche, nous aurons recours aux lignes suivantes de Rousseau (2007 :29), qui forment une synthèse claire et fluide des liens entre les concepts :

« Au sens premier, la résilience est un terme de physique des métaux qui exprime l’élasticité des matériaux : elle mesure la capacité d’un matériau à retrouver son aspect initial après avoir absorbé un effort plus ou moins important. Dans l’analyse dynamique des conditions de vie, la résilience est l’opposé de la vulnérabilité puisqu’elle réduit la probabilité de voir sa situation se dégrader à la suite d’un choc. Plus un individu est résilient, plus sa capacité de résistance à la suite d’un choc exogène est grande et moins il est vulnérable. Outre le fait de résister face à un choc, la résilience socioéconomique se traduit par une amélioration durable de sa situation, par exemple une sortie durable de la pauvreté.

Dans le champ de la pauvreté, la résilience d’un individu est la résultante du processus propre à chacun par lequel sont déterminées ses possibilités d’action. Les fonctionnements réalisables par l’individu définissent sa capacité d’adaptation, de réaction, de prévision, de protection de son niveau de bien-être. La résilience se présente donc comme une capabilité, mais une capabilité particulière en ce qu’elle résulte d’une combinaison de toutes les autres. »

28 Dans notre cas, le contexte de vulnérabilité est associé à la pauvreté urbaine, au manque d’emplois et au travail

autonome ou informel plutôt qu’aux famines ou aux situations de crise alimentaire, comme dans le cas de Corbett (1988).

Pour Dercon, (2006 :100), la pauvreté est comprise comme l’« ampleur des faibles niveaux de bien-être (observés sans incertitude) », alors que la vulnérabilité réfère à l’« ampleur de la

menace de la pauvreté (mésurée ex ante, avant que le voile de l’incertitude ne soit levé) ». Cette

idée va de pair avec Sirven (2007 :21), pour qui « l’idée de se focaliser sur la vulnérabilité à la

pauvreté permet de trouver un fil conducteur qui garantit une certaine cohérence interne à

l’approche et permet aussi d’orienter l’issue du débat vers les préoccupations de politique économique ». Cet angle comporte des implications pratiques dans le contexte de notre recherche. Dans l’approche en termes de niveau de vie soutenable, c’est en effet l’impact de la vulnérabilité sur les modes de vie ou moyens de subsistance qui se trouve au cœur de la démarche, que l’on peut qualifier de « vulnérabilité socioéconomique » (Rousseau, 2007), de « vulnérabilité à la pauvreté » (Sirven, 2007) ou encore de « vulnérabilité des moyens de subsistance » (livelihoods vulnerability; Chambers et Conway, 1992). Les chocs, comme les désastres naturels par exemple, sont alors étudiés non pas en termes de vulnérabilité physique, mais en fonction de leurs conséquences sur les modes de vie et moyens de subsistance des individus, des ménages et des communautés29. C’est donc dans cette perspective que la notion de vulnérabilité est employée dans le cadre de la thèse.