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Le titre de propriété et la question de la succession

II.4.1

Droit et titre de propriété

Jusqu’après la deuxième guerre mondiale, les attributaires des parcelles des Anciennes

cités, n’avaient pas de droit de propriété sur les parcelles qui leur avaient été attribuées.

Voici ce qu’en rapporte en 1947, Emmanuel CAPELLE qui était à cette époque Administrateur du territoire à Léopoldville.

« On rencontre ici une situation foncière assez bizarre si on la considère d’un point de vue juridique : le fonds reste domanial, propriété inaliénable de la ville. L’indigène n’est jamais propriétaire de sa parcelle, il y jouit du simple droit d’occupation, révocable sous certaines conditions.

Il existe deux exceptions à cette règle : les camps des travailleurs de l’Otraco et des Huileries du Congo Belge, dont le fonds fait l’objet d’une concession du type habituel du droit colonial. Les concessionnaires y logent gratuitement une partie de leur personnel dans des constructions leur appartenant.

L’indigène, simple attributaire d’une parcelle, est tenu de la mettre en valeur endéans trois mois, et est propriétaire de tout ce qu’il y construit ou érige. Afin de concilier ce droit de propriété avec la domanialité du fonds, une fiction juridique veut que sa maison, fût-elle en matériaux durables, est bien meuble. » (CAPELLE, 1947 : 38)

Par contre, les parcelles distribuées à partir de 1946, c’est-à-dire les Nouvelles cités et les

Cités planifiées, furent enregistrées, parcelle par parcelle, mais ne furent pas

immédiatement cadastrées. Les bénéficiaires disposaient d’un “livret de logeur” témoignant de l’enregistrement de la parcelle. Ce livret fut la solution adaptée de passage du droit coutumier au droit moderne.

« Le titre d’occupation des parcelles et des logements réclamerait une étude approfondie dans laquelle il faudrait traiter de la propriété foncière et du statut d’occupation en tenant compte du droit, de la coutume des lieux et des époques d’urbanisation.

« Il est évident qu’il y a une différence entre celui qui se déclare propriétaire d’une parcelle dans une ancienne cité, celui qui est devenu propriétaire d’un logement dans une cité

planifiée et celui qui a acquis une parcelle dans une zone d’extension depuis l’indépendance. Dans le premier cas, c’est l’occupant qui a pris l’initiative en se faisant enregistrer au service des titres fonciers ou au bureau administratif délivrant les “livrets de logeur” ; dans le second cas, c’est l’organisme constructeur qui a édifié des logements sous une forme apparentée à la location-vente ; dans le troisième, la négociation s’est d’abord faite le plus souvent en dehors du contrôle de l’Administration, par entente entre le Chef de terre et l’occupant ».64

Quant au “livret de logeur” (buku ya lopango), c’est une institution coloniale de contrôle qui garde une valeur réglementaire, mais qui n’a jamais eu de valeur légale. En effet, à l’époque coloniale, le “livret de logeur” confirmait qu’une personne était effectivement un attributaire d’une parcelle dans une cité, alors qu’il est considéré par beaucoup de kinois aujourd’hui comme un titre de propriété. Il n’a jamais été le signe d’un droit définitif. D’une certaine manière, on peut le considérer comme un titre de propriété, mais un titre de propriété très ambigu, car il s’agit en fait d’un titre d’usage. Cependant, si l’on considère que dans les conceptions coutumières, l’usage est la seule forme de droit admise en matière foncière, on peut mieux comprendre la dimension sociale réelle du “livret de logeur”. Mais, depuis l’indépendance, le livret de logeur n’est plus un moyen de contrôle mais une preuve d’usage, qui est délivré par les bourgmestres (DE MAXIMY, 1984 : 157). Il a depuis lors été remplacé juridiquement par le “certificat d’enregistrement”, mais peu de kinois ont remplacé leurs “livret de logeur” par ce certificat. De même peu ont connaissance de l’existence de ce certificat.

II.4.2

La question de la succession

II.4.2.1

Problèmes liés à la succession

Une fois la question de la propriété foncière touchée, la question du droit de succession qui en est une des conséquences, ne peut que se poser. Voici ce qu’Emmanuel CAPELLE rapporte de quelques problèmes posés par la succession dès l’époque coloniale.

« Le régime de succession est en général minutieusement réglé par les coutumes, qui n’admettent pas d’exception, par conséquent, pas de testament. Certains indigènes, évolués, propriétaires d’une maison par exemple, ont le louable souci d’assurer la propriété de leurs biens à leurs enfants, plutôt qu’à leur oncle ou cousin maternel resté au village, et rédigent un testament. Lors du décès, l’Administration tiendra compte des désirs exprimés. Mais lorsqu’il n’y a pas de testament, -et celui-ci constitue encore la rarissime exception-, l’application pure et simple des règles coutumières crée parfois des injustices ou des situations lamentables.

Un Droit Civil Indigène, propre à Léopoldville, et fondé sur la coutume évoluée, ou en cours d’évolution, apporterait une utile clarté dans ce domaine, non seulement guiderait les juges indigènes, parfois bien embarrassés, mais également le fonctionnaire chargé de la liquidation des successions ». (CAPELLE, 1947 : 104-105)

La question de la succession commença à se poser avec la génération des enfants des attributaires des parcelles. En effet, cette génération n’a pas connu la vie traditionnelle, ni le milieu rural, car elle fut composée d’individus qui sont nés et ont grandi à Kinshasa. En plus, contrairement à leurs parents, ils ont été à l’école. Leurs parents étaient en général des travailleurs manuels et des ouvriers, eux ne le furent pas tous. Certains d’entre eux ayant poussé un peu les études, ont fait partie du fameux groupe des évolués. En outre, certains ayant été des attributaires des parcelles dans les Nouvelles cités et les cités

planifiées à partir de 1946, ils ont été confrontés directement au nouveau système de

propriété foncière. Malgré une socialisation dans le milieu familial fortement inspirée de la vie traditionnelle, ils ne pouvaient pas avoir la même sensibilité que leurs parents, par rapport à cette question de propriété foncière et d’espace commun.

Il va sans dire que la question de la succession pour laquelle les gens se réfèrent aussi bien aux droits coutumiers qu’au droit positif, continue à se compliquer au fil des générations et au fur et à mesure de la « citadinisation » des familles. Les questions du droit de succession et du droit de jouissance du patrimoine, font partie des principales causes des guerres de famille que nous présenterons dans les études de cas.

« Les conflits fréquents dans le domaine des successions, les différends sur les biens meubles ou immeubles, l’appartenance des enfants dans le cas de concubinage révèlent à l’occasion des procès les difficultés que les tribunaux de la ville ont à se prononcer devant des situations qui mêlent droit coutumier et droit urbain uniforme.

Il faut dire qu’à Kinshasa les biens meubles ont une valeur qu’ils n’ont pas à la campagne et qu’ici les sources de conflit sont fréquentes. L’aspect économique domine également la question d’aide familiale, de dot, d’éducation des enfants. Alors qu’au village l’entraide suppose la réciprocité, on regrette en ville son absence et l’on insiste sur le manquement systématique à la règle ». (PAIN, 1984 :94)

La coexistence du droit coutumier et du droit moderne pose problèmes depuis l’époque coloniale, particulièrement en ce qui concerne le droit de propriété et la question de la succession. A l’époque coloniale déjà, l’application d’un droit coutumier pour les Africains posait le problème du coutumier de référence. En effet, le Congo compte plus de quatre cents ethnies et les Africains qui habitaient Kinshasa à l’époque provenaient de toutes les régions du pays qui étaient régies par des coutumes aussi diverses que variées et parfois contradictoires.

« Les Juridictions indigènes appliquent le Droit Coutumier, ou, à défaut, jugent en équité. Leur tâche est particulièrement délicate à Léopoldville, et ce, pour plusieurs motifs dons nous donnerons un rapide aperçu (…) On peut sans crainte de se tromper dire que tous les Territoires et toutes les régions de la Colonie sont représentés dans la Cité Indigène, chaque groupe ethnique amenant avec lui ses coutumes et ses lois propres. Les différences ne portent partout que sur des détails, mais sont parfois aussi fondamentales. L’exemple le plus frappant en est le régime matrilinéal de rigueur dans le Bas-Congo et le Kwango, alors que le régime patrilinéaire est celui de presque tout le restant de la Colonie.

Or, précisément pour rester dans l’équité, le Tribunal doit juger chacun selon ses coutumes propres (…) On conçoit que, dans ces conditions, nombre de coutumes intéressantes, mais régionales, ou non essentielles se perdent et ne soient pas remplacées » (CAPELLE, 1947 :

101)

A l’époque coloniale, la plus grande partie des habitants de la ville de Kinshasa provenaient du Bas Congo et de la région du Kwango-Kwilu où les peuples sont en général matrilinéaires. Ce qui est encore le cas aujourd’hui. La question se posait particulièrement en cas de mariages entre des conjoints, dont l’un était originaire d’une société patrilinéaire et l’autre d’une société matrilinéaire : à qui appartenaient les enfants ? Qui devrait hériter des biens du défunt, ses enfants ou ses neveux utérins ?

« Il en est fatalement ainsi dans le cas particulier du mariage que nous choisissons comme exemple le plus typique et le plus fréquent, avec ses formalités variant à l’infini, et les innombrables occasions de litiges qu’il suscite : promesse de mariage, rupture de promesse de mariage, dot, adultère, désertion du domicile conjugal, divorce, remboursement de dot, dévolution du droit de paternité sur les enfants, pour n’en citer que quelques unes.

« Toutes ces formalités, ces litiges, et les solutions à y apporter, sont prévus, et méticuleusement réglés et sanctionnés par les coutumes ancestrales, mais suivant des variantes locales innombrables (…). Or, à Léopoldville, nombre de ces coutumes, fort saines, louables et respectables, parce qu’elles constituaient un ordre moral rigide, sont, et c’est grandement dommage, matériellement inapplicables ; leur application suppose en effet, que les deux parties soient de même droit coutumier ; que les familles des deux parties soient présentes, la plupart du temps au grand complet ; que soient présents d’autres acteurs indispensables, chefs de clan, notables, et surtout l’intermédiaire du versement de la dot, et de l’accord des familles et des époux » (Ibid: 99-100).

La question de la succession a donc toujours été une question épineuse à Kinshasa depuis l’époque coloniale. La répartition de l’héritage entre les fils et les neveux du défunt, par exemple, a engendré des conflits récurrents dans les familles à régime matrilinéaire ou dans les familles à régime opposé.

II.4.2.2

Ce que dit le Code de la Famille

Face aux différents problèmes nés de la pluralité des systèmes de référence des citadins en ville en ce qui concerne le droit de la famille, le législateur a tenté durant les années 1980 de mettre en place un Code de la Famille. Ce Code de la famille promulgué en 1987, s’est avéré être une tentative de conciliation entre le droit moderne d’une part et la pluralité de droits coutumiers d’autre part. Il peut être vu comme une première tentative de solutions concernant différentes questions à propos du droit de la famille, telle que la question de la succession qui nous concerne ici.

Nous reprenons donc dans les lignes qui suivent quelques dispositions du Code de la Famille concernant les Successions (il n’est pas possible de les reprendre tous ici). Ces dispositions qui permettront peut-être de mieux éclairer, les tentatives de résolution des conflits et guerres de famille qui ont été porté ou non devant les tribunaux et quelques imbroglios qui en sont parfois ressortis.

Le Code de la Famille de 1987 répartit les héritages en deux catégories : les petits héritages et les héritages d’une certaine importance.

II.4.2.3

Les héritages d!une certaine importance.

Le Code de la famille, qui définit la succession comme l’ensemble des biens qu’une personne laisse à sa mort et que les héritiers et les légataires vont recueillir, établit trois catégories principales d’héritiers. La partie de l’héritage réservée à la première catégorie est appelée “réserve successorale”, tandis que le reste de l’héritage constitue la “quotité disponible”.

• 1ère catégorie : elle est composée des enfants du défunt nés dans le mariage ou hors mariage mais affiliés et les enfants adoptés.

Les héritiers de la première catégorie reçoivent les trois quarts de la succession, que l’on divise à part égale entre les enfants. (Art. 758-759)

• 2ème catégorie : elle est composé de trois groupes. 1. Le père et la mère du défunt

2. Le conjoint survivant

3. Les frères et sœurs du défunt : consanguins, utérins et germains

Les héritiers de la deuxième catégorie se partagent le quart restant de l’héritage, en recevant pour chaque groupe un douzième de l’héritage (art. 760).

• 3ème catégorie : elle est composé des oncles et des tantes, paternels et maternels du défunt.

Les héritiers de la troisième catégorie n’interviennent que s’il n’y a pas d’héritiers de la première et de la deuxième catégorie (art.761). Et lorsqu’il n’y a pas d’héritiers de la troisième catégorie, tout parent ou allié peut venir à la succession sous le contrôle du Tribunal de paix (art. 762).

La loi dispose que si la succession comprend des biens immeubles ou des terres, l’héritier doit introduire une requête en investiture auprès du tribunal pour obtenir le transfert de propriété (art. 807). De même, le testament au cas où il existe, doit indiquer un liquidateur, si non c’est l’aîné des héritiers qui procède à la liquidation de la succession. Le liquidateur indique ceux qui doivent venir à la succession et veille à ce que chaque héritier reçoive une part équitable (art. 797). S’il arrive qu’un héritier soit décédé avant la mort de ses parents, dans ce cas ce sont ses enfants s’il en a, qui viennent à la succession et reçoivent la part d’héritage qui lui était destinée.

Quant au conjoint survivant, il fait partie des héritiers réservataires (2ème catégorie d’héritiers), et reçoit une portion de la quotité disponible en suivant les calculs faits précédemment. Le conjoint survivant n’a que l’usufruit (art. 785) des biens suivants de son conjoint décédé : la maison qu’il habitait avec son conjoint, le terrain qu’il exploitait ou le commerce qu’il exerçait. En tant qu’usufruitier, il peut les utiliser ou les louer mais pas les vendre et à sa mort il perdra l’usufruit de ces biens.

Ces dispositions concernent les héritages d’une certaine importance, c’est-à-dire les héritages dont le montant est, d’après le législateur, supérieur ou égal à 100.000 zaïres (au moment de la promulgation de la loi en 1987), ce qui équivalait à l’époque à environ 10.000 dollars.

II.4.2.4

Les petits héritages

Quant aux petits héritages, c’est-à-dire ceux qui ne dépassent pas 100.000 z, la loi dispose qu’ils sont réservés uniquement aux enfants du défunt et à leurs descendants, à l’exclusion des héritiers de deuxième et troisième catégorie. L’usufruit demeure néanmoins en faveur du conjoint survivant (qui est un des héritiers de la 2ème catégorie). En effet si l’héritage n’est pas très important, son partage entre les différentes catégories d’héritiers, comporte le risque de réduire à rien la part de chacun des enfants. Avant sa mort, le défunt peut désigner par testament un enfant déterminé pour reprendre l’héritage. S’il ne le fait pas, c’est l’aîné des enfants qui pourra reprendre tout ou partie de la succession. Si l’aîné ne le fait pas, chacun des enfants, à son rang, pourra l’utiliser. Celui des enfants qui utilisera le droit de reprise sera obligé d’assurer les charges prévues par la coutume en faveur des autres enfants : charges d’entraide et d’entretien en faveur des moins favorisés. Celui des enfants qui usera du droit de reprise sera tenu de la faire homologuer par le Tribunal de paix dans les trois mois après l’ouverture de la succession (art 787-789).

La loi de 1987 a établi un Bureau administratif des successions (art. 813-817). Et le liquidateur de la succession pour les petits héritages a l’obligation de saisir le Bureau des Successions dans les trois mois qui suivront son entrée en fonction. Quant aux autres successions, le liquidateur pourra consulter le Bureau afin qu’il établisse un projet de liquidation de la succession. La taxe rémunératoire de la succession est de 1% de la valeur de la succession. Les contestations concernant les successions relèvent du Tribunal de paix pour les petits héritages.

Il est clair que peu de dispositions de cette loi sont appliquées, parce qu’elles sont peu connues du grand public. En effet, non seulement la loi et ses dispositions sont peu connues, mais encore les gens ne réfèrent au tribunal qu’en cas de conflit ou de litiges impossibles à régler au sein de la famille.