• Aucun résultat trouvé

Habitat et relations d’habiter à Bamako et Bobo-Dioulasso

Nous mettrons ici en perspective les résultats des meilleurs travaux d’anthropologie de l’espace habité (LE BRIS, et al., 1987) avec les résultats de nos recherches qui portaient sur la construction de l’espace de proximité (BOUJU et OUATTARA, 2002) et de ses rapports problématiques avec l’espace public (BOUJU Jacky et.al., 2004) afin de comprendre les logiques à l’œuvre aujourd’hui. En général, l’espace public se donne comme toujours accessible à tous, mais il est « soumis de l’extérieur aux règles de la séparation » (PELLEGRINO et als 1991) de ce qui l’entoure, de ce qui est clôturé et protégé, privé et communautaire. Les espaces privés se découpent dans les concessions et s’enferment dans les cours et dans les immeubles.

V.3.1 Une conception topocentrique de l!espace habité

L’organisation de l’habitat dans l’univers villageois traduisait le souci de réduire la vulnérabilité à la souillure, qui provenait d’un certain type de contacts ou de rencontres avec des personnes, des entités invisibles ou des choses impures. Cette construction sociale de l’espace habité est tellement répandue en Afrique de l’Ouest qu’elle mérite explication. Elle exprime en effet la conception topocentrique qui caractérise l’occupation du territoire dans la plupart du monde rural Ouest-Africain136. L’espace socialisé avait ainsi tendance à se distribuer de manière concentrique, et illimitée, à partir du lieu de fondation chargé de valeurs symboliques (lieux sacrés de la fondation, maisons ancestrales, autels sacrés de la terre et des ancêtres, etc.) très fortement approprié. Au fur et à mesure de l’accroissement du groupe familial, les habitants construisaient de nouveaux bâtiments et des enclos qu’ils greffaient au noyau initial. Cette conception

topocentrique de l’espace habité fondait une représentation de l’espace qui opposait radicalement « l’intérieur » socialisé (la maison, la cour ou le village) à « l’extérieur » sauvage (la brousse) conçu comme un endroit non approprié par les hommes, en libre accès et où l’on peut tout prendre et tout abandonner !

Cette conception Ouest-africaine traditionnelle137 s’oppose fortement à la conception géométrique de l’espace habité d’origine coloniale, faite de surfaces bornées en damiers et en lignes droites, qui est à la base de l’organisation spatiale des villes modernes. En effet, les opérations de lotissement instituent une démarcation rigoureuse entre les territoires privés et les espaces public et assignent aux uns et aux autres des limites inamovibles. La logique du morcellement de la concession138 en ville s’oppose au mode de production de l’habitat rural où l’absence de contrainte spatiale autorisait avec le temps l’extension des communautés familiales dans un accroissement concentrique in situ de l’habitat. Quand on observe et analyse l’espace quotidien de certains vieux quartiers de Dioulassoba à Bobo-dioulasso ou de Bozola à Bamako, la saleté, les négligences et les accumulations sauvages de rejets divers signalent depuis longtemps des désaffections et des refus de la spécialisation fonctionnelle qu’impose la ville moderne : places de marché, trottoirs, voies de circulations, espaces verts, etc.

La concession urbaine possède une matérialité et une organisation spatiale spécifiques. Pourtant, à l’époque coloniale, hormis quelques précisions concernant les matériaux, aucune loi ou réglementation précise ne fixait les modes de construction et d’agencement des concessions : la concession n’est pas définie par rapport à un modèle établi (SINOU in Le BRIS et al.,1987 : 87). C’est pourquoi, la concession ne s’est que peu à peu différenciée morphologiquement de l’habitat rural. D’une manière générale, l’espace de la cour reste agencé sur le même modèle que celui qui ordonnait l’habitat rural, L’espace socialisé s’est contracté essentiellement sur la parcelle habité, espace très protégé, quotidiennement nettoyé et où nombre d’activités sont rejetées à l’extérieur139. Quand aux activités de propreté (tas d’ordure, endroit pour déféquer, laver le linge, vanner le mil, etc.) elles sont rejetées dans des lieux précis, à la limite externe de la périphérie des habitations, dans l’espace limitrophe qui fait transition avec l’espace public.

V.3.2 L!incertitude des droits fonciers

Une des plus importantes conséquences de la rapide extension de Bamako et de Bobo- Dioulasso concerne le droit foncier.

V.3.2.1

En centre ville

Dès la période coloniale, du fait de l’augmentation rapide de la population urbaine, la demande en parcelles devient supérieure à l’offre. Nombreux sont ceux qui vendirent alors la moitié de leur parcelle140. Cette pratique était devenue si courante qu’à Bamako en 1945, à l’occasion de la deuxième opération de lotissement du quartier de Dar Salam,

137 Il convient de souligner qu’elle est parfaitement cohérente avec le mode d’agriculture itinérante sur brûlis qui était pratiqué par toutes les sociétés d’agriculteurs dans leurs mouvements de colonisation de terres cultivables.

138 D’autre part, la ville « des Blancs » laisse beaucoup de place aux rues qui sont nombreuses et larges ce qui diminue d’autant la place laissée aux parcelles d’habitation dans un système où les constructions à étage n’existent quasiment pas (SINOU, in Le BRIS et al.,1987 : 87).

139 Yveline DEVERAIN-KOUANDA (1991 : 94) a montré que la même structure d’occupation de l’espace était opératoire à Ouagadougou.

l’administration diminua de moitié la taille des nouvelles parcelles (SINOU, in Le BRIS et

al.,1987 : 77).

La valorisation monétaire du sol commençait à poser des problèmes d’héritage, comment faire la succession, entre ceux qui continuent d’habiter la cour. Certains ont avaient obtenu de quelqu’un (par transmission père-fils ou aîné-cadet, dans des échanges familiaux plus complexes, ou dans un échange clientéliste) une parcelle urbaine sans versement d’argent. Pour autant qu’il n’était pas monétarisé, ce type d’opération qui n’était pas enregistré au cadastre n’était cependant pas gratuit. L’hébergement donnait souvent lieu à d’autres contreparties. Ainsi, des artisans ou des commerçants pouvaient proposer ce genre de solution à des parents, en échange de quoi le bénéficiaire et ses proches se doivent de travailler pour leur hôte à des conditions fort désavanteuges pour eux-mêmes. Une relation de parenté ne signifie pas l’absence d’exploitation, et le logement « gratuit » est un moyen efficace de s’attacher de la main- d’œuvre (Ibid. : 78). C’est même tactique sera adoptée par un aspirant « patron » désireux d’asseoir son autorité en s’attachant la servilité de « clients » moralement dépendants (BOUJU, 2000). La présence dans le quartier de parents nouveaux venus en ville « gracieusement » hébergés ne pouvant qu’accroître sa renommée. Etant données les conditions de vie, la multiplication des dépendants ne peut qu’améliorer la situation statutaire, voire économique. Alain SINOUn’hésite pas à les comparer aux chefs de lignage d’antan :

« il n’est pas sans rappeler la figure de la grande famille noble où trônait le chef de lignage entouré de ses esclaves et ses griots. Cette image est sans doute encore forte chez les citadins qui ne sont pas, au moins imaginairement en rupture avec leur passé. » (SINOU, in

Le BRIS et al.,1987 : 78)

L’analyse du parcellaire indique l’existence de parcelles de taille encore plus réduite. Cela correspond généralement à la vente récente d’une portion de la parcelle initiale. Ceci souligne la valeur marchande du sol dans les quartiers proches du grand marché qui est ici comme ailleurs le centre économique de la ville. Les occupants de ces parcelles exigues peuvent vaquer à leurs activités sans avoir de frais de transport141. Avec le temps, l’emplacement du lieu de résidence est devenu un atout économique dans ces villes qui s’étendent à l’horizontale et qui ne possèdent pas de réseau de transport collectif. D’autre part, les nombreux citadins qui n’ont pas de travail fixe et qui vivent de petits services ou travaux occasionnels ont intérêt à rester à proximité du centre ville. Les propriétaires de concessions bien placées ont conscience de ce privilège et n’hésitent plus à les monnayer en louant des chambres ou en fractionnant leur parcelle (SINOU, in Le BRIS et al.,1987 : 78-79).

V.3.2.2

En périphérie urbaine

le fait que la zone urbanisée dépasse la ceinture des premiers villages renforce l’ambivalence du droit foncier urbain. Droit moderne d’une part selon lequel les autorités communales détiennent et attribuent le sol dans le cadre d’opérations de lotissement en principe planifiées et viabilisées; droit coutumier d’autre part pour lequel ce sont les chefs de villages ou de quartiers qui en disposent et concèdent une parcelle du sol villageois au demandeur, à des tarifs de plus en plus élevés et spéculatifs. Les prétendants à la détention d’une légitimité de gestion du domaine foncier communautaire et à son attribution en vue d’un profit privé se sont multipliés. Les quartiers périphériques de la ville

141 le coût des trajets de transport rapporté aux revenus des habitants s’avère particulièrement élevé : 7% à 8% du salaire selon Alain SINOU (1987 : 78).

ayant envahi les domaines de culture des villages voisins sont particulièrement soumis à la pluralité des droits fonciers et à la multiplicité des autorités tant « traditionnelles » que « modernes » ayant droit de regard. Enfin, pour compliquer le tout, des personnes privées sans aucune légitimité foncière de quelque sorte, mais disposant de moyens financiers et politiques pour s’en attribuer une, organisent des lotissements sauvages pour spéculer sur l’attribution des parcelles, soit par l’achat de vastes zones auprès des chefs coutumiers, soit par rachat de parcelles dans les quartiers spontanés142.

Dans ces quartiers, le découpage et l’occupation des parcelles sont parfois anarchiques, parfois en damier. Lorsque l’autorité publique finit par les lotir et les cadastrer, elle ne respecte pas le plan d’occupation informel existant et trace alors des voies dans la masse des concessions déjà construites. Les habitants des parcelles conservées voient leurs droits confirmés tandis que ceux des concessions détruites bénéficient normalement de l’attribution d’une parcelle de substitution dans une autre partie de la ville sous réserve que tous en paient les droits d’enregistrement. En général, les ventes foncières coutumières sont toujours à terme entérinées par l‘administration : ce qui explique la ruée des bamakois sur ces zones urbaines lointaines « mais au prix encore abordable et dont le caractère précaire ou illégal est finalement minimisé par cette confirmation officielle de la propriété d’une « cour », objectif de tout bamakois » (VUARIN, 2000 : 68-69). Procédures d’attribution, modes d’obtention, statut juridique et prix des parcelles varient ainsi fortement du centre à la périphérie de la ville. Cette diversité explique que ce soit dans les confins lointains et naissants de la capitale, villages, quartiers « spontanés » ou parfois lotissements officiels que des citadins de vieille souche mais bloqués dans leur accès à la propriété foncière dans le centre ancien, viennent réaliser leur aspiration à un espace propre, ou constituer une cellule familiale mieux contrôlée. Il y viennent aussi poussés par des conflits familiaux nés autour d’héritages que la polygamie paternelle embrouille, fatigués de l’entassement, de la promiscuité et des disputes entre frères, épouses ou enfants que les anciennes concessions familiales du centre entretiennent ou accentuent, toujours liées à cette même polygamie. Ces citadins de plusieurs générations quittent donc des quartiers très anciens où « une sociabilité intense a eu le temps de s’instaurer autour de lignages amplement déployés » (ibid :69) pour rejoindre ces nouveaux quartiers où ils cohabitent avec des citadins de fraîche date, dénués de parents, de relations, de protecteurs en ville, à l’étroit dans la cellule conjugale comme dans leur concession exiguë. Il n’est donc pas étonnant que les procédures et les réseaux d’entraide dans ces deux types de quartiers diffèrent. Car l’entraide est d’une façon ou d’une autre, très intimement liée au groupe de parenté ; et celui-ci est ancien et vaste au centre ville, étroit et isolé à la périphérie de la capitale.

Mais avant d’en venir aux formes de la sociabilité, il faut examiner les manières d’habiter la ville. Quelles sont les unités sociales de résidence ? quel est leur mode d’occupation spatiale ? quelles sont les formes de sociabilité qui s’établissent dans et entre ces unités de résidence ?

V.3.3 L!habitat urbain

Aujourd’hui, à Bobo-Dioulasso, au niveau des équipements des concessions, plus de la moitié (51,2 %) disposent d’un branchement électrique. 41,5 % disposent d’un branchement d’eau courante. La quasi-totalité (92,0 %) est pourvue de latrines et d’une douche raccordée ou non à un puisard. La combinaison de ces différents critères a

142 40% des propriétaires fonciers de ces quartiers n‘y résident pas ! Source : Sidiki TRAORE, 19888, « Les quartiers spontanés autour des villes sahéliennes : le cas de Bamako ». CILSS-Institut du Sahel, programme RESADOC,

permis de constituer une typologie de 4 niveaux de logement : haut standing, bon, moyen, bas (enquête GTZ-ONEA, 1993). Le rapport de l’Institut géographique du Burkina Faso (1999) opère le classement suivant de l’habitat urbain :

V.3.3.1.1 L’habitat de haut standing

5,5 % du parc des logements. On le trouve dans les zones résidentielles et les zones administratives et commerciales de faible densité (12 habitants/ha). Il est caractérisé par des habitations en ciment,avec des parcelles d’une superficie supérieure à 500 m2. On le rencontre dans les secteurs 5, 9, 10, 20, 21. Les habitations sont raccordées aux réseaux d’électricité (37 % des ménages de la ville ont l ‘électricité), d’eau potable, et disposent de fosses septiques.

V.3.3.1.2 L’habitat de bon standing

C’est le type le moins répandu (1,5 % du parc). On le trouve dans les secteurs 15 et 17. habitat en dur connecté aux réseaux, équipé de fosses septiques ou de fosses étanches. Les parcelles sont étroites.

Carré d’habitation divisé en 6 parcelles, quartier Dar Salam (Bamako) (source , SINOUin LE BRIS et al., 1987 : 100)

V.3.4 Une typologie de l!habitat à Bobo-Dioulasso

Bobo-Dioulasso est une ville soudanienne où les maisons en banco prédominent. Les zones de résidence sont divisées en « concessions » généralement composées de plusieurs maisons construites autour d’une cour centrale. Les maisons bobolaises peuvent être classées143 en trois grandes catégories selon le type d'habitat et le confort : le niveau moyen (ou encore l'habitat type) correspondant à la forme d'habitat et de confort le plus fréquent, la catégorie supérieure à la moyenne et à la catégorie inférieur à la moyenne.

V.3.4.1

La maison d'habitation type

La maison d'habitation type à Bobo se situe en zone lotie (85,1 % des cas) est construite avec les matériaux non précaires en dur ou semi-dur (55,1 % des cas) en banco amélioré ou banco simple (43 % des cas), couvertes en tôles ondulées dans 96,3 % des cas et le revêtement du sol est en ciment dans 87,6 % des cas. L'habitat-type ne bénéficie pas de mode approprié d'évacuation des ordures (seulement 38,7% sont dotés de bacs à ordures) et des eaux usées puisque celles-ci sont rejetées dans la rue à 45,3 % ; l'éclairage à la lampe est encore la forme dominante (63,4 %) et l'approvisionnement en eau courante s'effectue aux bornes fontaines (46,75 % des cas). Le statut d'occupation du logement le plus fréquent est celui de propriétaire (43,40 %) même si la proportion de locataire n'est pas négligeable. Enfin, il faut mentionner que le bois et le charbon constituent la forme dominante d'énergie de cuisine : 87,2 % des ménages les utilisent quotidiennement.

Ce modèle concerne 57,7 % des concessions. On le trouve dans les secteurs 2,3,14,6,9 et 10. C’est le type traditionnel urbain, dense qu’on trouve dans les premiers lotissements de Bobo. Le standing est moyen et la densité élevée, atteignant 300 habitants / ha (avec une moyenne de 150 habitants / ha). Les parcelles ont une surface qui varie entre 300 m2 et 500 m2 et sont équipées de courant électrique et quelques-unes sont branchées au réseau ONEA, la plupart étant à proximité d’une borne-fontaine. Les latrines traditionnelles et les fosses étanches constituent les principales installations d’assainissement domestique.

V.3.4.2

La « villa » : une catégorie supérieure à l!habitation type

Dans la catégorie supérieure à l'habitat type, on trouve la villa de luxe. Elle accumule les signes de l’habitat moderne : la tôle, le dur, la chambre, l’antichambre, la salle de bain, la terrasse, le garage et le jardin. Contrairement aux bâtiments d’une concession, la villa trône au centre du terrain et expose son luxe : béton, carrelage, ventilateurs et climatiseurs. Ses habitants appartiennent à la catégorie sociale des notables qui a les moyens de n’être pas soumise à de contraintes de place et qui investi l’espace disponible selon des modalités qui témoignent de son souci de représentativité sociale.

V.3.4.3

La catégorie inférieure à l!habitation type

La catégorie inférieure se trouve dans les quartiers « spontanés », en zone non lotie et regroupe 14,9 % des ménages. Cette dernière catégorie, avec une densité de 30 habitants/ha, regroupe un pourcentage important de logements (35,3 %) généralement situé dans les secteurs périphériques tels que les secteurs 11, 13, 15, 24 où se développe l’habitat spontané. Les habitations y sont construites avec du banco (21,7 %) sur des superficies inférieures à 300 m2. Elles sont rarement équipées d’électricité, et les résidents s’approvisionnent en eau à partir des bornes-fontaines, des revendeurs ou au puits. Le principal système d’assainissement est la latrine traditionnelle ; tandis qu’une part importante de la population continue de recourir à la défécation en plein air. 2,7 % des

143une étude ECOLOC datant de 1997 (MILLOGO, 2002 : 33) s’est appuyée sur les critères du recensement général de la population de 1996 qui permettaient de classer les ménages de Bobo.

gens ont recours aux tas d'immondices, aux fossés ou à la rue pour l'évacuation des ordures ; 44,9 % ne disposent pas de mode approprié d'évacuations des eaux usées et a recours pour ce faire à la rue ou l'intérieur de la cour dans 63 % des cas !

Les quartiers défavorisés constituent plus de 70 % de la superficie de Bobo-Dioulasso. Ces zones défavorisées concentrent aussi la majorité de la population qui n’a pas accès aux services sanitaires et sociaux et qui est en proie au chômage, au sous-emploi, à l’analphabétisme et à la déscolarisation. Pourtant, selon les projections de l’OMS, dans trois ans, les deux-tiers de la population du pays sera urbaine. La morphologie des quartiers périphériques de la capitale montre une imbrication dynamique de l’espace villageois, des lotissements récents et des installations dites « spontanées ». Ces quartiers ont pour particularité d’être peuplés de familles restreintes et isolées dont la propriété foncière incertaine renforce l’instabilité résidentielle. La pauvreté a tendance à se concentrer créant ainsi des poches d’habitat dans lesquelles les citadins sont incapables de se procurer le moindre élément de confort, ni aucune infrastructure, et surtout n’ont pas les moyens d’évacuer les ordures. Les égouts à ciel ouvert se remplissent d’immondices et ne suffisent pas à drainer les eaux usées qui stagnent à côté des habitations. Ce contexte général de sous développement et cette situation d’insécurité économique des ménages conduisent à des stratégies de renforcement du mode de vie communautaires : les fils, même mariés, continuent à cohabiter avec leurs parents. Plusieurs ménages peuvent cohabiter dans une même concession (MILLOGO, 2002 : 84- 85). Cela ne favorise ni l’initiative individuelle ni collective144 dans le cadre de l’hygiène. Le nombre de personnes vivant dans la concession peut aller jusqu’à trente qui partagent les mêmes toilettes et produisent beaucoup d’eaux usées avec des ouvrages défaillants. L’analyse de l’espace habité permet de lire une certaine évolution des rapports sociaux. Selon Alain SINOU (1987), il semble que dans les modes d’habiter la ville de Bamako deux tendances inverses se dégagent. En effet, les espaces urbains technocratiquement programmés à l’européenne se « démodélisent » sous l’effet du détournement des espaces domestiques à d’autres usages que ceux prévus par le modèle architectural initial. Inversement, les formes spatiales produites de manière autonome dans les zones d’habitat « spontané » semblent se « régulariser » pour ressembler à ces mêmes modèles. Les citadins sont dans des rapports très différents avec la ville : les notables et leurs dépendants déploient leurs activités et leurs habitations à l’échelle de la ville tout entière et même du pays. Les classes moyennes, petits propriétaires et locataires fixés dans un lieu par une activité, ont une représentation de la ville beaucoup plus partielle. Ils entretiennent une sociabilité de quartier (grins) car leurs réseaux de sociabilité se constituent autour des relations de voisinage et de proximité. Les échanges économiques avec la parenté restée au village leur fournit une partie de l’alimentation.