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Conflits dans les familles à propos des transactions de construction/bail

Des conflits surgissent de manière récurrente à propos des contrats de construction/bail lorsqu’il s’agit de prendre la décision de déloger toute ou une partie des résidents de la famille, selon les termes du contrat. C’est une décision comme on peut le voir qui insécurise, une partie de la famille.

La famille Makasi dont nous présentons le conflit ici, est une grande famille avec un nombre très élevé d’ayants droits au bien commun. Le premier attributaire de la parcelle, le « patriarche », Monsieur Makasi, s’est établi à Kinshasa depuis 1907. Le nombre de ses descendants est important. Ils forment aujourd’hui une vaste famille étendue. Les différents segments de cette famille étendue se sont déployés dans la ville à partir de la concession familiale située dans les Anciennes cités. Mais dans le cas de cette famille, on voit une tension, non seulement entre les résidents et les non résidents comme on l’a dit, mais aussi une tension, entre les parents qui ont réussi et ceux qui n’ont pas réussi.

La première génération est celle de l’ascendant principal de cette famille étendue. Makasi est arrivé à Kinshasa en 1907, comme jeune manœuvre. Il y a travaillé pendant six ans et a d’abord résidé dans un camp pour travailleurs, avant que son épouse Madame Kassa, venue du village, ne le rejoigne en 1913. L’Administration coloniale lui a attribué une parcelle dans la Cité indigène en 1913, et Oscar, le premier enfant du couple est également né la même année. Puis sont nés successivement Marguerite en 1917, Jean- Baptiste en 1922, Thérèse en 1924, et Georges en 1929.

La deuxième génération est celle des enfants de Makasi. Contrairement à leurs parents, eux ils ont été scolarisés, les filles comme les garçons. Oscar, le fils aîné après ses études a travaillé comme ouvrier qualifié. Il s’est marié en 1938 et a construit une petite maison dans la cour familiale. Marguerite le deuxième enfant de Makasi s’est mariée en 1935. Elle a quitté la parcelle familiale et s’est installée dans la parcelle de son mari. La parcelle de l’époux de Marguerite est située dans les Anciennes cités, mais dans un quartier plus éloigné que celui où se situe la grande parcelle familiale de son père. Jean-Baptiste, lui, a travaillé comme enseignant/instituteur après ses études. Il a reçu une parcelle dans les

Anciennes cités en 1943. Il n’a pas quitté immédiatement la parcelle familiale, mais y a

fait construire une maison grâce au Fonds d’Avance. Georges a reçu une parcelle dans les Nouvelles cités en 1954. Thérèse s’est d’abord mariée puis en rupture de ban, elle est rentrée dans la parcelle familiale. Elle ne s’est plus mariée par la suite, mais elle a eu des enfants avec des hommes différents. Elle est donc restée dans la parcelle familiale.

La famille Makasi Les Héritiers de

Makasi Leurs enfants Leurs enfants petits Leurs arrières petits enfants

Marguerite 6 21 60

Jean-Baptiste 5 30 71

Thérèse 9 44 84

Georges 3 13 38

Total 28 132 305

Cependant, il faut y ajouter les descendants des « cousins » et autres parents que Makasi a hébergés dans sa parcelle. La troisième génération est celle des petits enfants de Makasi et de ses collatéraux. Quoique de même génération, ils accusent une disparité socio-économique très élevée.

Dans la parcelle de la « grande famille » résident principalement les descendants d’Oscar le fils aîné et les descendants de Thérèse, la sœur en rupture de ban, qui constituent la portion de la famille ayant le moins de réussite socioéconomique. Quelques parents, non descendants directement de Makasi, mais dont les ascendants ont été hébergés par lui, y résident aussi. Mais la maison du Fonds d’Avance est occupée par Matthieu, l’un des fils de Jean-Baptiste qui l’a fait construire.

C’est le fils aîné d’Oscar, Paul qui fait office de Chef de parcelle. A l’époque où Oscar, était chef de famille, il avait signé un contrat de construction bail avec un commerçant malien qui avait construit trois boutiques. Comme il était d’une part, l’aîné de la famille et d’autre part, le garçon qui avait le moins des moyens financiers, de son vivant ses frères ne lui demandaient pas des comptes sur la gestion et le « partage » de cette rente immobilière. Ils disaient simplement que cela servait à supporter des frais collectifs et à subvenir à certains besoins de la « grande famille ». Or sa sœur Thérèse et les enfants de celle-ci boudaient en silence la gestion de la rente. Paul, le fils d’Oscar est devenu le Chef de la parcelle de la « grande famille », à l’époque où, Monsieur Abdallah proposaient des transactions de construction/bail aux familles. Il a donc été abordé par un intermédiaire d’Abdallah pour construire des nouvelles boutiques devant la parcelle.

Après s’être entretenu avec Monsieur Abdallah, il s’avérait qu’il avait besoin de toute la parcelle. Il fallait détruire tous les bâtiments existants, pour construire les boutiques telles que le voulait Monsieur Abdallah. Trouvant que la signature d’un tel contrat soulèverait des problèmes dans une famille déjà minée, par des conflits larvés, Paul trouva mieux de décliner l’offre de Monsieur Abdallah.

Mais les intermédiaires/commissionnaires de Monsieur Abdallah ne se découragèrent pas pour autant. Ils attaquèrent à nouveau, en passant par l’un des fils de Thérèse, Pierre, de qui ils apprirent l’existence de Georges, le dernier fils survivant de Monsieur Makasi. Pierre, comme ses frères et sa mère Thérèse de son vivant, en voulaient à Paul, et à Oscar son père avant lui. Ils soupçonnaient qu’ils avaient respectivement abusé de leurs positions de Chef de parcelle, pour profiter bien plus que les autres de la « rente » et de ne pas le partager équitablement. Pierre trouvait là un moyen de se venger de Paul.

Les intermédiaires lui promirent un certain pourcentage sur leurs commissions, s’ils les mettaient en contact avec Georges, qui s’avérait finalement être le véritable Chef de famille, et la personne qui pouvait vraisemblablement engager la famille. On est ici dans un cas où celui qui assume les fonctions de responsable de la parcelle de la « grande famille » n’est pas en même temps le Chef de famille, ce dernier résident ailleurs.

Pierre, conduisit les intermédiaires de Monsieur Abdallah auprès de Georges. Informé de la requête, Georges convoqua une réunion de la « grande famille » afin de discuter sur la proposition de transaction. Ceux qui résidaient dans la parcelle étaient contre une proposition de contrat exigeant leur déménagement, ceux qui n’y résidaient, acceptèrent la proposition. Il était difficile de trancher, mais après un vote, ceux qui étaient pour la proposition de contrat l’emportèrent.

Georges signa le contrat avec Monsieur Abdallah au nom de la famille, malgré le mécontentement de certains résidents. La famille reçut une somme de 30.000 dollars devant servir à loger temporairement ailleurs les résidents. Le partage de la somme posa problème. Georges proposa de remettre une somme égale à chaque ménage de résident pour qu’ils assurent leur logement ailleurs.

Mais Matthieu, le fils de Jean-Baptiste, ne l’entendait pas de cette oreille. Il dit que la maison du Fonds d’Avance construite par son père, et contribuant à l’augmentation de la valeur foncière de la parcelle, valait à elle seule, la moitié de cette somme. Il n’était pas question pour lui, de faire un partage équitable entre des gens dont l’investissement immobilier dans la parcelle n’était pas égal. Si Monsieur Abdallah voulait détruire une telle maison et construire en lieu et place des boutiques, il devait d’abord lui rembourser à lui et à ses frères la valeur immobilière de cette maison. Sinon, lors de la construction des nouveaux en étages appartements proposés par Monsieur Abdallah, il faudra reproduire, l’ordre d’importance des logements. Car il ne serait pas question, qu’à l’arrivée on attribue des appartements de standing égal à des personnes, qui au départ étaient logés dans des bâtiments à valeur différente.

Quant à certains résidents de la parcelle, ils ont dit qu’ils n’allaient pas déménager et ont refusé de prendre l’argent que Georges leur proposait. Ils estiment que la décision de déménager les résidents et de détruire les maisons, insécurisait toute une partie des

résidents de la parcelle. D’ailleurs, la somme, proposée par ménage, ne suffirait pas à

couvrir des frais de loyer jusqu’au moment où Monsieur Abdallah construirait les fameux appartements.

De même, ils ont estimé que le déménagement forçait à la dispersion des personnes qui étaient habituées à la vie collective, avec ses inconvénients et ses avantages. Les

résidents trouvaient leur « sécurité » journalière dans le vivre ensemble. La vie collective

leur permettait de se soutenir dans les problèmes du quotidien. Il est sûr qu’ils ne trouveraient pas un tel soutien en se dispersant comme locataires ailleurs.

Mais malgré l’obstination de certains résidents à ne pas déménager, ils furent obligés de le faire, car Monsieur Abdallah avait emmené son entrepreneur pour commencer les travaux. Le déménagement final a eu lieu au milieu d’insultes mutuelles. La famille Makasi est aujourd’hui déchirée en plusieurs factions qui ne s’adressent plus la parole et qui s’en veulent à mort.

IV.8.2 Partager la rente : la famille Matata

En ce qui concerne la famille Matata, c’est le partage de la rente, qui est à la base du conflit qui s’est soldé par la mort de Bernard responsable de la parcelle, à qui les « mécontents » de la famille aurait jeté un mauvais sort. Ce cas illustre une guerre de famille entre des descendants classificatoires d’un propriétaire de parcelle qui n’a pas eu d’enfant et donc pas de descendant direct.

Monsieur Matata est arrivé à Léopoldville en 1934, son épouse restée au village, l’a rejoint deux ans plus tard en 1936. En 1940, il a renvoyé cette épouse au village parce qu’au bout de quatre années de vie commune, celle-ci ne concevait pas d’enfant. Il s’est

remarié en 1941, avec une autre femme choisie pour lui au village, par une de ses cousines. Mais malheureusement sa nouvelle épouse n’a pas non plus conçu d’enfant. Plusieurs membres de sa parentèle lui ont alors confié des enfants. En 1945, on lui a envoyé du village deux neveux utérins dont l’un (Bernard) est le fils d’une de ses cousines germaines et l’autre (Pascal) est le fils de sa sœur aînée. Deux années plus tard en 1947, il a reçu deux garçons, des neveux agnatiques, dont l’un (Jacob) est le fils de son frère aîné, et l’autre (Pierre) le fils d’un de ses frères cadets. L’année suivante, en 1948, il a reçu deux nièces dont l’une (Alice) est la fille de son frère aîné, et l’autre (Claire) de sa sœur cadette, et en 1949, un neveu (Placide) et une nièce (Marie-Louise) de son épouse.

Tableau : Les Neveux et nièces de Matata et de son épouse

N° Noms Statut Ascendant(e)

1 Bernard Neveu utérin Cousine germaine de Matata

2 Pascal Neveu utérin Sœur aînée de Matata

3 Jacob Neveu agnatique Frère aîné de Matata

4 Pierre Neveu agnatique Frère cadet de Matata

5 Alice Nièce agnatique Frère aîné de Matata

6 Claire Nièce utérine Sœur cadette de Matata

7 Placide Neveu par alliance Sœur cadette de son épouse

8 Marie-Louise Nièce par alliance Sœur aînée de son épouse

En fait Matata, était issu d’une famille de cinq enfants dont il était le troisième. Il avait un frère et une sœur aînés, ainsi qu’un frère et une sœur cadets. Chacun d’entre eux avait envoyé à Matata un de ses enfants. Mais son frère aîné avait envoyé quant à lui, deux de ses enfants : un garçon (Jacob) et une fille (Alice). Cependant, lorsqu’il était encore enfant au village, Matata avait été particulièrement aimé et choyé par une de ses aînées, une de ses cousines germaines, qui avait grandi dans le foyer des parents de Matata. A cause de cette relation d’affection, Matata avait demandé à sa cousine de lui confier son fils aîné Bernard et de l’envoyer à Léopoldville, pour qu’il puisse s’occuper de l’éducation de celui-ci.

Il semble que des huit enfants qui avaient été confiés à Matata et à son épouse, seul Bernard, le fils de sa cousine germaine, avait été spécifiquement demandé par Matata et par son épouse. Les autres enfants leur avaient plutôt été confiés sur proposition ou sur demande de leurs parents, notamment pour qu’ils viennent suivre une scolarité à Léopoldville. C’est ainsi que Bernard avait une place privilégiée dans la maison de Matata, par rapport aux autres neveux et nièces. De même, l’épouse de Matata l’aimait aussi beaucoup, parce que c’est la maman de Bernard qui l’avait choisie comme épouse pour Matata.

Par ailleurs, Bernard étant d’une part le plus âgé de tous les neveux et nièces de Matata et d’autre part, ayant été un très bon élève à l’école, il était particulièrement apprécié par son oncle et par sa tante. Ce qui faisait de lui, une sorte de successeur “naturel” de son oncle et de sa tante. Ils avaient ainsi tenus à le garder auprès d’eux, à la fin de sa scolarité et après qu’il ait eu un emploi de commis de bureau dans l’Administration coloniale. Mais Bernard avait acquis une parcelle dans les Nouvelles cités. Il n’était resté chez son oncle que parce celui-ci et sa femme souhaitaient le garder auprès d’eux. Cette différence de traitement entre Bernard et ses cousins suscitait déjà de la jalousie à l’époque, d’autant plus qu’il avait un emploi mieux rémunéré que celui de ses autres cousins, qui n’ayant pas eu de succès scolaire comme Matata, travaillaient comme ouvriers ou comme manœuvres.

Après la mort de son oncle, Bernard devint le Chef de la famille et le Chef de la parcelle, selon le vœu de son oncle. Dans les années 1980, il signa des contrats de construction/bail avec des commerçants ouest africains. Les cousins de Bernard lui reprochaient de ne pas partager la « rente » et de la « bouffer » seul avec sa femme et ses enfants, comme s’il s’agissait de son bien personnel. Ils auraient souhaité que Bernard leur dise combien les boutiques rapportaient chaque mois et qu’il y ait un certain partage.

Au début des années 2000, Bernard a été contacté par d’autres commerçants pour une transaction de construction/bail demandant que la moitié des habitants de la parcelle puisse déménager. Trouvant l’offre alléchante, il signa le contrat d’abord, puis informa la parentèle par la suite. C’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Non seulement Bernard bouffait la rente seul, maintenant ils se permettait de mettre dehors une partie de la famille, d’une parcelle qui était un bien collectif ! Lors d’une réunion, la parentèle lui fit comprendre qu’il avait dépassé les limites. Que la nouvelle était arrivée au village, que Bernard voulait chasser une partie de la famille de la parcelle collective. Les gens du village le priaient de revenir sur les clauses de son contrat, si non, il verrait lui-même ce qui allait lui arriver.

Bernard s’obstina. Mais quelques temps après, il tomba malade, et mourut au bout de quelques jours seulement. Durant les funérailles, on racontait que Bernard avait été « foudroyé » par les gens du village, parce qu’ils voulaient chasser les gens de la parcelle familiale. Juste après les funérailles, les enfants de Bernard déménagèrent de la parcelle craignant de subir eux aussi les foudres de la famille. Ils en veulent à leurs oncles et tantes, qu’ils accusent d’être responsables de la mort de leur père, pour récupérer la gestion de la parcelle et de la rente. Ce sont effectivement les cousins et cousines de Bernard qui gèrent aujourd’hui la parcelle de la « grande famille ».