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Les contrats de construction/bail : Echoppes et boutiques

Nous avons indiqué précédemment que le phénomène de construction des échoppes et boutiques dans le quartier le plus proche du Marché central n’est pas un phénomène nouveau. Il date de l’époque coloniale, dès lors qu’en 1943, le Marché central fut placé à proximité de ce quartier.

Avant d’examiner la pratique de constructions/locations de boutiques et échoppes dans les Anciennes cités, nous allons d’abord décrire les différents types d’abri qu’offrent les propriétaires pour le commerce ou l’artisanat en partant de l’exemple du quartier Madimba. Par la suite, nous nous pencherons sur l’impact de ces constructions/locations de boutiques sur la vie des familles propriétaires et sur le lien social familial, en étudiant quelques cas de conflits autour de la rente immobilière.

Plusieurs cas de figures se présentent en ce qui concerne ces emplacements pour boutiques et échoppes au quartier Madimba. Ces locaux qui se situent sur la

bordure/avant ou à l’intérieur des parcelles, peuvent aller de l’abri le plus sommaire pour un artisan à un complexe de boutiques en dur avec vitrines. Entre les deux, il existe plusieurs sortes d’abris pour les activités des commerçants et des artisans : le simple étal en bois semblable à celui du marché, le hangar en charpente de bois hâtivement monté, l’échoppe en banco, en planches de bois ou en tôles, etc.

IV.7.1.1Les boutiques en dur

Les boutiques en dur, construits dans un style moderne avec des solides portails métalliques sont ceux qu’on trouve le plus fréquemment sur les bordures des parcelles à Madimba. Ces types de boutiques sont généralement utilisés par des commerçants étrangers, qui proviennent en général de l’Afrique occidentale, du Moyen-Orient, et de l’Asie centrale et orientale. Mais on trouve aussi des commerçants de nationalité congolaise occupant ce type de magasin (généralement les Nandé du Kivu ou les Luba du Kasaï).

IV.7.1.2Les abris pour artisans

Les artisans occupent selon la spécificité de leur métier soit une boutique (bijoutiers ou tailleurs), soit un simple hangar (menuisiers ou tailleurs). Il arrive qu’ils travaillent en plein air et en pleine rue (cas des forgerons/ajusteurs). Les artisans bijoutiers ont des ateliers/boutiques en bordure des parcelles, plus généralement sur des angles de rue. Mais il arrive que l’atelier soit dissocié de la boutique. Dans ce cas la boutique d’exposition/vente des bijoux se situe en bordure de la parcelle, tandis que l’atelier de fabrication ou de réparation des bijoux se trouve à l’intérieur. Les tailleurs occupent selon l’importance de leurs activités, plusieurs types d’abris. Cet abri peut être selon le cas, soit des boutiques en bordure des parcelles, soit des hangars en bordure des parcelles, mais aussi à l’intérieur des parcelles. Les ajusteurs/forgerons n’ont généralement pas d’abri, ils occupent une partie de la rue devant une parcelle et c’est là où ils travaillent et exposent leurs produits. Les menuisiers occupent généralement des hangars à l’intérieur des parcelles.

IV.7.1.3Les petits entrepôts

Les commerçants A l’intérieur des parcelles, il y a des abris qui servent d’entrepôts pour certains types d’artisans, tels les tailleurs ou les menuisiers, mais. Les commerçants du Marché central entreposent leurs marchandises dans ces abris. Pour les artisans, il s’agit parfois des abris sommaires. On peut trouver au devant d’une parcelle une combinaison de ces différents types d’abri. Mais, comment les commerçants et les artisans obtiennent- ils ces emplacements pour leurs activités?

IV.7.2 Les transactions à construction/bail

La présence d’abris pour activités commerciales et artisanales dans le quartier proche du Marché, est d’abord le résultat de l’action des commerçants et artisans, plutôt qu’une initiative des familles pour gagner de l’argent. Ce sont eux, qui dès le départ, venaient solliciter les familles pour obtenir des emplacements dans les parcelles situées dans les zones les plus proches du Marché. Les familles propriétaires ne disposaient pas en général de moyens pour construire ces abris, et laissaient donc le soin au commerçant ou artisan qui sollicitait un emplacement, de le construire lui-même.

A l’époque coloniale et durant les années qui ont suivi l’Indépendance, ces boutiques étaient généralement construits en matériau non durables : des abris sommaires construits en banco, le simple étal en bois, le hangar en charpente de bois hâtivement monté, l’échoppe en banco, en planches de bois ou en tôles, etc. Tant que la construction de

tels abris, ne demandait pas d’importants investissements et une immobilisation importante de fonds, les transactions entre les familles et les commerçants et artisans preneurs, étaient sommaires. En général, l’accord était oral.

La situation a commencé à devenir un peu compliquée quand les commerçants ont émis le souhait de construire des boutiques en matériau durable vers les années 1970. Il fallait alors que les familles fassent une transaction spécifique avec le commerçant. C’est cette transaction que nous appelons le contrat de construction/bail. De quoi s’agit-il ?

C’est un accord entre un individu ou une famille avec un commerçant, selon lequel, la famille accepte que le commerçant construise à ses propres frais un bâtiment qui servira de local pour ses activités. En retour, la famille s’engage à rembourser les frais dépensés par le commerçant, à travers des mensualités qui, après un certain nombre d’années, recouvreront l’ensemble de la somme due au commerçant.

Plus concrètement, les deux parties en transaction, à l’aide ou non des spécialistes, évaluent le coût du bâtiment à construire, décident d’un commun accord d’un montant mensuel de location du bâtiment, et calculent ensuite au bout de combien de mensualités, la somme due au commerçant sera complètement recouvrée. A la fin de cette période, l’individu ou la famille devient propriétaire exclusif du bâtiment. Dans quelques cas, certaines familles ont laissé le commerçant occuper gratuitement le bâtiment afin que la dette soit rapidement épongée.

Mais dans la plupart des cas, les deux parties s’arrangent pour fixer un pourcentage de la mensualité de location que le commerçant devra tout de même payer au propriétaire chaque mois, et le reste de la mensualité constituant le remboursement mensuel de la dette. On voit bien qu’avec cette formule, la dette dure plus longtemps qu’avec la formule précédente. Mais c’est la formule qui est la plus adoptée. Elle a l’avantage de donner aux familles la possibilité d’avoir de l’argent chaque mois, et de ne pas attendre le remboursement total de la dette pour jouir de la rente immobilière.

Ces contrats de construction/bail pour les boutiques qui ont commencé à fleurir dans le quartier Madimba, dès les années 1970, ont été quelque peu calqués sur le modèle du Fonds d’Avance dont nous avons parlé précédemment, et que les anciens kinois connaissent bien. En effet, c’est sur ce modèle de contrat qu’ont été construites certaines maisons dans les Anciennes cités, mais surtout les maisons dans les Nouvelles cités et les

Cités planifiées. Pour rappel, le Fonds d’Avance mettait à la disposition des Africains, sans

intérêt, le capital nécessaire à la construction de maisons en matériaux durables. Les plan et devis de la maison devaient être approuvés par le Service des Travaux Publics de la ville, qui avait également le devoir de surveiller les travaux de construction. Une fois que la maison était réceptionnée, l’Administration coloniale payait l’entrepreneur et le bénéficiaire remboursait l’Administration en 84 mensualités, soit sept ans. Plusieurs maisons à l’époque coloniale ont été construites en suivant ces modalités.

Les contrats de construction/bail pour boutiques se rapprochent donc de ce modèle. Dans les années 1970, quelques familles propriétaires, faisaient appel aux services de l’Hôtel de Ville, lors de la négociation et de la signature de ces contrats. Mais beaucoup ne le faisaient pas.

La différence se situe au niveau de l’importance des investissements consentis par les commerçants pour construire leurs boutiques. Dans les années, 1970, 1980 et 1990, les boutiques étaient construites, soit par des négociants libanais, soit par des négociants ouest africains. Les premiers construisaient des boutiques qui engageaient beaucoup plus d’investissements que les seconds. D’après les informateurs, on peut observer très

facilement la différence dans le style des bâtiments construits par ces deux groupes des commerçants. Les commerçants libanais avaient tendance à proposer et à construire des bâtiments dans un style plus moderne, ayant la possibilité d’abriter un ou plusieurs étages. Les commerçants ouest africains se contentaient de construire des petits bâtiments. Aussi, les commerçants libanais, qui investissaient plus d’argent pour construire leurs boutiques, exigeaient que les contrats soient notariés, tandis que les contrats signés avec les commerçants ouest africains, étaient généralement basés sur la confiance mutuelle. Jusque vers le milieu des années 1990, il n’y avait de prolifération des boutiques comme on l’observe actuellement partout dans le quartier Madimba. Les boutiques étaient concentrées dans des endroits particuliers. Jusque là, les commerçants choisissaient stratégiquement, les emplacements pour leurs boutiques : parcelles situées aux angles de rue, parcelles situées sur les axes de desserte asphaltées, parcelles situées sur les rues asphaltées (comme la rue Kato, Rwakadingi, ou Itaga), parcelles situées sur les rues les plus proches du marché, etc. Si les commerçants libanais montraient une préférence pour les emplacements les plus proches du marché, les commerçants ouest africains situaient leurs boutiques un peu plus à l’intérieur du quartier, mais occupaient généralement les parcelles situées sur les axes de pénétration et de desserte.

Mais vers la fin des années 1990 dans la vague du mouvement de la mondialisation, il y a eu une vague de déferlement des commerçants étrangers, mais aussi des produits en provenance du Moyen Orient et du Sud Est asiatique 0 Kinshasa. Alors la demande en boutiques, s’est faîte plus forte. Les familles se sont vues sollicitées de manière pressante par les commerçants pour obtenir des emplacements, quelle que soit la situation géographique de la parcelle.

Alors, les transactions proposées par les commerçants cette fois-ci semblent un peu différentes des précédentes, les commerçants ayant besoin de plus de boutiques, mais aussi de plus d’espaces. Ce sont ces nouveaux contrats qui provoquent le plus de problèmes au sein des familles.

IV.7.3 Les nouvelles transactions et leurs impacts

Vers la fin des années 1990, Mr Abdallah88, un homme d’affaires originaire du Liban, résidant à Kinshasa depuis une trentaine d’années, entreprenait des négociations avec les familles propriétaires au quartier Madimba pour obtenir la construction des nouvelles sortes de boutiques dans leurs parcelles. D’aucuns étaient loin de s’imaginer que la construction de ces nouvelles boutiques allait accélérer un processus de transformation de ce milieu de vie et modifierait de manière irréversible le paysage et la vie du quartier. D’ailleurs, comment aurait-on pu s’en douter ? Il ne s’agissait pas au fond de quelque chose de nouveau. En effet, Monsieur Abdallah fait partie de ces négociants libanais ayant signé dans les années 1970 et 1980 des contrats avec des familles pour construire des boutiques dans leurs parcelles. Qu’est-ce qui est alors nouveau ?

D’abord, il y a des éléments du contexte qui ont fortement évolué. La construction des ces nouvelles boutiques intervient vers de la fin des années 1990 et le début des années 2000, durant une période qui se caractérise par une situation socioéconomique, mais aussi une situation politique, tant au niveau national qu’internationale qui a fortement évolué par rapport aux périodes précédentes. Si sur le plan international, on observe des transformations globales, caractérisées par le développement accéléré du commerce

88 Nous utilisons ici la clause de la confidentialité, et les noms proposés dans ce rapport de recherche, ne sont pas les vrais noms des personnages.

international, sur le plan national, c’est une période où la crise socioéconomique s’aggrave et où le chômage bat des records. La rente immobilière que produit la parcelle de la « grande famille », si elle était parfois négligée par certains membres de la « grande famille » dans le passé, qui avaient d’autres moyens de gagner leur vie, cette rente focalise aujourd’hui l’attention de tout le monde.

Ensuite, les commerçants demandent beaucoup plus d’espaces que dans le passé, pour pouvoir construire plusieurs boutiques à la fois ou construire des boutiques de plus grande dimension. Pour obtenir les espaces dont ils ont besoin, ils proposent quelques fois à tous les résidents d’une parcelle ou à une partie des résidents de quitter temporairement la parcelle –ce qui ne s’était jamais fait dans le passé. Certains commerçants proposent même des plans de construction consistant à occuper toute la surface de la parcelle par des boutiques, qui occuperaient ainsi le rez-de-chaussée d’un immeuble, quitte à construire par la suite à l’étage ou aux étages, des appartements pour les résidents.

Pour cela, Monsieur Abdallah, propose une certaine somme d’argent aux familles, variant entre 15.000 et 50.000 dollars américains, pour leur permettre de se loger temporairement ailleurs. Et il promet de construire ensuite des appartements aux étages des futures boutiques et reloger la famille.

Ce qui se passe en réalité, c’est qu’il y a un afflux des commerçants asiatiques, indiens, pakistanais, chinois et sud coréens, qui sont très demandeurs en boutiques, et qui voudraient bien obtenir des emplacements pour des boutiques dans le quartier proche du Marché. Ces commerçants ne s’adressent pas aux familles, mais à Monsieur Abdallah. Ce dernier qui vit à Kinshasa depuis une trentaine d’années connaît bien la ville et ses mœurs, et tous ses rouages juridiques et politiques. En plus, il connaît bien le quartier et certaines familles, étant donné qu’il avait la pratique des transactions de construction/bail effectuées avec quelques familles depuis les années 1970. En plus, Monsieur Abdallah comprend et parle la langue locale, qui est le lingala.

Monsieur Abdallah devient donc une sorte d’intermédiaire immobilier ou une sorte d’agence immobilière. Il signe des contrats de construction/bail avec les familles. Il construit des boutiques dans les parcelles. Les commerçants asiatiques louent ces boutiques auprès de Monsieur Abdallah. Monsieur Abdallah bénéficie de la rente provenant de toutes ces boutiques, mais laisse la famille encaisser le loyer d’une seule boutique. Et au bout d’un certain nombre d’années, les bâtiments peuvent revenir exclusivement à la famille.

Cependant, ces nouvelles transactions posent problème dans les familles, parce qu’elles demandent qu’une partie ou la totalité des résidents de la parcelle puisse déménager, afin de pouvoir construire plusieurs boutiques de grande dimension. Ensuite, la somme que Monsieur Abdallah octroie aux familles pour se loger temporairement ailleurs pose des problèmes de répartition dans la famille.

En effet, faire déménager toute une parcelle de la « grande famille » avec ses multiples

résidents pour les reloger ailleurs, temporairement ou définitivement, entraîne une

redéfinition des rôles et des enjeux que Mr Abdallah et ses multiples intermédiaires/commissionnaires, semblent loin de s’imaginer, lorsqu’ils proposent ce genre de transactions aux familles. Il s’agit en effet d’une redéfinition de la carte de pouvoir, d’une remise en question des avantages et des inconvénients acquis. C’est une façon de « réveiller le mal qui dort », si on puit se permettre l’expression. C’est réveiller toutes les rancoeurs, toutes les jalousies, toutes les rancunes qui dorment.

Par ailleurs, se proposer de détruire tous les bâtiments situés dans une parcelle de la « grande famille », bâtiments qui ont été construits à des époques différentes, par des personnes différentes, avec des matériaux différents, ayant chacun une valeur immobilière différente, c’est créer des problèmes auxquels, Monsieur Abdallah et ses intermédiaires ne pensent pas a priori.

IV.8

Conflits dans les familles à propos des transactions de construction/bail