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Les Parcelles familiales et la question de la rente

Ces parcelles des quartiers anciens ont aujourd’hui une valeur foncière parmi les plus élevée des quartiers populaires à Kinshasa, à cause de leur situation géographique stratégique au centre de la ville. Pourtant, ces parcelles à l’origine n’ont rien coûté à leurs propriétaires. Elles furent attribuées gratuitement à leurs premiers propriétaires par l’Administration coloniale l’époque coloniale. En effet, les travailleurs africains qui ont été les bénéficiaires des opérations de lotissement de la Cité indigène dès les années 1910, ont reçu les parcelles gratuitement. Il faut dire qu’il n’était pas difficile d’obtenir une parcelle dans cette Cité, dès lors que le travailleur remplissait les conditions énoncées ci- dessus. Certains travailleurs purent d’ailleurs bénéficier de plusieurs lots et y installèrent d’autres membres de leur parentèle qui ne remplissaient pas les conditions pour les obtenir directement de l’Administration coloniale, comme le témoigne cette informatrice.

« Notre grand-père travaillait comme cuisinier d’un Blanc à l’époque où on avait fait le premier lotissement de la Cité indigène vers 1911. Il nous a raconté que quelques années après ce premier lotissement, on avait dû repousser les frontières de la Cité indigène vers le Sud, parce qu’on voulait agrandir la ville européenne. A l’occasion de cette nouvelle opération de lotissement, on redistribua à nouveau les parcelles aux travailleurs Africains. Mon grand-père pût alors obtenir deux autres parcelles en plus de la parcelle principale. Tandis que lui et son épouse occupaient la parcelle principale, ils installèrent dans l’une des

parcelles un membre de sa propre parentèle et dans l’autre un membre de la parentèle de son épouse. Mais ce qui arriva plusieurs années après, c’est que l’un et l’autre vendirent ces parcelles en quittant Kinshasa pour rentrer aux villages, sans en informer mes grands- parents. C’est ainsi que mes grands-parents ont perdu les deux autres parcelles ». (K.N., entretien 2004)

Certains travailleurs africains purent bénéficier de plusieurs parcelles, comme le grand- père de cette informatrice. L’Administration coloniale française, semble avoir procédé de même dans l’attribution des premières parcelles dans ses villes coloniales, selon ce que rapporte Alain SINOU (1987 : 79). En effet, elle semble avoir favorisé les Africains dont elle pouvait s’attacher les services en leur octroyant généreusement une parcelle supplémentaire, alors que théoriquement elle ne délivrait qu’une seule parcelle par famille. Certains Africains purent bénéficier de plus d’une parcelle. C’est ainsi selon lui, que ce principe d’affectation gratuite de parcelles pendant la colonisation à l’apparence égalitaire a concouru à la production d’une notabilité nouvelle en ville composée notamment de propriétaires fonctionnaires. Cependant, cette situation ayant été perçue par l’ensemble de la population urbaine comme un moyen d’enrichissement, a conduit tout le monde à pratiquer la spéculation foncière.

A Kinshasa, Emmanuel CAPELLE (1947 :40) rapporte l’existence d’un marché noir des parcelles durant les années de la crise du logement, après la deuxième guerre mondiale. En effet, il semble que les africains se vendaient entre eux, si pas des parcelles, au moins les constructions qui y sont érigées, à des prix fortement surfaits. La cession du droit d’occupation était faîte moyennant un supplément, qui rappelait selon CAPELLE, ce qu’à Paris, au plus fort de la crise de logement, était appelé, le pas de la porte.

IV.6.2 De la résidence lignagère à la rente immobilière

Même si les parcelles des Anciennes cités furent, à l’origine, conçues et organisées par leurs premiers propriétaires selon le modèle de la résidence lignagère, beaucoup d’entre elles produirent bien vite, une rente immobilière, particulièrement pendant la période de difficulté du logement à Léopoldville durant les années suivant la deuxième guerre mondiale. Emmanuel CAPELLE (1947 :40) rapporte que des propriétaires construisaient, en dehors de leurs propres maisons, des sortes de maisons de rapport, et en faisaient louer des appartements à des prix très élevés87. Cela permettait à des propriétaires d’exercer la profession légalement qualifiée de « logeur » à l’époque coloniale. Mais la crise du logement fut une réalité observée un peu partout dans les villes coloniales d’Afrique. En effet, la densification urbaine et la constitution d’un marché locatif, firent apparaître un peu partout dans les villes, des formes de compétition foncière et de rente immobilière (FOURCHARD, 2003 : 63).

Mais les problèmes de logement continuent encore à se poser aujourd’hui, à cause notamment des grands flux migratoires vers Kinshasa, qui ne se sont pas ralentis à ce jour. Or les quartiers anciens sont restés très denses, car étant les quartiers d’accueil des nouveaux migrants. Tous les vieux quartiers, sont en général, le point de chute des nouveaux arrivants à Kinshasa. Ce rôle de lieu de passage et de quartier d’accueil, fait qu’il y a une plus grande mixité ethnique (toutes les ethnies du pays y sont pratiquement représentées). Il explique aussi la multiplicité des miniscules logements, petites chambres, salon/chambres, proposés aux nouveaux arrivants.

87 Pour lutter contre les abus, dans la fixation des prix de loyer, Emmanuel CAPELLE(1947) rapporte que l’Administration coloniale avait pris des mesures pour limiter les prix des loyers.

Ainsi, certaines familles rentabilisent les parcelles, en faisant louer des logements à des gens qui y demeurent, soit de manière durable, soit le temps de trouver un meilleur logement ailleurs, quand il s’agit des migrants. Il s’agit souvent là des parcelles qui sont situées dans des quartiers Anciennes cités, les plus éloignées du Marché central et du centre-ville. Par contre, les familles dont les parcelles sont les plus proches du Centre et du Marché central, les rentabilisent autrement. Ces parcelles produisent une rente immobilière importante, lorsqu’elles abritent des boutiques et commerces divers.

Ainsi, lorsqu’on parle de la rente immobilière dans les cas des quartiers anciens, il ne s’agit pas seulement des revenus issus de la mise en location des petits logements d’habitation (studios minuscules, logements à une ou deux pièces…) comme c’est généralement le cas dans l’ensemble des quartiers populaires à Kinshasa. Il s’agit surtout des revenus provenant de la mise en location de locaux d’activités commerciales ou artisanales. Il existe plusieurs autres formes de rente, et celles-ci concernent particulièrement les parcelles situées sur les rues les plus proches du Marché central. Cette rente peut provenir de la location des emplacements et des étals, au-devant des parcelles. Ceci, lorsque la rue est une des rues devenues un petit marché permanent, comme nous en avons parlé précédemment. En effet, les habitants de ces rues, ont quelques fois participé à ce processus de transformation des rues en marché, en faisant louer des emplacements devant leurs parcelles aux petits commerçants.

La rente peut provenir de la location des petits entrepôts, comme on en trouve, un peu partout dans les parcelles proches du Marché central. En effet, les commerçants du Marché central ou des marchés de rue avoisinant, entreposent quotidiennement leurs marchandises dans des sortes de mini entrepôts, que l’on trouve un peu partout dans les parcelles proches du Marché. Ces minis entrepôts rapportent chaque jour de l’argent à ceux qui les tiennent, car l’entreposage des marchandises est payé quotidiennement. La rente peut provenir de la location des emplacements devant ou dans la parcelle à quelques artisans : tailleurs, menuisiers, soudeurs/tôliers, cordonniers, etc.

Par ailleurs, les habitants de ces parcelles, ont aussi la possibilité de développer eux- mêmes des activités génératrices de revenus grâce à la proximité du Marché central et de la population qu’il draine chaque jour : ici une tante prépare et vend des beignets devant la parcelle, ici une nièce prépare et vend des brochettes, ici une mère vent de l’eau glacée conditionnée en sachets, des jus de fruit, de la limonade glacée, là-bas un oncle ou une tante tient un petit bar/restaurant où les commerçants viennent se désaltérer et manger à midi ou le soir, où les gens qui viennent faire des achats au marché peuvent s’arrêter et prendre une petite pose, où différentes personnes viennent négocier, etc. L’entreposage des étals aussi procure de la rente aux habitants. Car les commerçants des petits marchés de rue les dégagent le soir, et déplacent leurs étals qui occupent la chaussée la journée. Ils les font garder la nuit dans les parcelles proches de peur qu’ils ne soient volés ou saccagés, en payant une redevance journalière d’entreposage.

Comme on vient de le voir, ces parcelles bénéficient d’une situation de « rente », exceptionnelle, qui fait qu’elles peuvent rapporter beaucoup d’argent. Certaines d’entre elles combinent à elles seules plusieurs de ces formes de rente, comme c’est le cas de la parcelle de la famille Mokila, dont nous avons parlé précédemment. Cette parcelle de la « grande famille » a été finalement vendue comme on l’a dit. Mais avant cette vente, la parcelle produisait des formes multiples de rente.

En effet, la parcelle se situant à l’angle d’une rue, elle bénéficie d’une position très avantageuse. Cette parcelle dispose d’une quinzaine de boutiques qui avaient été construites grâce à des contrats de construction/bail (dont nous parlerons par la suite), boutiques rapportant avant sa vente, une rente d’environ dix mille dollars par mois. Des emplacements étaient loués à des artisans devant la parcelle. Il y avait des étals pour lesquels, les commerçants payaient de l’argent aux habitants de la parcelle, etc. Quant aux habitants de la parcelle, ils tenaient, qui une activité de restauration devant la parcelle, qui une vente de jus de fruit glacée, qui une activité artisanale, etc.

Dans le cas de cette famille, c’est notamment cette question de la multiplicité des rentes, qui a opposé les ayants droits résidents aux ayants droit non résidents, ces derniers s’estimant floués, mais aussi désavantagés dans le bénéfice de la parcelle, qui devrait

équitablement revenir à tous.

Ce qui amène à se demander, pourquoi les membres de la famille Mokila n’ont pas réussi à surmonter les différends qui les opposaient, et ont décidé malgré tout, de vendre une telle « vache à lait » ! Dans l’exemple d’une autre famille, la famille Makasi, on peut encore voir la combinaison des différentes formes de rente. La famille Makasi a fait construire un bâtiment en dur dont la longueur occupe tout le devant de la parcelle, à l’exception de la porte d’entrée. Ce bâtiment abrite cinq boutiques (avec vitrines) dans un style tout à fait moderne. Mais devant ces boutiques la famille fait louer également des étals, semblables à ceux du marché à des petits commerçants. Elle peut leur adjoindre des femmes préparant et vendant des aliments. Ce qui réduit la voie publique et rend difficile la circulation.

Ainsi, la rente, loin de n’être qu’un avantage pour les familles, surtout en cette période de crise socioéconomique généralisée, est aussi au contraire, génératrice de conflits et de tensions, ouverts ou larvés. La forme de rente qui semble générer le plus de conflits dans les familles ces dernières années, est celle qui provient de la location des boutiques par les commerçants étrangers. Ces revenus alléchants font naître des longs et terribles conflits entre les ayants droit, généralement très nombreux. Pour avoir des boutiques et échoppes dans leurs parcelles, les familles font des transactions foncières particulières : elles signent des contrats de construction/bail avec des commerçants. C’est que nous essayerons de voir plus en détails dans le point suivant.

IV.7

Les contrats de construction/bail : Echoppes et boutiques