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Vers une théorisation de la ville-port comme objet transcalaire

CONCEPTUEL ET DONNEES DISPONIBLES

2.2 LA VILLE-PORT, UN OBJET TRANSCALAIRE ?

2.2.2 Vers une théorisation de la ville-port comme objet transcalaire

2.2.2.1LA RELATION LOCAL–MONDIAL : RESEAUX MARITIMES ET AMENAGEMENT URBAIN

L’historien J. KONVITZ (1994), dans son travail sur les villes portuaires atlantiques entre 1880 et 1920, mentionne l'existence d’une relation complexe entre l'organisation interne de ces villes et leur situation dans les réseaux internationaux et interurbains. Cependant, il ne donne pas de clé de lecture ou d’exemple précis d’où une esquisse de généralisation puisse prendre souche.

Ce type de relation complexe fut décrit très tôt par A. SMITH (1776)6, en pleine période de maturation des empires coloniaux: « Quelle sorte de marchandise pourrait supporter les frais

d'un voyage par terre, de Londres à Calcutta ? Cependant, ces deux villes entretiennent aujourd'hui entre elles un commerce très considérable ; et par le marché qu'elles s'ouvrent l'une à l'autre, elles donnent un très grand encouragement à leur industrie respective ».

Certains auteurs voient dans ce qu’ils appellent « le changement d’échelle » une transition regrettable, qui impose au local ‘ancien’ (marchands, bâtiments, unicité du lieu) une logique globale moderne. Les « capteurs de flux » ou autres logisticiens (R. BORRUEY, 2001) s’emparent des lieux, forçant le ‘local’ à s’adapter par le ‘haut’. Pourtant il est assez clair que les tendances modernes de sélection des villes-ports par les lignes maritimes ne sont pas nouvelles ; la thèse de Y.E. OZVEREN (1991) sur l’évolution de Beyrouth au dix-neuvième siècle montre bien qu’il n’y a uniformisation des logiques marchandes que dans la forme (conteneur) et dans les quantités (volumes), mais absolument pas dans les principes d’organisation et de développement. L’évolution de la logistique, présentée en première partie,

renvoie à la « mise en place de liaisons de plus en plus puissantes sur des distances de plus en

plus longues » (M. SAVY, 1999), où la proximité fonctionnelle fait fléchir la contiguïté

spatiale grâce à un « archipel de places interactives » à différentes échelles. Quelle que soit l’époque étudiée, le principe de sélection des ports par les opérateurs de lignes maritimes quels qu’ils soient reste prépondérant, et la réflexion à plusieurs niveaux n’appartient pas qu’aux temps modernes ; elle est en tous cas devenue, au moins implicitement, incontournable (C. CHALINE, 2001). Les implications de cette connexion sont donc fortes à la fois pour le niveau local et pour le niveau mondial, à l’image des nouveaux territoires de l’économie portuaire créés par les firmes multinationales : « (…) ceux-ci s’extraient de la matrice urbaine,

avec l’éclatement de l’espace industriel pour se fondre dans la nouvelle économie de la logistique de la chaîne des transports multimodaux et des territoires-réseaux » (M. FABRE,

1992b).

A partir d’un constat sur la « versatilité » des trafics portuaires mondiaux et la dimension aléatoire des rangs portuaires par rapport au volume de marchandises transportées, A. LEMARCHAND (2001) relativise le déterminisme de M. FABRE en désignant les « éléments

locaux » comme clés de compréhension des évolutions. Ainsi, l’auto-organisation du système

portuaire mondial est dépendante d’un certain nombre de données caractérisant l’ancrage local du flux : capacité d’innovation, communauté commerciale dans la ville, histoire et identités locales.

L’exemple de Port Saïd (Egypte), proposé par F. BRUYAS (2000) ne s’attache pas au port proprement dit mais aux connections rendues possibles par la création d’une zone franche. Cela relève d’une stratégie qui est au cœur de la relation entre le système national et le système international. La zone franche est aussi le moyen pour l'économie locale de se 'connecter' aux échanges internationaux. Les mécanismes de la connexion sont les groupes d'acteurs, qui sont impliqués localement et « constituent des réseaux de relations et des

territoires dans la ville ». La variation d'échelle met donc en perspective des représentations,

des logiques d'action « dont la combinaison exprime la dynamique du territoire ». Cependant, le travail de F. BRUYAS (2000) semble ignorer le port comme moyen de la connexion, au moins en termes physiques. Cela pose deux questions :

Le port a-t-il un rôle spécifique dans la connexion des échelles, ou n'intervient-il que pour suivre techniquement les effets de cette connexion ?

Dans le cas de Port Saïd, que serait la zone franche sans le port, ou le port sans la zone franche ?

Il ne faut oublier que la zone franche est l'expression d'une stratégie d'attraction d'activités en recourant à l'exonération de taxes, notamment douanières. Sans la zone franche, on peut imaginer que le port ne suffirait pas à donner autant d'impulsion à l'économie locale. Cependant, sans le port la zone franche resterait une 'enclave' sans ouverture, éventualité émise par F. BRUYAS. On peut donc affirmer que le port confère une spécificité au marché local, qui est la propriété de l'ouverture à l'international. Son fonctionnement dépend de ce marché, mais il n'intervient pas que comme un outil technique. C'est l'un des éléments fondamentaux de la connexion entre échelles différentes. Il est ainsi pour beaucoup dans la localisation des activités économiques, qui requièrent cette propriété de connectivité pour fructifier. Il y a aussi dans l’exemple de Hong Kong matière à débattre sur l’importance respective des forces du marché (les lignes régulières, les échanges) et des stratégies de ‘récupération’ de ces forces au profit du local et du national. Le travail de B. LOO et al. (2002) montre bien que les forces du marché ne suffisent plus, à partir des années 1990, à expliquer le développement portuaire de Hong Kong ; les considérations politiques du gouvernement sont « devenues aussi, voire plus, importantes ».

2.2.2.2 LA RELATION LOCAL–REGIONAL : LA VILLE-PORT DANS LE RESEAU URBAIN

L'effet d'échelle, qui découle de la maritimité, serait donc l’un des fondements majeurs de la spécificité de la ville portuaire maritime par rapport aux villes continentales. La première se caractérise par des liens de longue distance avec d'autres villes portuaires, grâce au port dont la zone d'influence [continentale et maritime] est beaucoup plus large que celle de la ville (D. PICHERAL, 1991) : « (…) il n’y a pas nécessairement coïncidence d’ailleurs

entre le rayonnement du port et celui de la ville. Le port de Constantza en Roumanie, port de céréales, étend son influence à toutes les régions céréalières roumaines, tandis que l’influence de la ville de Constantza est beaucoup plus restreinte. Hinterland portuaire et umland urbain ne se superposent pas » (J. BEAUJEU-GARNIER et al., 1963). L’avant-pays

est pourtant une spécificité majeure des villes-ports : « tandis que toutes les villes ont une aire

d'influence et un arrière-pays, seules les villes portuaires ont aussi un avant-pays » (M.

PEARSON, 1998).

Cette relation spécifique de distance, induite par les routes maritimes, provoque une rupture entre les villes portuaires d'un côté, aux fonctions proches, et leur arrière-pays respectif avec lequel elles ont beaucoup moins en commun (R. TEBOUL et al., 2000). La relation avec

l’arrière-pays, décrite en première partie comme l’un des fondements du fonctionnement de la ville en tant que port, n’a pas de limites spatiales nettes car elle répond à un phénomène de diffusion (des marchandises). Elle ne correspond donc pas à un niveau délimité, mais la complexité vient de la connexion de cet arrière-pays avec l’avant-pays, faisant naître entre des villes distantes des relations privilégiées. Les transports maritimes apparaissent ainsi déterminants dans l'organisation territoriale (G. WACKERMANN, 1998), justement du fait des relations d'échelle et des 'sauts' qualitatifs et quantitatifs que ces relations de longue distance permettent. Les sauts d’échelle en question ont été compris comme un phénomène de déterritorialisation (G. DELEUZE et al., 1986) : par la connexion à un réseau maritime, les villes marchandes littorales ont tendance à se couper de leur région ou arrière-pays. Ainsi, « Bordeaux montre clairement les différences entre le système de places centrales et le

système réticulaire, car c’est une ville dont les connections à un réseau international la rendent plus grande que ses fonctions régionales dans un système de places centrales lui permettraient » (M.P. GUTMANN, 1986).

Le travail de J. BIRD sur les gateways occupe une place majeure dans cet effort de généralisation de la complexité inhérente aux villes-ports. Comme nous l’avons vu précédemment, des fonctions de 'gateway' opposent les places centrales (vouées à la desserte de l'espace environnant) aux gateways, qui lient la région à d'autres régions et la nation au reste du monde par le transport international. Du point de vue des ports, ces nœuds aux fonctions de gateway se placent entre les réseaux continentaux et les grandes routes océaniques, ce qui leur confère un « niveau supérieur de la nodalité en voie de formation par

suite de la révolution des transports maritimes. » (A. VALLEGA, 1983).

La recherche appliquée et notamment l’I.R.S.I.T.7 propose un travail de comparaison des villes-ports européennes, dont l’un des buts est de fonder leur différence fonctionnelle par rapport aux villes continentales qu’elles desservent. Cette problématique s’inspire de travaux antérieurs sur la comparaison des villes européennes, dont ceux de R. BRUNET (1989) et de C. ROZENBLAT et al. (2003). Le tableau suivant (Tab. 6) reprend les grands thèmes d’une telle comparaison, qui fonctionne explicitement par niveaux géographiques, chacun ayant une spécificité, une logique d’organisation. Les thèmes déclinés dans ce tableau sont autant de spécificités et de problématiques absolument fondamentales pour comprendre le fonctionnement des villes-ports. La concurrence portuaire, la gouvernance ville-port et la spécialisation relative de la ville sont désignés comme les éléments-clés du système ville-port,

où plusieurs acteurs et plusieurs phénomènes interagissent de façon simultanée. Une très grande importance est accordée à l’accessibilité, à différents niveaux, ce qui rarement abordé comme tel dans d’autres travaux. Ainsi la ville, l’interface ville-port, le port et l’espace maritime sont les cadres dans lesquels les différentes problématiques vont se jouer, selon une variation de grandeur du local au mondial.

La dynamique spatiale qui sous-tend ce ‘système’ ou ces ‘liens’ est très délicate à formuler d’un seul tenant, d’autant plus que les éléments n’évoluent pas au même rythme dans le temps.

PROGRESSION SPATIALE ENTRE MARITIME ET TERRESTRE

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