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Quartier type du « Mellah »

III. Les théories sociologiques

« Une femme qui s’affirme et se révolte devient une putain. Un homme qui en fait autant

devient un empereur. »

Proverbe Bengali Ŕ Bangladesh229

5. La Sociologie occidentale

De nombreux auteurs se sont inscrits dans la mouvance d‟une victimisation sociale de la femme, soutenant comme problématique, les concepts de prostitution, et prostituée. G. Pheterson, dans « Le prisme de la prostitution », les présentent comme des instruments sexistes de contrôle social :

(…) « Inscrits de façon rigide et envahissante dans les pratiques légales discriminatoires, les

biais de la recherche scientifique, les défenses psychiques, les préjugés et, au niveau fondamental, dans les rapports entre les sexes ».230

De là, P. Tabet conceptualisera « les échanges économico-sexuels », comme référents à un continuum dans ce lien qui unit les femmes et les hommes.

La position de ces auteures, sanctionnant les biais de la recherche scientifique, visant toujours les groupes identifiés comme tels (ici, les prostituées), s‟argumente et se défend, dans la perspective du terrain, nécessitant de définir des caractéristiques de reconnaissance, pas toujours fiables, et pouvant renforcer la stigmatisation vécue par certaines. Mais, la conceptualisation proposée, participe quant à elle, d‟une autre forme de réductionnisme, dans le danger de l‟amalgame de cette vision linéaire de la relation entre les hommes et les femmes :

(…) « Qui place le travail sexuel des femmes dans un continuum qui va de différents échanges

à court terme de sexe contre de l’argent, en passant par des échanges plus implicites de sexe

229

Tabet P. (2004). La grande arnaque, sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paris, L‟Harmattan, traduit de l‟Italien par Josée Contréras, op.cit p. 145.

contre des biens et diverses facilités, jusqu’à des relations de longue durée dans lesquelles le sexe est échangé en association avec des services domestiques et reproductifs comme dans le mariage ».231

Amalgame, loin des réalités des relations multiformes.

Dans cette sociologie occidentale, d‟autres positions, non moins militantes232

viendront situer leurs analyses entre une sociologie de la déviance et une sociologie des professions, mettant en avant une utilité sociale du phénomène, des territoires, des tarifs, réseaux et compétences. S. Pryen233, dans ce positionnement différent de la recherche d‟une étiologie individuelle ou différent de l‟analyse des rapports de domination et de genre, se verra critiquée, pour cette reconnaissance d‟une dimension professionnelle dans la prostitution ; Sa normalisation dans une zone-hors-loi. La passivité des femmes critiquée, dans le modèle d‟analyse des rapports de domination et de genre, se verra extrêmiser dans son modèle, produisant des compétences, que L. Mucchielli définira plutôt comme des modalités adaptatives empiriques, liées à la situation. L. Mucchielli, mettra aussi en avant la nécessité d‟analyser des éléments de biographies, pour mieux appréhender la problématique de l‟entrée dans le recours, autrement qu‟une simple rencontre, ou sollicitation dans un contexte de misère234. Comme chez M. Chaleil, proche d‟une théorie psychosociale, dénotera dans « Le corps prostitué », sa conception de la prostitution, comme produit de la misère sociale, et des systèmes de classes235.

Entre domination masculine, et domination économique, ces modèles posent la question du cadre, en oblitérant la dimension psychique, qui trouve dès lors à se réifier dans la subjectivité, en termes de légitimations.

231

Ibid, op.cit. p.49.

232

En tant que constituant une perspective visant une forme de réglementarisme.

233

Pryen S. (1999). Stigmate et métier. Une approche sociologique de la prostitution de rue, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

234

La Revue française de sociologie, « Une approche sociologique de la prostitution de rue », 2000, 3, p.590-593. En ligne, http://laurent.mucchielli.free.fr/prostitution.htm.

235

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6. La Sociologie maghrébine

Dans les années 80, F. Rafik, dans son mémoire de Doctorat, tente de mettre en avant, le statut de la femme au Maroc, en lien avec le facteur économique, comme modèle d‟explication de la prostitution dans la ville d‟Essaouira ; Tout en apportant un certain nombre de critiques aux théories psychopathologiques, stigmatisant alors encore davantage ces femmes.

Dans la problématique qui intéresse l‟auteur, ce serait la motivation économique pressante, la misère, qui serait seule responsable de l‟entrée dans ces pratiques. Ce positionnement se rapprochant encore, d‟un système de cause à effet, linéaire, instituant la prostitution en tant que « métier ». Elle a su faire apparaître une sémiologie des pratiques, à travers une analyse comportementale, permettant une fois de plus de mettre en évidence, l‟importance de la dissimulation dans une société arabo-musulmane, où il serait nécessaire de sauvegarder une certaine respectabilité (les différents procédés vestimentaires, les modes d‟approche de la clientèle, codes, etc…), ceci, dans une approche de type anthropologique, avec une théorisation sociologique de victimisation féminine :

« Inconsciemment sans doute, la prostituée cherche à adopter des comportements diversement

transgressifs dans la mesure même où elle doit œuvrer à se venger discrètement d’une société qui la marginalise ou la condamne. »236

De nombreux auteurs tant occidentaux, que maghrébins ou africains, se sont appuyés sur cette théorie de la femme, objet d‟exploitation et de satisfaction des désirs sexuels de l‟homme :

« Peuvent-ils imposer à ces femmes une certaine chasteté alors qu’eux-mêmes les harcèlent

constamment pour l’assouvissement de leurs besoins sexuels ? »237

.

Ainsi, les hommes se permettraient de défendre un ordre qu‟eux-mêmes transgressent, constituant par la même, la demande nécessaire à l‟offre.

236

Rafik F. (1980). La prostitution féminine à Essaouira, Thèse de Doctorat de troisième cycle, Discipline Anthropologie, Université René Descartes, Paris V-Sorbonne, op.cit.p.90.

237

Pour S. Tchak, des études sociologiques mettent en évidence une « complicité névrotique chez

les femmes : comportements de jeunes filles qui, pour satisfaire l’homme, s’adonnent à des activités sexuelles sans en avoir véritablement le désir, ni le plaisir. »238

Dès lors, ces femmes se situeraient dans cette position de passivité, rejetée par S. Pryen.

Pour S. Naamane-Guessous239 aussi, elles recherchent la sécurité matérielle, celle-ci argumentant son modèle sur la base de trois critères :

-Un accès facile par rapport à la vie à la maison,

-Une revanche sociale par rapport au milieu familial modeste et austère,

-L‟argent de poche par rapport à leur situation économique.

De ces modèles, la dimension psychologique ne sera que rarement abordée, se rapprochant de modèles psychopathologiques, perçus comme stigmatisants.

A. Dialmy, à contrario introduira des facteurs psychologiques, dans le choix d‟entrée dans la prostitution240. Dans sa conception, les vulnérabilités socio-économiques viendraient s‟adjoindre à une fragilité morale chez le sujet. Ici, nous dit-il : « Inceste, viol et défloration

constitueraient des facteurs déterminants dans la trajectoire psychosociale qui conduit une jeune fille marocaine à la prostitution »241 ; Ajoutant que pour le sens commun au Maroc :

« Seule la putain perd sa virginité avant le mariage ».

La fille est dite « avariée », « débauchée », perdue, ce qui pour l‟auteur serait vecteur d‟autodévalorisation destructive. Opérant un rapprochement linguistique de la spatialité sociale au corps du sujet, dans « Logement, Sexualité et Islam », il envisage ce corps « Maison », qui ne serait plus une demeure inviolable « qui valorise et protège le moi »242.

238

Ibid, op.cit.p.65.

239

Naamane-Guessous S. (1988). Au-delà de toute pudeur, Casablanca, Eddif.

240

Dialmy A. (2005). Prostitution et traite des femmes au Maroc, in Prostitution, la mondialisation incarnée, (coordonné par Richard Poulin), Louvain-La-Neuve, Alternatives Sud, Volume 12-2005/03, pp. 197-215.

241

Ibid, op.cit.p.197.

242

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Dans cette perspective, la conscience permanente d‟une transgression pourrait se faire sentir chez ces femmes, tout comme la responsabilité et la honte, pourraient participer à une identification spécifique aux croyances du sujet.