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PARTIE II. LES AMENAGEMENTS

TRAJECTOIRE SEXUELLE

V. Méthode et recueil de données auprès des femmes

12. particularités de l’expérience dans une trajectoire

Une vignette clinique a une valeur illustrative : Celle-ci offre une perspective plus développée sur la dimension psychique, et la valeur du recours aux pratiques sexuelles hors-mariage et récompensées, en tant que compromis dans la trajectoire du sujet, entre le contexte, désir et interdit.

La visée de cette étude plus approfondie est scientifique, s‟agissant de mieux cerner les aménagements subjectifs d‟une position psychique dans le recours à une sexualité criminalisée, bannie par la religion et la société.

Avec Nadia, la multiplication des méthodes était possible, offrant des informations sur la signification du comportement, avec davantage de données cliniques exploitables. Le recours a des tests psychométriques ou projectifs n‟a pas été retenu dans cette étude, favorisant plutôt une observation de type sociologique avec des entretiens pour la plupart non-formels. La méthode choisie offrait déjà une entrée dans les modes de résolution des conflits et l‟histoire du sujet. L‟approche sociologique nous introduisait à cette dynamique du sujet dans le lien social sur laquelle nous focalisions notre intérêt. L‟utilisation de tests était envisagée ici, comme nouveau biais à la relation transférentielle, de part l‟origine culturelle de ce type de méthode.

-contexte des rencontres :

1-Lieu d‟exercice de sa pratique, le bar et la discothèque,

2-A notre domicile,

3-Dans des cafés,

4-A son domicile,

196 -Entretien :

Nous avons fait la connaissance de Nadia dans la discothèque où elle travaille chaque soir. Un de nos amis marocains, le premier intermédiaire la connaissait. Il nous a donc présenté Nadia, qui avait bu beaucoup d‟alcool et riait aux éclats. Nadia venait de gagner 600 dirhams, avec un homme qu‟elle espérait ne pas revoir tout de suite, puis elle s‟est installée avec nous. C‟était la fin de la soirée, nous nous sommes simplement dit les politesses de rigueur, elle nous a invité à venir un jour chez elle, nous souhaitant la bienvenue, comme cela se fait pour accueillir tout nouvel étranger. Nous avons alors pris son numéro de téléphone.

Après cette soirée, notre ami nous a dit qu‟il rencontrait souvent Nadia, dans le salon de coiffure d‟un ami, où ils restaient bavarder et rigoler. Lors de ces rencontres, Nadia s‟exprimait volontiers sur son recours aux PSR, et sur certaines violences « qu’elle aurait accepté de subir

pour l’argent »351, s‟agissant alors de discussions de comptoirs, où tout le monde rit aux éclats. Pour Nadia, il était alors plus facile de s‟exprimer sur ce qu‟elle vivait, sur un ton de rigolade.

L’autodérision est un mécanisme de défense sociale, permettant d’évacuer l’angoisse sous une forme socialement acceptable. Elle soulage en quelque sorte la gêne avec un mécanisme psychique de dénégation.

Nous avons mené un premier entretien avec Nadia, grâce à la collaboration de notre ami, qui a expliqué notre travail à Nadia. Lors de cet entretien, Nadia s‟est exprimée sur sa vie, laissant émerger quelques affects, malgré certaines résistances à se dévoiler. Une relation de compréhension mutuelle352 s‟est mise en place, permettant de nouveaux contacts. Nous n‟étions plus alors totalement étrangères.

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Selon les propos de notre interlocuteur.

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-Observation naturelle :

Nous nous sommes rencontrés une seconde fois, seules, permettant d‟aborder certains points de nos questionnements, non développés lors du premier entretien. Lors de cette rencontre, nous avons convenus d‟une sortie dans la discothèque où Nadia se rend chaque soir, ce afin de l‟observer dans le contexte de sa pratique et peut-être faire de nouvelles rencontres. Lors de cette sortie, Nadia est restée boire une bonne partie de la soirée avec un homme qu‟elle avait rencontré peu de temps avant que nous arrivions dans le bar. Il s‟agit d‟une partie de son « travail » selon ses propos. En faisant boire les clients, Nadia remplit son accord avec le gérant de la discothèque et touche alors un pourcentage, non défini353.

Par la suite, un homme est venu à plusieurs reprises discuter avec Nadia, qui avait laissé l‟autre homme pour se joindre à nous. En discutant avec cet homme, nous avons appris qu‟il vendait du Haschich, il était sorti de prison depuis un an, et avait repris son activité. A la fin de la soirée, une négociation s‟est mise en place entre Nadia et cet homme, qui lui a proposé 300 dirhams, pour qu‟elle finisse la soirée avec lui. Celle-ci a préféré refuser. Elle nous a ensuite expliqué que cet homme connaissait son frère, elle ne voulait pas que ça se sache. Lors d‟une autre rencontre, elle a aussi ajouté qu‟elle préférait entretenir des relations avec des hommes qui exerçaient une activité professionnelle légale. Pour Nadia, il était inconcevable d‟être mêlée à toute activité délictuelle générant le risque d‟un scandale l‟atteignant et par là même, portant atteinte à sa famille. Ce n‟était pas tant notre présence et notre regard qui influait sur le positionnement de Nadia dans cette situation d‟observation, que l‟éventualité de paroles désobligeantes, à l‟oreille de son frère et une absence de sécurisation du cadre si elle faisait le choix de « sortir » avec cet homme. Nous avons quitté Nadia ce soir-là devant le taxi qui la ramenait chez elle.

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Si nous reprenons les représentations des professionnels, Nadia entrerait dans la catégorie des femmes de la « nuit », des bars/discothèques, considérées comme « Dangereuses » et « non-réprimées ». Il s’avère que, ce que Nadia nous a donné à voir et à reconnaître, ne correspondait pas à ces représentations, tout du moins en ce qui concerne une dangerosité sous forme de délinquance autre. Dans son espace de pratiques, Nadia se sent sécurisée, dès lors qu’elle ne commet pas d’ « impair ».

Nous pouvons en déduire comme hypothèse que la sécurisation du cadre de la pratique ressentie par les femmes dans ce type d’espaces, ainsi que le lien maintenu à la dimension familiale, favoriseraient probablement l’absence d’un polymorphisme délinquantiel, repéré par les professionnels de l’Ordre public. La répression attendue par les avocats se jouerait ici à d’autres niveaux : psychique et dans une zone de « droits spécifiques »354

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Dans le cadre de notre collaboration avec l‟ALCS, nous avons appris que de nouvelles formations sur les maladies sexuellement transmissibles et le sida étaient proposées aux femmes ayant recours à une sexualité multiple, ce dans l‟objectif entre autre de former de nouvelles intervenantes de terrain. En accord avec la responsable de la formation, nous avons proposé à Nadia une participation à ces séances, pouvant lui permettre par la suite d‟obtenir une sécurisation dans sa pratique, par rapport à d‟éventuelles rafles policières, avec l‟obtention possible d‟une carte d‟intervenante et l‟accès à une rémunération. Nadia s‟est montrée enthousiasmée par cette offre. Nous l‟avons donc accompagnée lors de la première séance, afin d‟observer son intégration et éventuellement faire de nouvelles rencontres. Il s‟est avéré que Nadia y a retrouvé une femme qu‟elle connaissait déjà, ce qui a tout d‟abord créé un malaise chez elle. Lorsque Nadia a compris que cette femme était là pour les mêmes motifs, elle s‟est aussitôt sentie plus à l‟aise, s‟exprimant alors volontiers, et fumant des cigarettes en toute liberté. La déstabilisation des repères identitaires de départ trouvait son point de butée avec une autre identification possible dans le recours aux PSR. Cette femme qu‟elle avait connue hors de cette dimension, ne pouvait favoriser l‟adhésion de Nadia au cadre que sur la base d‟une autre identification possible, renvoyant à un environnement clivé.

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Lors de cette formation, Nadia s‟est montrée très volontaire, très participative, contrairement à d‟autres femmes, qui étaient déjà venues à ce type de réunion. Elle nous a d‟ailleurs dit que cette rencontre lui apportait en termes d‟affirmation de soi : le fait de pouvoir s‟exprimer, exprimer son point de vue personnel en toute liberté, sur un sujet qui la touchait355. Dans cette dynamique groupale, Nadia s‟est au fur et à mesure placée en leader.

Nadia regardait les autres femmes, et par identification projective, elle ne pouvait que se sentir bien, en ce sens, qu‟elle les voyait comme des femmes fatiguées, usées par le recours et les drogues, malgré pour certaines, leur jeunesse. Elle nous a dit alors, que malgré l‟alcool qu‟elle pouvait ingurgiter chaque soir, elle avait « un cœur et un cerveau sain », contrairement à certaines femmes présentes.

Une autre formation a ensuite été proposée pour le week-end. Nadia était hésitante, cette formation commençait le matin tôt. Or Nadia, comme la majorité de ces femmes, vit la nuit. Elle s‟en est défendue par la présence de sa fille, durant le week-end. Puis elle nous a demandé de l‟accompagner une nouvelle fois. Nous lui avons alors expliqué qu‟il ne s‟agissait pas du cadre de notre travail et que nous avions déjà d‟autres impératifs. Nous lui avons proposé de réfléchir, suite à cette première formation, à ce qui pouvait motiver son investissement à ces temps de débats et de formation. La responsable de la formation lui a proposé de venir accompagnée d‟une autre femme. Nadia s‟est rendue à cette formation, accompagnée de sa sœur, l‟aînée ; Celle-ci connaissant la réalité de l‟activité de Nadia.

Lors de la seconde période au Maroc, un an après, Nadia nous a dit qu‟elle n‟était pas retournée à l‟association, car ils ne lui avaient pas téléphoné. Nadia semble investir les cadres offerts d‟une manière participative, mais elle ne s‟investit que très peu dans la recherche de ce type de cadre et reste en quête d‟étayage.

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