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PARTIE II. LES AMENAGEMENTS

TRAJECTOIRE SEXUELLE

IV. Méthode et recueil de données auprès des professionnels

8. les entretiens avec les professionnels de l’ordre public

Tableau 4 : Guide d’entretiens auprès de policiers

Missions et fonctions ? Situer la pratique professionnelle dans le contexte socio-culturel et le mode d‟appréhension de la sexualité. Quel dialogue sur la sexualité ?

Quelle est l‟importance des situations rencontrées liées à la sexualité hors-Mariage ?

Quelle pratique avec ces situations ? (Arrestations et pour quels motifs exacts)

Qu‟est-ce que pour vous la prostitution ? Confrontation des représentations actuelles, face à une terminologie problématique de la sexualité hors-mariage ? Evolution des discriminations sexuelles.

Qu‟est-ce que pour vous le « Zina »312

? Qu‟est-ce que pour vous le « travail du sexe » ?

La prostitution existe-t-elle à Marrakech ? Sous quelles formes ? Masculine et/ou féminine…

Représentations sur la prostitution D‟après vous, comment et pourquoi ces jeunes

femmes choisissent cette pratique de la sexualité? (Facteurs)

Représentations de la « personne ayant recours à ce type de sexualité », statut attribué, à travers les facteurs envisagés ?

Les rencontres avec les policiers se sont déroulées dans un total anonymat, lié au cadre de tolérance dans lequel cette recherche pouvait se mener. Les deux entretiens menés ont permis essentiellement de mieux appréhender le fonctionnement des différents services de la Sûreté Nationale et de la Brigade touristique,qui est, quant à elle, détachée des autres services ; Et de cerner un semblant des difficultés rencontrées par les policiers dans la pratique de terrain. La Brigade touristique est une brigade spécifique et indépendante des services de la police judiciaire. Elle s‟occupe essentiellement de la surveillance de la criminalité liée au tourisme à Marrakech, dans ses deux districts, Médina et Guéliz, essentiellement, dans les espaces très visités par les touristes, et les villas, riads, appartenant à des étrangers, résidants ou non au

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Maroc. Sa création date de 1998, elle dépendait alors de la police judiciaire, avec seulement cinq ou six éléments. Au fil des années, des formations se sont mises en place à l‟académie de police, sur le terrorisme, les mouvements islamistes et sur le tourisme. Cette brigade compte à présent 87 éléments, et dépend de la DST, Département de Sécurité Territoriale.

Il y a encore quelques temps, un marocain ou une marocaine souhaitant circuler avec un étranger ou une étrangère, devait faire une demande d‟autorisation auprès de la Brigade Touristique, autorisation écrite permettant à la fois, à la Brigade, une meilleure surveillance, et aux personnes de circuler sans difficultés. Cette pratique vise la surveillance et la prévention de diverses formes de criminalités (escroquerie, violences, pédophilie…). Recevant des demandes nombreuses chaque jour, et ayant remarqué une utilisation frauduleuse de ces autorisations313, la Brigade a interrompu ce procédé. A présent, les personnes étrangères doivent (en cas de non mariage) rédiger une déclaration sur l‟honneur, qui sera alors certifiée, légalisée, dans les services de l‟arrondissement. Ainsi, en cas de non-mariage, un(e) autochtone est autorisé(e) à circuler avec un(e) étrangère, dès lors que le (ou la) touriste a fait reconnaître son choix et sa responsabilité devant les institutions d‟état.314

Durant l‟année 2006, une majorité d‟hommes aurait été arrêtée, pour seulement 8 arrestations de femmes, en avril 2006, par la Brigade Touristique315. Seul le flagrant délit permettrait le passage devant le tribunal, ajoute le policier de la Brigade, ce même si des rafles policières ont lieu parfois, dans des lieux réputés, comme des cafés, discothèques…

Les plaintes seraient généralement déposées, dans les services des arrondissements, puis transmises au Central de la PJ, ainsi qu‟au service radio, pour effectuer l‟enquête. Ces arrondissements demanderaient aussi régulièrement au Central, d‟envoyer des officiers, pour effectuer des rondes, en cas d‟agressions, vols, ou racolage…Les rafles policières seraient faites à la demande des arrondissements, qui selon l‟officier de la PJ interrogé, recevraient régulièrement des plaintes du voisinage. De nombreuses plaintes seraient aussi déposées pour des faits de viol avec menace à l‟arme blanche sur des jeunes filles. Certains policiers se trouveraient en situation de conflit personnel lors des patrouilles sur certaines grandes avenues

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Une même autorisation avec différents touristes.

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Plusieurs professionnels des divers champs professionnels interrogés mettent en avant le fait que pour les femmes autochtones circulant avec un étranger, des dossiers de mariage seraient constitués, comme cadre légal de tolérance de cette relation, les renvoyant dès lors au statut de « fiancée ».

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Ce que R. Cario appelle « une criminalité apparente », car se référant au contrôle social repéré. In R. Cario. (1997). Les femmes résistent au crime, Paris, l‟Harmattan, op. cit. p.19.

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réputées pour des rencontres amoureuses ; Ce qui pour l‟un des policiers rencontrés ne seraient pas sans effet sur la mise en route d’un processus de compromis permettant de réduire le

malaise, tout retirant un bénéfice financier, le « bakchich ».

Interpeller des couples ne présentant pas d’actes de mariage deviendrait plus problématique pour certains policiers.

Les représentations de ces policiers mettent aussi en évidence une certaine catégorie de femmes ayant recours à des pratiques sexuelles récompensées. Le critère sélectif de ces représentations se situe du côté d’une dangerosité délictuelle présente chez ces femmes, identifiées comme femmes de la nuit, qui « sortent » dans les discothèques. La présomption d’une position de « prédatrice » pèserait sur ces femmes.

Tableau 5 : Guide d’entretiens auprès des avocats

La char‟ia, loi islamique et son rapport au droit civil et pénal, les évolutions du droit au Maroc ?

Situer la pratique professionnelle dans le contexte socio-culturel et le mode d‟appréhension de ce qui fonde le délit en termes de sexualité.

La Moudawana ou code du statut personnel, son élaboration, ses évolutions (1993, et 2003) ?

La criminalité en matière de sexualité, quels codes, quelles procédures et quelles peines ?316

La prostitution est-elle un délit ?

Qu‟est-ce qui se trouve puni au Maroc : le racolage, l‟atteinte à la pudeur, l‟échange d‟argent ? Qu‟est-ce qui définit le délit sur le terrain ?

Qu‟est-ce que pour vous la sexualité hors-mariage, pourquoi ?

Qu‟est-ce que pour vous la sexualité « hors-norme » ou déviante, pourquoi ?

Représentations des pratiques par rapport au contexte normatif. Evolution des discriminations en matière de sexualité.

Qu‟est-ce que pour vous la « prostitution », pourquoi ? Qu‟est-ce que pour vous le « Zina » ?

Qu‟est-ce que pour vous le « travail du sexe » ?

La prostitution existe-t-elle à Marrakech ? Sous quelles formes ? Féminine et/ou masculine ?...

Comment se mettent en place ces pratiques dans l‟espace social ? (Ex : si territoires ou groupes sociaux ? Ou encore, références plus individualistes)

Représentations sur la pratique prostitutionnelle à Marrakech, et sur les personnes y ayant recours. Entrée et maintien ?

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Ces trois premières questions n‟ont été posées que lors du premier entretien, afin de mieux situer le contexte juridique marocain.

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Concernant le Droit Marocain, comme nous l‟avons précédemment évoqué, il s‟agit du Droit musulman, qui sanctionne et punit toute relation sexuelle hors du mariage. La nouvelle « Moudawana », nouveau code de la famille a engagé des modifications quant aux statuts juridiques de la femme et de l‟enfant. Ainsi, il s‟avère qu‟à présent, des enfants nés durant la période de fiançailles peuvent être affiliés au père317.Au Maroc, le mariage est protégé tant par le code de la famille318 que par le code pénal ; La relation adultérine pouvant entraîner une peine de prison allant de 3 mois à 1 an. Or, il est fréquent que les familles se destituent des plaintes, s‟agissant selon les avocats, de garder l‟honneur de la famille intact, et d‟éviter la honte. Malgré la destitution, il s‟avère que l‟autre protagoniste de la situation adultérine reste poursuivi par le parquet, pour complicité de trahison319.

Les relations entre hommes et femmes non-mariées se trouvent pénalisées à partir du moment, où il y a flagrant délit, prouvant l‟acte. Ici, les peines seraient plus légères que pour l‟adultère, que les avocats définissent comme le « Zina »320. Mais l‟application du droit en matière de sexualité resterait problématique, de part la nécessité de présenter quatre témoins du délit, selon ces avocats.

Le délit de prostitution en tant qu‟incitation à la débauche, qui se dit dans le Droit marocain : « At taharib at-tahara », génère des situations complexes dans les faits. Ainsi, un des avocats interrogé a mis en avant des pratiques policières qui n‟engageraient plus de poursuites devant les tribunaux, par une prise en compte de plus en plus importante des Conventions Internationales. La police continuerait à interpeller des couples dans la rue, couples qui ne peuvent présenter un acte de mariage, et elle effectuerait alors un procès verbal, mais l‟application du Droit au Maroc évoluerait vers les Droits internationaux et la reconnaissance des Droits de l‟homme, si bien que la procédure s‟interromprait alors.

Ce point éclaircit le positionnement problématique de certains policiers lors des rondes. Il est bien évident que des enquêtes plus approfondies auprès de cette population, permettraient de mieux appréhender les mécanismes en cause dans ce mouvement de

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Dans le Droit actuel, une nouvelle liberté émergerait, celle-ci liée au statut de « fiancée ». La relation sexuelle s‟en trouverait tolérée dès lors que les fiançailles peuvent être prouvées, soit par un dossier de mariage en attente, ou des fiançailles reconnues devant l‟Adul.

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Le Code de la Famille est inspiré du Droit islamique, avec des évolutions issues des accords internationaux, des Droits de l‟homme et du statut de la femme.

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« Ryana zaoujia » : trahison du mariage, selon les termes d‟un avocat.

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Au niveau du Droit la relation adultérine, « Zina » est différenciée de la relation illégale entre deux personnes non-mariées, « El fased », signifiant la débauche.

conflictualisation. Mais cette problématique associée aux conséquences légales (passage devant les tribunaux) nous permet déjà d’avancer l’hypothèse d’une évolution des droits subjectifs, favorisant les rencontres mixtes et dès lors, pouvant offrir un cadre de légitimation et de tolérance321 plus propice à une pratique de la sexualité hors-mariage, dores et déjà tolérée dans le cadre des fiançailles.

Pour ces avocats, la prostitution est un délit au Maroc, mais la citation à comparaître pour prostitution ne peut normalement exister qu‟avec trois parties, introduisant ici, l‟intermédiaire, que nous pourrions appeler aussi « proxénète » ; Un texte étant relatif, à la préparation d‟un lieu spécifique à la relation sexuelle, pouvant mettre en cause, par exemple un gérant ou un propriétaire d‟hôtel. Mais, dans la réalité des faits, cette jurisprudence ne serait pas suivie par les tribunaux, et la police arrêterait régulièrement des filles dans les rues sans cet intermédiaire, permettant aux tribunaux de punir une seule des parties.

Pour ces avocats, ce seraient les femmes se prostituant pour nourrir leur famille, qui seraient les cibles premières de la police, laissant exercer celles des hôtels en toute impunité. Dès lors, certaines pratiques s’en trouveraient plus stigmatisées que d’autres.

La confrontation du discours des avocats à celui des policiers met en évidence un lien entre intervention de la police et niveau de dangerosité de ces femmes. Là, où la police ne s’autoriserait pas à intervenir, les femmes ayant recours aux PSR, seraient évaluées plus dangereuses322 en termes délictuelle. Ces femmes de la nuit trouveraient dès lors un statut social, une reconnaissance, dans un polymorphisme délictuel.

Les éléments que nous considérons comme des aménagements défensifs, permettant aux femmes ayant recours à des pratiques sexuelles récompensées, de maintenir un certain équilibre, se trouvent évoqués par ces professionnels, en termes de victimité et dangerosité. Deux catégories sociales de femmes ayant recours à ces pratiques émergent de deux postures professionnels différentes : Celui qui réprime et celui qui défend.

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Référent au Droit et aux représentations sociales.

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Elles seraient à considérer comme ces figures d‟ « insoumises », clandestines, évoquées par C. Taraud. In Taraud C. (2003). La prostitution coloniale, Algérie, Tunisie, Maroc (1830-1962), Paris, Payot.

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9. Les entretiens avec les professionnels du champ