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Quartier type du « Mellah »

II. Les théories anthropologiques

3. La valeur de l’échange

M. Mauss, et bien d‟autres, ont mis en évidence la valeur de l‟échange dans les liens intra et inter groupe, comme régulateurs des relations. Dans ces échanges, la femme a longtemps occupée une place centrale dans les systèmes d‟alliances, rappelant probablement une problématique « au corps », en tant que corps de l‟échange220.

Avec les modifications historiques, mise en perspective dans l‟ouvrage de M. Costes-Péplinsky221, un autre « objet » est venu prendre sa place dans les transactions humaines :

« Le troc va devenir obsolète (…) l’enjeu de la transaction s’éloigne des personnes qui

échangent pour s’attacher à l’objet que chacun espère (…) La monnaie va bientôt ne plus représenter celui qui donne, mais seulement l’objet que je convoite. (…) La virtualisation des biens que permet l’argent, c’est la possibilité de différer, d’attendre ou d’exiger, de vendre ou d’acheter sans que rien d’autre que l’argent ne lie l’acheteur au vendeur. Peu importe qui vend ou donne à qui : L’argent neutralise la relation.222

Le rapport ne serait dès lors que marchand, ne participant plus et laissant dans l‟ombre toute perspective subjective et symbolique de l‟échange.

Tout comme, Gail Pheterson223, l‟auteure envisage dans l‟échange prostitutionnel, l‟inexistence de réciprocité224, mais la présence d‟une forme de compensation contre prestation. Dès lors, l‟échange n‟aurait encore qu‟une valeur purement sociale et économique, permettant d‟évacuer toute dimension de soi ou souci de l‟autre dans l‟échange :

220

In Boudhiba A. (1973). Islam et sexualité, Lille, Service de reproduction des thèses Université de Lille III, p. 543. L‟auteur cite une étude menée, par Sami Ali et Abdelmomen Al Miligi, étude égyptienne sur la prostitution dans contexte moderne et acculturé ; Thèse de l‟image perturbée du corps. Agressivité à l‟égard de ce corps et le monde extérieur, dans un rapport à la chosification de la Femme, évaluée à travers son corps. Ici, envisagée comme émancipation mais risquant de troquer un rôle d‟anti-épouse contre celui d‟épouse (Fuite).

221

Costes-Péplinsky M. (2001). Nature, Culture, Guerre et Prostitution, Paris, L‟Harmattan.

222

Ibid, op.cit.p. 66.

223

Pheterson G. (2001). Le prisme de la prostitution, Paris, L‟Harmattan.

224

Selon les marqueurs sociologiques de la théorie de Mauss, se différenciant des marqueurs dans la psychopathologie. Référence aux cours de L-M. Villerbu, « Une épistémologie de la dette », où Mutualité rime avec réparation de la dette et Réciprocité recherchée dans le contre-don, comme revendication identitaire.

« Le client, l’acheteur, n’éprouve aucune culpabilité envers la personne prostituée, parce qu’il

pense avoir payé pour un service. »225

Dans cette perspective, la dimension symbolique de la dette, en tant que fondement du lien social, se trouve évacuée. Alors que :

« Le lien social est un jeu d’obligations, que celles-ci soient envisagées comme des structures

enserrant l’individu ou comme le résultat de l’action de celui-ci. » (…)Pour comprendre la logique de la dette, il est nécessaire de s’inscrire en deçà de la monétarisation. Au lieu de donner de l’importance au bien, l’accent porte sur le lien. La relation d’échange ne se réduit pas à un transfert, elle est avant tout un rapport social unissant des individus et des groupes. Dans cette acception, la dette est une forme de lien ».226

Dans lequel l‟individu se situe aussi, instruisant le sentiment de culpabilité sociale, affect reconnu.

225

Costes-Péplinsky M. Ibid, op.cit.p.67.

226

Moens F. « Tu remettras les dettes » (Dt 15,1). Quatre conférences sur la dette, Quatrième session : les visions

sociologique et philosophique, Dette et société Le lien social : un jeu d’obligations, organisé par le Groupe de

Recherche Sociologie Action Sens (GReSAS) département d‟économie et de sociologie, FUCaM. En ligne : http://1libertaire.free.fr/DetteSociete.html

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4. Clinique et psychopathologie de la dette : culpabilité

Pour signifier la culpabilité inconsciente, Freud utilisait le terme allemand « Schuld », qui désigne à la fois la Dette et la Culpabilité. Chez Freud, la culpabilité inconsciente serait toujours liée à la situation œdipienne, et cause d‟un agir visant à se représenter sa faute. La dette prend tout son sens ici du côté de la mère, dette impayable à la mère, ayant permis au sujet d‟accéder à la vie, grâce à ses soins. A propos du sentiment de culpabilité antérieur à l‟acte, il en propose deux origines, dans « Malaise dans la civilisation » :

« (…) L’une est l’angoisse devant l’autorité, l’autre postérieure, est l’angoisse devant le Surmoi. La première contraint l’homme à renoncer à satisfaire ses pulsions. La seconde, étant donné l’impossibilité de cacher au Surmoi la persistance des désirs défendus, pousse en outre le sujet à se punir » 227.

Ainsi, contrairement aux positions précédemment citées, ne mettant en avant qu‟une dimension marchande dans l‟échange « économico-sexuel », la question de l‟argent dans la prostitution prendrait une toute autre forme dans sa dimension symbolique.

Tant du côté des clients que des femmes ayant recours à des pratiques sexuelles récompensées, l‟argent prend sens dans un rapport allant de la dette, réactivant à chaque instant le sentiment de culpabilité, dont ils/elles tentent de s‟affranchir, dans un bouclage infini, toujours incomplet.

C‟est ainsi que dans les travaux de recherches menés par l‟Institut de Criminologie et de Sciences Humaines de Rennes2, l‟hypothèse de l‟homme-client n‟ayant pas de culpabilité, se verra réfuter, en ce sens qu‟elle conditionnerait la reconnaissance d‟une catégorie de « psychopathes en puissance », n‟ayant pas intégré la Loi et par là, caractérisés par une absence de relation à leur Surmoi.

La simplicité de l‟explication causale, de la précarité, nécessitant le transit de l‟argent dans ce qui se définira comme un simple échange marchand, se voit dépasser par un sens latent de l‟argent, comme « pacificateur », par son pouvoir de compléter symboliquement les imperfections, les manques :

227

Guillot S. (1998). Le surendettement : clinique et psychopathologie de la dette, Psychologies et Criminologies, n°21, éditions ARCP, p. 49.

« Il symbolise l’idée de complétude de chacun, son caractère irréductible à l’autre et sa

dépendance à l’autre. »228

228Deutsch E. (1989).L‟argent nommé désir et sang, Communications, 50, 81-93, in Guillot S. (1998), Le surendettement : Clinique et psychopathologie de la dette, Psychologies et Criminologies, n°21, éditions ARCP, p.57.

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