• Aucun résultat trouvé

2.4 Etiopathogénie

2.4.2 Théories étiopathogéniques

2.4.2.4 Théories biologiques

Les objectifs de la psychiatrie biologique ont été de mettre en évidence les anomalies cérébrales responsables des troubles mentaux, dans le but de parvenir à les corriger biologiquement. Il existe plusieurs théories biologiques, seules les principales seront abordées.

2.4.2.4.1 L'hypothèse mono-aminergique

L'hypothèse mono-aminergique suppose un déficit de certains neurotransmetteurs dans le système nerveux central au cours de la dépression : noradrénaline et/ou sérotonine et/ou dopamine. Elle a été proposée dès les années 1960, suite à la découverte, par Schildkraut, des effets secondaires dépressogènes de la réserpine, une molécule entrainant une déplétion de la neurotransmission mono-aminergique en se fixant sur les vésicules de stockage de la dopamine, la noradrénaline et la sérotonine (116). Puis ont été découvertes, par hasard, les propriétés antidépressives de certains traitements ; c'est ainsi que sont nés les premiers antidépresseurs : les inhibiteurs de la monoamine oxydase et l'imipramine. Par exemple, l'imipramine agit en bloquant la recapture de la sérotonine et de la norépinéphrine par le neurone pré-synaptique. L'effet immédiat est d'augmenter la disponibilité de la sérotonine et de la norépinéphrine dans les synapses et de stimuler les neurones post-synaptiques. Cependant, l’apparition des premiers effets bénéfiques d’un traitement antidépresseur ne s’observe qu’après plusieurs semaines, alors que l’augmentation du niveau des monoamines est beaucoup plus rapide (117). L'effet inhibiteur d'un rétrocontrôle négatif sur la synthèse mono-aminergique pré-synaptique ne serait lui neutralisé par l'internalisation des récepteurs que plusieurs semaines plus tard. De plus, certains sujets sont non-répondeurs au traitement. De nombreux auteurs, dont Belmaker et Agam, ont étudié la neurotransmission mono- aminergique et ont mis en évidence que si la sérotonine et la norépinéphrine ont des rôles majeurs dans la physiopathologie de la dépression, leur seul déficit ne suffit pas à induire un épisode dépressif (108).

Les étapes permettant la neurotransmission mono-aminergique sont nombreuses et des erreurs peuvent survenir à divers endroits, pouvant conduire à la survenue d'un épisode dépressif (inhibition de la tyrosine hydroxylase, manque de tryptophane dans l'alimentation, augmentation de la fréquence d'une forme mutée de la tryptophane hydroxylase : TPH-2, augmentation de la sensibilité des récepteurs 5-HT1A, dysfonctionnement des récepteurs 5-HT1B, diminution des taux de p11, polymorphisme du transporteur de la sérotonine, etc.) (108).

2.4.2.4.2 L'hypothèse de l'altération du système hypothalamo-hypophyso-surrénalien en réponse au stress

De nombreux auteurs soutiennent l'hypothèse selon laquelle la dépression est liée à un déficit dans la régulation du système de réponse au stress. Le stress, en agissant sur l'axe hypothalamo- hypophyso-surrénalien, conduit à une augmentation de la production de cortisol (108) :

 des composantes du système limbique, notamment l'amygdale et le gyrus cingulaire, perçoivent un facteur de stress et transmettent cette information à l'hypothalamus

en réponse, l'hypothalamus sécrète le CRH (Corticotrophin-releasing hormone) qui induit la sécrétion de l'ACTH (adrénocorticotrophine) ou corticotrophin par l'hypophyse

 l'ACTH induit la sécrétion des glucocorticoïdes (dont le cortisol) par la cortiocosurrénale.

 les flèches rouges montrent que le cortisol exerce un rétrocontrôle négatif sur l'hypothalamus et l'hypophyse

On peut appliquer ce modèle à la dépression en considérant qu'elle équivaut à un stress chronique. Plusieurs études ont démontré que le cortisol et son précurseur le CRH sont impliqués dans la physiopathologie de la dépression :

 les patients souffrant de dépression ont souvent des taux de cortisol plasmatiques élevés, des taux de CRH élevés dans le liquide cérébro-spinal et une augmentation de l'expression de CRH dans le système limbique (118)(119)

 la rémission clinique induite par les traitements antidépresseurs s'accompagne d'une correction de certaines de ces anomalies (120)

 des taux élevés de CRH dans le liquide cérébro-spinal ont été trouvés chez des adultes ayant des antécédents de violence physique et/ou sexuelle dans l'enfance (121)

Des études utilisant la dexaméthasone pour évaluer la sensibilité de l'hypothalamus au rétrocontrôle par le cortisol ont mis en évidence une absence du rétrocontrôle négatif normalement observé, chez la moitié des sujets dépressifs (120). Il y a donc un échappement au test de freination à la dexaméthasone, et le dérèglement primaire surviendrait au niveau hypothalamique.

La dépression entraînerait de ce fait une hypersécrétion prolongée et excessive de glucocorticoïdes. De nombreux neurones d'autres régions cérébrales comme l'amygdale et l'hippocampe possèdent des récepteurs aux glucocorticoïdes (122). Des taux élevés de glucocorticoïdes peuvent donc également activer l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien indirectement par le relargage de CRH par des neurones d'autres régions cérébrales (123). Ces neurones peuvent également activer les systèmes sérotoninergiques et catécholaminergiques (par exemple la norépinéphrine).

Pour Guilbaud et al, le stress, via le dysfonctionnement hypothalamo-hypophysaire, l'hypersécrétion de glucocorticoïdes et de CRH, est donc responsable (124) :

 d'une activation du système catécholaminergique (adrénaline, noradrénaline et dopamine)

 d'une altération du système sérotoninergique et de l'axe thyréotrope

2.4.2.4.3 Les données de l'imagerie cérébrale

Les études en IRM ont permis de mettre en évidence des modifications neuroanatomiques au niveau des structures constituant le circuit thalamo-cortico-limbique chez les sujets présentant un trouble dépressif récurrent.

Selon Rot et al, l'hippocampe, l'amygdale, le striatum ventral, le cortex orbitofrontal, le cortex préfrontal, le cortex cingulaire antérieur seraient diminués de volume ; tandis que l'hypophyse serait augmentée de volume, ce qui a été confirmé par Krishnan et al (122)(125).

2.4.2.4.4 La neuroplasticité

La neuroplasticité désigne la capacité de réorganisation des réseaux neuronaux et synaptiques permettant aux cellules cérébrales de s’adapter aux changements endogènes et exogènes de l’organisme. En 1997, Duman et al ont mis en évidence que les traitements antidépresseurs entraînent une augmentation de l'expression des protéines neuroprotectrices (126). Par la suite, des études ont montré le rôle central de la diminution de la neuroplasticité dans la dépression, en raison d'une accumulation de stress occasionnant une diminution des principaux facteurs neurotrophiques dont le BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor) (108).

Les modifications neuroanatomiques seraient en lien avec une exposition prolongée aux glucocorticoïdes qui peut se révéler neurotoxique. Ainsi, des études post-mortem de patients dépressifs ont montré une diminution des taux de BDNF dans l'hippocampe et dans le cortex préfrontal (127)(128). La neurogenèse se produit dans plusieurs aires cérébrales, et notamment dans l'hippocampe ; l'hypercortisolémie pourrait expliquer l'atrophie de l'hippocampe chez les patients dépressifs via une diminution du BDNF.

2.4.2.4.5 Les autres théories biologiques

D'autres anomalies biologiques ont été signalées au cours de la dépression et il ne faut pas négliger le rôle des systèmes cholinergique, GABA-ergique, glutamatergique, de la thyroïde, de la mélatonine, des perturbations ioniques, etc. que nous ne détaillerons pas ici.